Le pseudonymat est une plaie
J’ai trouvé extrêmement choquantes certaines réactions à mon article sur les « murs », qui n’ont jamais servi à rien. Et je dois dire que certains ici, sous le couvert d’un anonymat qui favorise toujours le droit à l’expression des cancres, ont affiché une méconnaissance de l’Histoire qui me laisse pantois. Ce sont les mêmes sans doute qui trouvent que Zemmour est un garçon cultivé, alors qu’il maîtrise les connaissances superficielles que l’on acquiert à Sciences-Po quand on travaille — et guère plus. Clemenceau, Jaurès ou Blum en savaient mille fois plus que lui. Mais nous avons sans doute les politiciens que nous méritons.
Cela étant dit…
J’ai passé 45 ans de ma vie à enseigner. Le plus souvent dans des quartiers déshérités — mes contradicteurs seraient sans doute enchantés eux aussi de se coltiner les élèves des Ulis, des Tarterêts, ou d’un lycée technique montpelliérain recrutant pour l’essentiel dans le quartier de la Paillade. Ces dix dernières années, j’avais (entre autres) en charge une classe post-Bac préparant à l’Heptaconcours qui ouvre l’entrée aux Sciences-Po de province.
J’y avais — Marseille oblige — 80% d’élèves soit immigrés, soit enfants d’immigrés, tous issus des fameux « Quartiers Nord ». De toutes les couleurs. Et musulmans à 99%.
Mais je n’ai jamais prêté attention ni à leur couleur de peau, ni à leur religion. Je m’en moquais, quand par hasard — mais cela ne durait jamais longtemps — ils tentaient de poser des croyances face à des savoirs. Mon boulot (et celui de mes collègues) consistait à leur apprendre à parler et à écrire en bon français, à maîtriser tous les éléments du programme, à posséder les codes de la culture bourgeoise (parce qu’en l’état il n’y en a pas d’autre), et à se détacher peu à peu de l’emprise familiale, de celle du quartier, de celle de la ville — puisque nécessairement, ceux qui réussiraient (40% par an, ce qui est un score énorme dans un concours) quitteraient le giron marseillais.
C’était d’ailleurs particulièrement vrai chez les filles, dont certaines remettaient un voile en sortant du lycée — pour se prémunir des racailles du quartier — et ne rêvaient qu’à partir, loin, pour ne plus jamais en porter.
D’où mon obstination à leur faire étudier les grands classiques de l’ambition — Tartuffe, le Père Goriot, Bel-Ami ou Topaze — afin d’éliminer chez eux le sentiment d’imposture qui est trop souvent le lot de ceux qui ne sont pas nés avec une cuiller d’argent dans la bouche. À noter qu’il s’agit d’œuvres écrites dans un français classique — pas la prose d’un article de Libé.
Ce que je visais était l’intégration et l’assimilation. Et non seulement pour ceux qui ont intégré Sciences-Po Lille ou Grenoble, qui s’intègreront par définition, mais pour tous les autres, qui ont tous entrepris des études supérieures et sont désormais avocats ou enseignants, entre autres.
C’est cela que j’ai visé pendant 45 ans (et je continue dans une école de journalisme locale) : intégrer à une culture et assimiler à une nation.
Et non, je ne suis pas naïf. Et ceux qui se croient plus avisés sont des demi-habiles.
D’où mon combat pour une école de la transmission, qui a délibérément été saccagée par des politiques qui voulaient une chair à consommation qui ne pense pas. Nombre de profs « de gauche » (ou prétendus tels) préfèrent « respecter » les superstitions de leurs élèves. Ils ont tort, c’est ainsi que l’on fabrique des extrémistes — en ne leur offrant rien d’autre que l’inculture dont ils viennent. Si la parole du professeur est faible ou peu crédible, alors celle de l’imam prend le dessus — aussi taré soit-il.
Ceux parmi mes lecteurs qui me traitent de doux illuminé (et certains commentaires étaient bien plus offensants) feraient bien d’y réfléchir à deux fois.
Et puisqu’il y en a ici qui sont férus d’Histoire, qu’ils veuillent bien se souvenir que les « barbares », avant de déferler au IVe siècle, avaient trouvé leur place dans l’Empire en s’intégrant via la langue et la culture. Nombre d’entre eux finirent par postuler à des emplois éminents — voire à la tête de l’empire. C’est si vrai que lorsque la pression démographique des Germains s’est faite trop forte, et qu’ils sont effectivement entrés par tous les trous du limes, ils ont adopté la langue, la culture, la civilisation romaines. Ils n’ont pas importé leurs croyances, abandonnées dans leurs obscures forêts germaniques.
C’est cela que nous sommes en train de rater, en renonçant à éduquer correctement, à, apprendre à bien parler français, et à ventiler les populations nouvellement arrivantes sur tout le territoire. Ah, vous voulez construire des murs ! Maginot, nous voilà !
L’éducation doit viser à intégrer tous les élèves, quelle que soit leur origine, dans le grand bain français. Et moins ils parlent notre langue à l’origine, plus il faut leur imposer d’heures de cours. Quitte à les arracher à leurs familles, à les élever dans des internats consacrés à cet usage, et à leur faire goûter à la cantine les produits du pays — parce qu’on s’intègre aussi par la cuisine.
Je ne suis en rien un rêveur. Simplement, l’expérience de 45 ans d’enseignement m’a prouvé que ça marche.
Bien sûr, il y aura sans doute du déchet. Mais il y en a aussi avec les « Français de souche » — si tant est que je sache ce que signifie une pareille appellation.
Un dernier point.
Je signe toujours ce que j’écris — de mon nom. Peu importe les conséquences — et j’ai été pointé du doigt par des sites islamistes dès octobre 2014, trois mois avant les premiers attentats : j’aimerais être sûr que tous les fournisseurs de solutions finales qui s’expriment courageusement sous pseudonyme auraient le courage de prendre autant de risques. Je suis d’ailleurs partisan d’une levée totale de l’anonymat sur les réseaux sociaux — et on verra bien alors qui a des couilles et qui n’en a pas.
Je ne répondrai donc plus à des commentaires non signés d’un nom propre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !