La campagne américaine a été marquée par les insultes. La démocratie américaine est-elle en danger ? La France est-elle, elle aussi, menacée par ce que les éditocrates nomment au choix « trumpisation » ou « polarisation » de la vie politique ? Pire, est-elle déjà gravement atteinte ?
À en croire la majorité des médias français, la campagne présidentielle américaine aurait opposé un Donald Trump déchaîné dans l’outrance et l’insulte à une gentille Kamala Harris respectueuse des usages… En langage d’éditorialiste, on parle de polarisation extrême dont M. Trump serait le seul responsable. Quant aux rares journalistes pro-Trump, ils nous servent un récit symétrique où le pauvre Trump est systématiquement attaqué et diffamé.
Soyons honnêtes : durant la période récente, c’est certainement M. Trump qui a normalisé l’insulte et l’affabulation en politique. Rappelez-vous de tous ses tweets (c’est au point que l’on parle désormais de « trumpisme »). Mais, cette fois, ça a volé haut des deux côtés. Kamala Harris a traité Trump de « fasciste », d’ »inapte », de « dérangé ». Lui a répliqué par « communiste », « idiote », « attardée » ou « bête comme une pierre ». Donald Trump a aussi traité ses opposants d’ennemis de l’intérieur, et Porto-Rico a été comparé à une poubelle flottante lors de son meeting de New-York. Réponse de Biden à cette dernière outrance : les seules ordures que je voie, ce sont les électeurs de Trump. Bref : c’était l’école maternelle, et pas la mieux fréquentée.
Résultat des courses, selon 75% des Américains, leur démocratie est menacée. Ils ont raison. La démocratie, ce n’est pas seulement des procédures et des règles à respecter, mais aussi un état d’esprit ; le désaccord civilisé veut que l’autre soit légitime et appartienne à la même communauté politique que moi, et que j’accepte éventuellement sa victoire et son existence dans le même champ que moi. Quand des magasins se barricadent avant une élection, cet accord minimal pour le désaccord n’existe pas.
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On nous dit que nous n’en sommes pas encore là en France. Croyez-vous vraiment ? La veille du 2ème tour des législatives, c’était pourtant pareil à Paris. Des magasins étaient barricadés, car on attendait des troubles voire des émeutes en cas de victoire du Rassemblement national.
La « trumpisation », c’est-à-dire la montée aux extrêmes, a gagné la vie publique et l’Assemblée nationale. Les LFIstes traitent leurs adversaires de fascistes ou de racistes quotidiennement. Au-delà de l’insulte, le bobard, le mensonge conscient et l’affabulation sont frappants. Le Nouveau Front populaire raconte qu’on lui a volé l’élection, et donc que le gouvernement actuel n’est pas légitime. Lucie Castets a prétendu pendant des semaines être le choix du « groupe majoritaire » à l’Assemblée – un mensonge éhonté. Par ailleurs, même le discours sur le fameux front républicain durant l’entre deux tours relevait aussi du mensonge en bande organisée. Qui croyait vraiment à la menace fasciste ? Personne.
Comment expliquer cette montée aux extrêmes ? Tout d’abord, il faut rappeler la baisse générale du niveau d’éducation. Qu’attendre franchement d’un Louis Boyard ou d’une Ersilia Soudais ? C’est ce que j’appellerais la trumpisation par le haut.
Ensuite, le rôle des réseaux sociaux est immense. C’est la trumpisation par le bas. Nous sommes face à une force ravageuse de désocialisation. Les réseaux sociaux lèvent les inhibitions. Il n’y a plus de surmoi, c’est-à-dire plus de civilisation : on ne dit pas tout ce qui nous passe en permanence par la tête normalement. Eh bien derrière son clavier, si. La menace de mort est banale, presque naturelle ; l’adversaire devient un ennemi, donc tout est permis, y compris bien sûr la calomnie.
Ce climat dégoûtant navre beaucoup de Français. Il explique sûrement pour bonne partie le capital-sympathie de Michel Barnier, l’homme qui dit à Mathilde Panot qu’il la respecte malgré la grande agressivité de cette dernière.
N’en déplaise aux rebelles d’opérette, aujourd’hui, la bonne éducation est d’avant-garde et la courtoisie, révolutionnaire.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin