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Instagram: voici venu le temps des likes et des contre-champs

Pour vivre heureux, vivons postés


Instagram: voici venu le temps des likes et des contre-champs
Auteurs : Matilde Campodonico/AP/SIPA. Numéro de reportage : AP22455873_000007

 


Entre like et lèche, followers et groupies enfiévrées, chronique d’une journée d’été ordinaire dans le monde fabuleux d’Instagram.


Il paraît que le bonheur ne vaut que s’il est partagé. Que la prospérité est un secret à dispenser d’urgence, plutôt qu’à dissimuler jalousement. Ce doit être vrai. Il n’y a qu’à surfer quelques instants sur les comptes Instagram des célébrités, comme ceux des sans-grades – ils fleurissent comme des feux de pinèdes en période de pique-nique post-Covid – pour constater que le monde ne tourne plus désormais essentiellement qu’autour de ces maximes. Elles sont même la pierre angulaire des réseaux sociaux. La clef de voûte de la vie moderne. Prouvant qu’il ne sert plus à rien de connaître tout seul l’allégresse. D’être égoïstement heureux en silence. Comme un autolâtre transi s’adonnerait à la félicité solitaire, replié sur lui-même. Il faut partager maintenant son plaisir ou sa réussite avec le plus grand  nombre. En criant si possible son bien-être et sa joie. En l’affichant complaisamment à la face de ses followers, de ses abonnés. Qu’on soit inconnu ou puissant. Ici c’est un coucher de soleil, évidemment unique, qu’on immortalise ; là une « party » entre amis avec barbecue… soyons dingues ! Ou même pire, un plat gastronomique. Un tartare de saumon au caviar offert à la caméra de son iPhone, comme un coq au vin fraîchement régurgité que l’instagrammeur ne résistera pas à nous faire profiter.

Adieu cartes postales

Autrefois, on envoyait des textos. Histoire de mettre les cartes postales au rayon des antiquités et de donner accessoirement des nouvelles à ses quelques amis. Maintenant, il faut poster sur Facebook. Envoyer du bois sur Twitter, faire sa « com sur Insta ». En clair, il faut « balancer sa life » en pâture, comme certaines multinationales achètent parfois des pages de pub dans les grands quotidiens pour communiquer avec satisfaction sur leurs bons résultats. C’est comme ça. Et pas autrement. C’est vrai après tout, à quoi bon être heureux si on ne peut pas en faire état ? Mais il y a évidemment un risque à ne pas respecter ces passages obligés. Le pilori des ringards. La potence des arriérés. Pire que l’oubli : la déchéance de la non existence numérique.

Le bonheur ne vaut que s’il est approuvé 

Tout cela va évidemment bien plus loin qu’une simple lettre à la poste. Et dépasse en creux l’acte de com sur sa pauvre  existence. Car un instagrammeur, donc un homme moderne, ne fait pas que poster. Il attend aussi (et surtout) de ses messages-missives, un évident retour. L’approbation ultime. Le nirvana du témoignage d’intérêt : la preuve de sollicitude. Qui est, comme chacun sait, le début de la réussite. Le bonheur du liking. Jetons un voile pudique sur la crétinerie  m’as-tu-vu abyssale des messages en général édités. Sans critiquer l’aspect indéniablement pratique et commercial de ce nouveau média, on n’est pas là pour innover. Mais bien pour calculer sa puissance par rapport à une jauge unique. Un seul mètre étalon: les réactions de son réseau de followers. Donc aussi un moyen pas cher de vérifier sa popularité, voire même sa position dans la société.

Robert est à la plage. On est tous contents pour lui. Mais il était important qu’il en fasse mention. Qu’il le dise. Qu’il communique. Ça c’est plus ennuyeux. Nicolas de son côté est en Corse. Il est plus riche que Robert. Qui est sur la côte, mais celle d’Opale. Alors, il fait du jet ski avec maman le Nico. Ces deux personnages pourraient se contenter de vivre leur bonheur tranquillement en famille. Discrètement même. En nous foutant la paix. Acceptant au passage l’idée selon laquelle aller à la mer l’été, c’est comme chausser les skis en décembre ou enfiler des moufles et un passe-montagne à Noël. C’est d’une banalité affligeante. Mais qu’importe, ils sont heureux. Alors il faut qu’ils le crient à la face du monde, bon Dieu ! Et puis les likes vont déferler de partout. C’est certain. Surtout chez Nicolas. Ils vont se déchaîner comme les bourrades s’abattent sur le dos des buteurs quand ils rentrent au vestiaire après un tir en pleine lucarne. Des tapes sur l’épaule. Sacré Nicolas! On va le féliciter! Quel kiff. Qu’est-ce qu’il est bon quand même ! « T’as vu Nico, y fait du jet ski ! » Dingue non? On est tellement ravis pour lui. D’autant que sur ses posts précédents on a pu voir qu’il avait été au golf en hélico. Il sait respecter les gestes barrières lui au moins. Même en coupe carotte. Car même en Robin il porte un masque. Mégane Scénic ou Bell ranger ? Peu importe le jouet finalement.

L’approbation des fayots

Pourvu qu’on ait l’ivresse. L’aspect pathétique de ces  situations ne se situe pas, somme toute, dans le vide cyclopéende ces aventures estivales. Le plus attristant en fait, c’est la réaction du réseau. L’approbation des fayots. Que la fille de Robert like la vie dissolue de son père qui s’oint le buste poilu de Nivea protection 10 en transat sur la plage de Malo-les-bains à marée basse, c’est bien légitime. Ça va fait plaisir à son daron. Et c’est lui qui paye les cours de tennis. Mais que les « amis » de Nico lèvent tous le pouce à sa moindre frasque balnéaire, là on n’est plus dans l’approbation. On serait plutôt à fond dans la lèche. Il n’y a qu’à regarder les noms des aimants. Quand ils ne sont pas de la famille, ils sont tous employés du grand patron ou voire clients. Le constat est donc sans appel, il n’y a pas plus hypocrite qu’un like. Pas plus fourbe qu’un pouce levé ou un cœur rougissant. Même ou surtout en mode privé.

Ces signes ressemblent donc en tous points à ces tampons sur les carnets de vote. Carnet de notes ? « A voté » dit l’assesseur du bureau d’Instagram. « Et j’espère que Nico saura se souvenir que j’avais liké la pirouette à la piscine de son petit-fils, à la rentrée, quand on renégociera les contrats » pense la cohorte de communicants, de producteurs, de fournisseurs, de salariés. Tous ces spectateurs benêts ou fayots abasourdis de bonheur qui pensent « que ça ne peut pas faire de mal après tout d’appuyer sur un bouton pour faire plaisir au vieux ». Sans le savoir, ils ressemblent de plus en plus aux auditoires de ces claques organisées les soirs de premières. Aux auditeurs de ces standings ovations bidon en festival. Ils ne sont plus que de banals spectateurs de soirées diapos. Ils s’emmerdent ferme, comme nous, mais eux ils n’oseront jamais le dire.



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Francois Tauriac est journaliste et éditeur

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