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De l’interdiction des armes chimiques au désarmement nucléaire


De l’interdiction des armes chimiques au désarmement nucléaire

paul quiles

Dans votre dernière tribune publiée dans Marianne, vous appeliez la communauté internationale à contraindre la Syrie à souscrire sans réserves à la Convention de désarmement chimique de 1993. Bachar-el-Assad a  déjà annoncé vouloir signer cette convention. Hormis faire gagner du temps au régime syrien, et réhabiliter en partie Assad, quel est l’intérêt d’une telle initiative ?

Dès le 28 août, j’ai demandé publiquement que la France, dépositaire du protocole de 1925 interdisant l’emploi des gaz de combat et initiatrice de la Convention de 1993 d’élimination de l’arme chimique, fasse entendre sa voix, en présentant rapidement une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU. Il s’agissait de demander, en complément de toute action pour sanctionner les auteurs du massacre de Damas et prévenir de nouvelles attaques chimiques, l’adhésion immédiate de la Syrie à la Convention de 1993[1. Cette convention, ratifiée par la quasi-totalité des Etats, à sept exceptions près, dont celle de la Syrie, impose à ses signataires de détruire tous leurs stocks d’armes chimiques, de renoncer définitivement à cette arme et de se soumettre à un mécanisme contraignant de contrôle  international sur place du respect des engagements pris.].

L’intérêt de cette initiative aurait été de relancer l’indispensable action diplomatique avec la Russie et la Chine, qui n’auraient plus pu opposer leur véto, sauf à apparaître comme cautionnant l’utilisation de l’arme chimique, alors qu’elles sont signataires de la Convention de 1993. La France se serait trouvée au cœur du dispositif politique de résolution du conflit syrien, au lieu de quasiment disparaître de la scène internationale après l’initiative du 9 septembre des Russes, rejoints immédiatement par les Américains.

Aujourd’hui, la priorité est certainement, comme le dit Hans Blix, ancien chef des inspecteurs de l’ONU en Irak, de « faire cesser les souffrances des populations civiles » et il faut souhaiter que la reprise des négociations politiques, malgré toutes les difficultés qui se présentent, le permettra.

Certes, mais on peut douter que la focalisation de la communauté internationale sur les armes chimiques soit la meilleure façon de procéder. En effet, Barack Obama et François Hollande ont fait des armes chimiques une « ligne rouge » à ne pas dépasser.  Or, si l’on additionne les morts des deux camps, la guerre civile syrienne a déjà fait plus de 100 000 morts. En quoi les exactions perpétrées de manière « traditionnelle » sont plus acceptables qu’un bombardement chimique ?

Selon les propos de Barack Obama[2. Barack Obama à Stockholm début septembre.], la « ligne rouge » a été tracée par « le monde ». C’est donc à l’ONU, qui est l’organisation que s’est donnée « le monde », d’apporter des réponses à ce crime. C’est ce qui est en train de se faire, après bien des hésitations et des contradictions dans les discours et les menaces. Ceci étant, vous avez raison, il serait indécent de considérer qu’il y aurait des victimes « acceptables » et d’autres qui ne le seraient pas. Néanmoins, le drame syrien montre à nouveau l’importance des traités internationaux destinés à empêcher l’utilisation des armes de destruction massive (biologiques, chimiques, nucléaires) et de celles qui visent surtout les civils (armes à sous-munitions, mines anti-personnel). Certains de ces traités concernant ce qu’on appelle (de façon un peu hypocrite) les « armes inhumaines » n’ont pas été signés par de grands pays[3. Traités d’interdiction des « armes inhumaines » :

– la Convention d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel, signée par 160 pays, entrée en vigueur en 1999. Une soixantaine de pays – notamment producteurs !- ne sont pas signataires (dont USA, Russie, Chine, Inde, Iran…) 10% des stocks ont été détruits.

– la Convention d’Oslo interdisant les armes à sous-munitions, signée par 112 Etats (sauf USA, Russie, Chine, Israël, Inde, Pakistan), entrée en vigueur en 2010.

– le traité interdisant la fabrication et le stockage des armes chimiques.

. Le protocole de Genève (1925) interdisait l’utilisation des armes biologiques et chimiques et des gaz asphyxiants. Les USA ne l’ont ratifié qu’en 1975 !

. La mise au point, le stockage et l’utilisation des armes biologiques ont été interdits par la Convention de 1972, signée par plus de 50 Etats, ratifiée par la France en 1984, par l’URSS et les USA.

. La Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction a été signée à Paris le 14 janvier 1993. Le traité est entré en vigueur le 29 avril 1997. Il a été ratifié par 189 Etats, sauf 7 (Syrie, Egypte, Angola, Corée du Nord, Soudan du Sud, Israël, Birmanie). L’OIAC, organisme de vérification dont le siège est à La Haye, a pour mission de vérifier la bonne application de l’accord. Tous les stocks déclarés n’ont pas encore été détruits, mais les Etats ont pris des engagements concernant le calendrier de destruction.]et il serait utile de faire un bilan complet de la situation et de prendre toutes les mesures susceptibles d’éviter de nouveaux drames.

À entendre Laurent Fabius, l’impuissance de la communauté internationale face à l’usage des armes chimiques en Syrie adresserait un message d’impunité à l’Iran pour poursuivre son programme nucléaire. Les armes chimiques syriennes et le programme nucléaire iranien sont-ils vraiment liés, comme l’affirment le quai d’Orsay et certains néoconservateurs américains ? Le dialogue et la discussion ne sont-ils pas des voies plus constructives pour détacher Téhéran de Damas ?

Il faut arrêter de tout confondre ! L’Iran cherche à l’évidence à développer l’enrichissement de l’uranium. Mais où est le « seuil » entre le nucléaire civil et militaire ? L’approche actuelle n’est pas la meilleure. Les sanctions pénalisent plus le peuple iranien que ses dirigeants, qui considèrent, comme les Français, que la maîtrise de l’armement nucléaire est un signe de puissance. Contrairement aux dirigeants qui ont joué sur cette perspective (Ahmedinejad, Ali Khamenei…), le président nouvellement élu, Hassan Rohani, paraît plus « modéré ».

Les propos de ce dernier il y a quelques jours et l’attitude de Barack Obama à son égard montrent que les choses sont en train de changer. Il n’est plus impossible de penser qu’une négociation pourrait avoir lieu, pour autant que les Américains mais aussi d’autres acteurs, comme Israël, acceptent des mesures de désarmement. Il faut poursuivre le projet de création d’une « zone exempte d’armes de destruction massive » au Moyen-Orient, demandé par la conférence d’examen du Traité de Non-Prolifération nucléaire. Certains, dont les Américains, prétendent que l’instabilité de la région empêche tout arrangement de ce type. Mais un tel accord serait précisément créateur de stabilité. Si on parvenait à une interdiction de l’arme chimique dans la zone, comme le fait espérer le récent accord sur la Syrie, une dynamique favorable pourrait être enclenchée.

Aujourd’hui vous ne militez pas seulement contre les armes chimiques mais aussi et surtout pour le désarmement nucléaire. Pourtant, vous avez été ministre de la Défense pendant la Guerre froide (1985-1986), où la dissuasion nucléaire était la garantie de la paix. Pourquoi cette évolution ? Est-il souhaitable ou même possible de viser à long-terme un monde entièrement « dénucléarisé » ?

C’est vrai, j’ai évolué. En 1985, lorsque je suis devenu ministre de la Défense, nous étions effectivement dans la période de la Guerre froide. Chaque partie menaçait l’autre de destructions massives, de manière à la dissuader de toute action militaire directe. La théorie de la dissuasion pouvait alors justifier l’armement nucléaire, encore que cela soit discutable et il faut bien voir, avec le recul, le délire auquel cela a conduit, notamment avec la folle course aux armements (70 000 ogives nucléaires au début des années 90, de quoi détruire plusieurs fois la planète !)

Depuis, j’ai constaté que les doctrines avaient souvent changé entre 1945, date des premières bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki et 1989, fin de la Guerre froide. On nous disait à chaque fois qu’il s’agissait de répondre à des nécessités présentées comme évidentes.

Par la suite, j’ai découvert que la dissuasion aurait pu échouer et que, par exemple, nous sommes passés très près d’une apocalypse nucléaireen 1983. William Perry, ancien ministre américain de la défense, qui souhaite maintenant le désarmement nucléaire, expliquait dans une récente et passionnante tribune (ignorée en France) les catastrophes qui ont failli se produire à plusieurs reprises avec l’armement nucléaire.

Le langage de la dissuasion m’est apparu comme un discours qui intoxique les dirigeants eux-mêmes. J’ai vu dans les décisions relatives aux systèmes d’armes, notamment nucléaires, l’effet d’un complexe militaro-industriel, déjà dénoncé par Eisenhower en 1961 lorsqu’il a quitté la Maison Blanche. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas d’un complot, mais d’un système. Les industriels veulent des commandes. Les techniciens, les chercheurs et les conseillers défendent leurs travaux et leurs théories. Les militaires demandent des armes toujours plus puissantes. Faute de débat public contradictoire, tous ces acteurs persuadent les décideurs que leurs solutions sont les seules possibles.

Si j’avais quelque doute sur la pertinence de ma position, je serais conforté par le nombre élevé de personnalités ayant exercé de hautes fonctions au niveau international dans le domaine de la défense ou des affaires étrangères – responsables politiques, anciens chefs d’Etat ou de gouvernement, généraux- qui se prononcent dans ce sens. Ils ont eu à connaître de près le développement de l’arme nucléaire et ils ont même été associés  à l’élaboration des doctrines changeantes de son utilisation. Leur engagement n’est pas anodin et je suis fier de me retrouver à leurs côtés dans ce combat pour un monde plus sûr, débarrassé d’une arme qui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, pourrait faire disparaître toute vie de la planète.

A ceux qui doutent qu’il est – pour reprendre vos termes- « souhaitable ou même possible de viser à long-terme un monde entièrement dénucléarisé », je conseille simplement de lire les livres que je viens de publier et qui répondent positivement et en détail à cette interrogation.

« Nucléaire, un mensonge français » (Editions Charles Léopold Meyer) ;

« Arrêtez la bombe ! », avec le Général Norlain et Jean-Marie Collin (Editions du Cherche Midi)

*Photo: Parti socialiste



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Journaliste au Figaro, elle participe au lancement de la revue Limite et intervient régulièrement comme chroniqueuse éditorialiste sur CNews.

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