L’intelligence artificielle ne signe pas la fin de l’intelligence humaine. Du moins, pas pour tout le monde. En Chine, le régime contrôle l’exposition de sa jeunesse à l’IA et aux réseaux sociaux. En Occident, où le QI moyen baisse depuis vingt ans, la population tend à se diviser en deux groupes inégaux : ceux qui savent penser sans IA, et les autres…
Le monde se trouve aujourd’hui dans une situation singulière, dont deux citations permettent de prendre la mesure. La première date de 1900, et son auteur est Hwuy-Ung, un lettré chinois que ses idées réformatrices, peu prisées par l’impératrice douairière Cixi, avaient forcé à l’exil. D’Australie, il écrivit ceci à un ami demeuré en Chine :
« Les merveilles de ce pays et des nations occidentales nous sont, pour la plupart, inconnues et nous paraissent incroyables. […] Vénérable frère aîné, votre esprit supérieur, tout en reconnaissant l’ingéniosité surprenante des nations occidentales, n’en posera pas moins la question : “Toutes ces merveilles rendent-elles les gens plus heureux ?” Il est difficile de répondre à pareille question. Beaucoup se la posent. Tous sont dans le brouillard du doute. Sur une chose, en revanche, je n’ai aucun doute : grâce aux machines et à la science, les hommes peuvent accomplir en une vie ce qui, sans elles, en demanderait vingt, de sorte que c’est comme s’ils vivaient vingt vies. […] Mais, mon honorable frère demandera encore : “Un homme est-il plus heureux lorsque ses jours sont multipliés par vingt ? Ne court-il pas au-devant des difficultés, en rendant la vie si compliquée ? Que font les dix-neuf hommes pendant qu’un seul, avec une machine, accomplit leur travail ?” À cela, je répondrai que je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que le genre humain progresse dans la connaissance. Et que ceux qui ne suivent pas le rythme des nations les plus avancées se retrouvent victimes de ces nations, comme nous l’avons été. Qu’est-ce que le bonheur ? En tout cas, ce n’est pas le bonheur d’être soumis à la volonté d’étrangers, et spolié de son territoire. Pour être heureux, il faut être fort, pour être fort, il faut disposer de richesses. Avec des richesses, il est possible de s’armer afin de se défendre et d’être respecté. C’est pourquoi nous devons recourir aux moyens occidentaux, aux machines et à la science, qui produisent les richesses et donnent du pouvoir[1]. »
La pointe avancée de la technologie
Hwuy-Ung prend acte d’un changement de régime de la technique – dont il me semble indiqué de rendre compte en mettant à profit le doublet lexical technique/technologie. À partir du XIXe siècle, la combinaison entre le programme de déchiffrement de la nature, lancé en Europe au XVIIe, et le capitalisme, initie un déferlement technologique – où,
