Instruction ou éducation ? La dénomination même du ministère de la rue de Grenelle, jadis Instruction publique puis Éducation, montre l’hésitation française entre deux conceptions que tout oppose, explique notre chroniqueur : la transmission pure des savoirs, ou la formation complète de l’enfant, jadis réservée à la famille. Mais quand cette éducation elle-même entre en conflit avec les savoirs, ou quand ces savoirs ne sont plus réellement enseignés, que faire, comme disait Lénine?
Je participais à Bruxelles, mi-février, à un colloque sur l’éducation, à l’initiative du Mathias Corvinus Collegium, une organisation d’origine hongroise. Les participants arrivant d’horizons géographiques fort divers, de l’Europe centrale aux États-Unis, il avait été convenu que l’anglais serait la langue des débats.
« Education », disent donc les Britanniques. La traduction, qui paraît évidente, est en fait fort difficile. Les Anglais ne distinguent pas ce que nous appelons « éducation » et ce que nous nommons « instruction ». Pour eux, l’education recouvre l’ensemble du teaching, aussi bien à la maison qu’à l’école. Évident ? Pas du tout.
Arrière-plan fasciste
Il faut toujours remonter à Condorcet, qui dans son Premier Mémoire explique posément que si l’instruction est du ressort de l’école, l’éducation appartient à la famille. C’était un philosophe des Lumières, qui ne concevait pas que le catholicisme perpétue le fanatisme jadis dénoncé par Voltaire. En quoi il n’avait pas tort : l’instruction publique devait équilibrer harmonieusement l’éducation familiale. Ainsi l’éducation religieuse, estimait-il, était du ressort des familles.
L’islam était alors la religion des barbaresques. On ignorait qu’elle serait plus tard celle des barbares.
Pendant tout le XIXe siècle et le début du XXe, on parla du Ministère de l’Instruction publique. Mais en 1932, sous Edouard Herriot, on débaptisa le ministère. Anatole de Monzie, le nouveau ministre, était un admirateur du Duce, qui trois ans auparavant avait institué un Ministerio dell’Educazion nazionale — et cet arrière-plan fasciste ne doit pas être négligé.
Ce socialiste proche de Marcel Déat fut cohérent par la suite, et soutint le régime de Vichy.
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C’est le cœur du débat. L’Etat doit-il éduquer la jeunesse, ou se contenter de lui transmettre les savoirs de base sans lesquels il n’est pas de pensée rationnelle ?
Ou plutôt, ce fut longtemps le problème central. C’est fini, depuis que par une combinaison de volonté égalitariste, de politique européenne anti-nations, de pédagogies constructivistes et autres fariboles, on a renoncé à transmettre des savoirs, et on ne s’occupe plus que de vagues « compétences ». L’enseignement de l’ignorance, comme dit Jean-Claude Michéa, a effacé l’ambition d’arriver par la maîtrise des savoirs savants à un vrai élitisme républicain.
La question dès lors se pose tout autrement. Dans des cervelles largement laissées en friche par le refus obstiné de transmettre des savoirs complexes, sous prétexte de « respecter » les croyances avec lesquelles nous arrivent les élèves, le vide que n’occupe plus le discours enseignant est une occasion en or pour les discours fanatiques et les superstitions absurdes : « Selon une enquête de l’Ifop auprès des 11-24 ans, un jeune Français sur six pense que la Terre est plate et un sur quatre doute de la théorie de l’évolution », notait Le Point l’année dernière. Pensez-y bien : grâce aux pédagogues qui « respectent » les opinions héritées des parents, du quartier ou des grands frères, un jeune sur quatre que vous rencontrez dans la rue pense que l’homme a été créé par Dieu il y a un peu plus de 4000 ans. Ce qui en soi serait folklorique, si d’autres Frères ne suggéraient à ces adolescents sans béquilles qu’il faut imposer ce point de vue.
Hier l’ignorance, aujourd’hui la superstition, et demain la charia.
Les ravages du pédagogisme
Des pédagogues, inspirés par Rousseau et sa croyance en une bonté naturelle, répugnent à expliquer aux enfants que l’Histoire de France n’est pas une suite de malheurs infligés par de méchants Caucasiens à de gentils Maghrébins ou d’adorables Africains — qui ne se livraient pas du tout au commerce du bois d’ébène, c’est bien connu. L’espace laissé vierge dans les cervelles est désormais rempli par des prêcheurs de haine ou de convictions niaises. Les enseignantes, quoique largement majoritaires, ne doivent pas être écoutées : les femmes n’ont-elles pas pour fonction de faire la cuisine et le plus d’enfants possible ? La discipline ne doit pas être respectée, car qui a le droit de contrarier des enfants-rois élevés comme des princes du désert ? Les filles doivent se voiler, il faut revenir sur la loi de 2004, et il faut utiliser toutes les feintes pour gagner sans cesse des territoires nouveaux, comme au jeu de go.
C’est ainsi que des offensives générales ont été lancées en septembre — dans la foulée des émeutes de juillet, qui elles-mêmes avaient une idée derrière leurs têtes creuses —, et surtout depuis début janvier, sous le prétexte fumeux d’être solidaire avec les terroristes du Hamas. Et Le Figaro de constater que les incidents se multiplient à l’université, à Lille, à Montpellier ou à Aix-Marseille. L’UNI, syndicat classé à droite (ou à l’extrême-droite, les anathèmes volent bas, ces jours-ci) a alerté la direction de la faculté lilloise, sans obtenir autre chose qu’une absence totale de réaction. Rappelons pour l’anecdote que l’université de Lille comptait Sandrine Rousseau parmi ses vice-présidents. Quant à l’UNEF, qui fait des risettes aux islamistes, elle affirme, par la voix du délégué général Arthur Sabatier : « Pour nous, ce n’est ni un phénomène, ni un sujet. Nous n’avons jamais été témoins de ces scènes et personne ne nous a jamais rapporté de faits de cet ordre. » Aveuglement ou complicité ?
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Il ne s’agit plus d’instruire, ni même d’éduquer. Il faut impérativement rééduquer — y compris les enseignants gangrenés par l’idéologie du laisser-faire. Seuls des savoirs massivement imposés peuvent contrarier des superstitions religieuses dont l’objet est la haine de la connaissance — qui contrarierait l’enseignement du Livre.
À noter que dans les cervelles d’autres jeunes déboussolés par l’absence de repères intellectuels fiables, c’est le wokisme qui pousse ses feux. La haine des corps, qui se manifeste chez les uns par des cris d’orfraie dès qu’on leur montre un tableau, se traduit chez les autres par une répugnance au contact — et une abstinence du sexe qui devrait faire réfléchir, selon l’Ifop : « Si en 2006, 87% des Français déclaraient avoir au moins un rapport sexuel ces 12 derniers mois, ils ne sont aujourd’hui que 76%. Soit « un recul sans précédent », souligne d’emblée l’institut de sondage. Les écarts sont encore plus importants chez les jeunes âgés de 18 à 24 ans, parmi ceux qui ont déjà eu un rapport sexuel : 28% d’entre eux affirment ne pas avoir eu de rapport depuis un an contre seulement 5% en 2006. »
Pas grave ? Songez à votre propre jeunesse, quand vous jouissiez sans entraves d’être sous l’emprise de tel ou telle… Cette abstinence ressemble si fort à celle qu’imposent les pays musulmans tant qu’on n’est pas marié que vous feriez bien d’y réfléchir à deux fois. Mais après tout, avez-vous réfléchi quand vous avez appris que de très jeunes gens qui n’étaient pas du tout de confession musulmane faisaient le ramadan par imitation ? en tout cas le site Arab News s’en félicite hautement, une façon, selon lui, de lutter contre l’islamophobie. C’est ainsi que les contraintes les plus absurdes s’installent et se développent, dans les cervelles laissées en jachère — celles de vos enfants.
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