Le centrisme se fait de plus en plus autoritaire. Alors que les footballeurs sont sommés de revêtir un maillot arc-en-ciel aux couleurs du mouvement LGBT, «l’extrême droite» est désormais ciblée par Gérald Darmanin à chacun de ses raouts. Pourtant, la liberté d’opinion est un droit chèrement gagné et il ne s’agit pas de la liberté de penser comme tous les autres, rappelle notre chroniqueur.
Un pouvoir politique peut contraindre un peuple ou une minorité de deux manières: par l’interdiction ou par l’obligation de faire. Les 613 mitzvot de la tradition rabbinique contenus dans le Pentateuque sont ainsi composés de 248 commandements positifs obligeant à l’accomplissement d’actes et de 365 commandements dits « négatifs » prohibant aux juifs certains actes au quotidien. C’est précisément cette dimension quasi religieuse qu’installe en ce moment le gouvernement d’Elisabeth Borne par l’intermédiaire de Gérald Darmanin qui instrumentalise le droit et singulièrement nos libertés publiques fondamentales, ensemble essentiel de droits dans une démocratie mature. Interdictions et obligations sont les mamelles de cette tentation tyrannique.
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Un hommage à Dominique Venner interdit
Pour répondre aux attaques de l’extrême-gauche qui a fait de la manifestation de rue le socle de son militantisme politique, Gérald Darmanin s’en prend depuis quelques semaines à l’extrême droite honnie. Victime expiatoire du duel à distance que se livrent le centrisme autoritaire d’Emmanuel Macron et la gauche insurrectionnelle qui pense être en mesure de prendre le pouvoir par l’intermédiaire d’un soulèvement populaire, « l’extrême droite » est désormais ciblée à chacun de ses raouts, quel que soit le mouvement. L’Action Française a vu sa centenaire Fête de la Jeanne menacée, de même que son colloque. Ce week-end, l’Illiade formé en hommage à Dominique Venner a été interdite de se rassembler pour le dixième anniversaire du suicide sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris de cet intellectuel identitaire radical qui se voulait « sacrificiel ».
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Pris par le président Albert Lebrun avant d’être codifié en 2012 dans le Code de la sécurité intérieure, le décret-loi du 28 octobre 1935 a soumis à l’obligation de déclaration préalable les cortèges, défilés, rassemblements de personnes, et plus généralement toutes les manifestations sur la voie publique. Ce sont les préfets qui ont le pouvoir d’interdire ou d’autoriser lesdits rassemblements, ces derniers étant bien sûr fortement soumis à la pression du ministère de l’Intérieur. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
La dérive a commencé avec Dieudonné
On constate pourtant depuis de nombreuses années, notamment depuis le quinquennat Hollande, que la notion de « trouble à l’ordre public » est désormais très extensive. Un cas a fait l’objet de nombreux commentaires au cours de la décennie écoulée : l’interdiction préventive du spectacle Le Mur de Dieudonné. En dépit des réserves légitimes qu’on peut formuler envers le contenu des spectacles de cet humoriste, il est d’usage d’utiliser la procédure judiciaire pénale de droit commun pour sanctionner les éventuels propos délictueux qui pourraient être prononcés au cours d’un spectacle, et non de faire interdire un spectacle par arrêté préfectoral avant même que sa première n’ait été donnée en invoquant le motif de possibles troubles à l’ordre public. Un arrêté qui était peu de temps après annulé par le Tribunal Administratif de Nantes.
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Se produisit ensuite l’invraisemblable avec la convocation du Conseil d’État à peine deux heures après l’annulation, chose inédite depuis 1962, ledit Conseil d’État s’étant en ce temps réuni pour suspendre une… condamnation à mort ! Le 9 janvier 2014, l’institution publique rendait donc une ordonnance politique pour suspendre et annuler le spectacle de Nantes, émouvant au passage la plupart des spécialistes en droit public français et revenant sur une jurisprudence de 1933, l’arrêt Benjamin. Était finalement annulé a priori une représentation publique sur un motif d’ordre public et, au conditionnel du conditionnel, sur le fait que les propos qui « pourraient être tenus à cette occasion pourraient constituer une “atteinte à la dignité de l’être humain” ».
De la même manière que Manuel Valls, à qui il semble emprunter jusqu’aux mimiques, Gérald Darmanin a forcé le droit en poussant Laurent Nunez, préfet de police de Paris, à prononcer des arrêtés interdisant les rassemblements du mouvement royaliste Action Française. Evidemment, le tribunal administratif a finalement suspendu l’arrêté, puisqu’une telle décision ne peut être qu’exceptionnelle et motivée par des précédents d’affrontements et non parce que l’hommage rendu à Sébastien Deyzieu par le Comité du 9 Mai la semaine précédente avait suscité l’ire de l’extrême-gauche décidément uniquement libertaire avec ses propres idées. Une démocratie libérale ne fait pas de morale, elle ne censure pas les idées qui ne lui conviennent pas. Et même les idées anti-républicaines…
Il n’est pas interdit d’être favorable à un autre régime que la République
Gérald Darmanin a pourtant fait part de son émotion après avoir entendu des slogans appelant à abattre la République lors de la Fête de la Jeanne. Il en a le droit. Mais il n’est toutefois théoriquement pas prohibé d’être favorable à l’instauration d’un autre régime en France, comme il est autorisé d’être virulemment républicain en Grande-Bretagne. Il est à parier que Gérald Darmanin ne s’arrêtera pas en si bon chemin, jouant la partition du petit caporal en multipliant les vexations et interdictions en dernière minute de différents rassemblements qui n’auront pas l’heur de lui plaire, quitte à demander à ses préfets de prononcer les arrêtés tout juste avant la tenue des évènements de manière à ce que le tribunal administratif ne puisse pas les casser. C’est précisément ce qu’il a fait à l’Illiade.
Alors qu’il est interdit à certains d’exercer leur liberté de rassemblement, il semble qu’il faille en forcer d’autres à afficher des symboles politiques qu’ils refusent. Citons par exemple le cas des footballeurs de la Ligue 1 qui ont dû revêtir un maillot arc-en-ciel aux couleurs du mouvement LGBT lors de la 37ème journée. Certains joueurs, majoritairement mais pas exclusivement de confession musulmane, ont refusé d’arborer ce symbole. Ils en avaient le droit le plus absolu s’agissant d’une demande extra-contractuelle non comprise dans leurs obligations professionnelles à l’égard des clubs qui les emploient.
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Il semblerait que notre pays ait oublié que la liberté d’opinion est un droit chèrement gagné et qu’il ne s’agit pas de la liberté de penser comme tous les autres dans un cadre autorisé, mais bien d’une liberté maximale tant qu’il n’y a pas d’apologie de crimes contre l’humanité ou d’appels à la violence. La France est-elle encore une démocratie ou bien une démocrature ?