Ce soir, France 3 diffuse le dernier épisode de la 24ème saison de l’inspecteur Barnaby. Monsieur Nostalgie essaye de comprendre la mécanique télévisuelle du dimanche soir. Ses rites et son onde qui rappellent l’enfance !
Un dimanche devant la télé répond à des règles, un ordonnancement bien précis hérité d’il y a très longtemps, plus de quarante ans. Chaque petit Français, surtout si on était en hiver et s’il habitait loin des centres urbains et des loisirs à profusion, devait enjamber cette journée particulière, exagérément longue et interminable, inactive et accessoire où rien ne se passait. C’est parce que rien ne se passait, qu’aucun événement venait perturber la douce léthargie des existences raisonnables que la télévision capitale à notre survie en profitait pour nous imposer son rythme, ses répétitions, ses moments de dérapages plus ou moins contrôlés et son actualité molle. Nous étions prisonniers de cette grille et nous finissions par aimer cette rengaine infernale.
Le confort de l’habitude
Il ne fallait surtout pas s’amuser à intervertir les émissions ou à supprimer une série américaine, nous foulions les mêmes terres avec une régularité exemplaire. L’habitude est le confort des peuples jadis civilisés. La télé nous aidait à traverser cette journée de repos, les enfants et les vieillards subissaient alors le même traitement. Il n’y avait pas alors conflit générationnel car nous partagions les mêmes programmes. Les trois chaines structuraient notre espace d’évasion et nous apportaient sur un plateau des sujets de conversation. Cette journée sans fin, qui chaque dimanche, avait le même goût, le même parfum, la même couleur n’était pas un supplice pour autant ; au contraire, sa mécanique lancinante était une borne, un socle sur lequel nous pouvions laisser notre esprit dériver à la fainéante. C’était une aire sous contrôle, la mort ne nous attendait pas au tournant de la rue. Aucune surprise, aucun drame, aucune irruption désagréable de la réalité ne viendraient corrompre notre dimanche. Ce jour était figé à jamais dans des tons gris et vaguement somnolents. Et cette grisaille, nous l’avons comprise bien plus tard, n’est pas un signe d’aphasie, de tristesse ou d’abandon, elle serait plutôt une parka chaude qui protège et réconforte. Une Atlantide.
A lire aussi: Requiem pour la Corse
Nos dimanches n’étaient pas agressés par les infos en continu, par la déliquescence du monde extérieur, par le fracas des individus en proie à une violence exacerbée. La seule violence admissible à cette époque-là était Starsky et Hutch coursant des méchants au volant d’une Torino à bande blanche. L’ennui était le luxe des nations apaisées. Le dimanche 17 février 1985, par exemple, au hasard, nous nous calions dans un canapé et entamions un marathon télévisuel. Le sport était déjà roi. La gym tonic nous venait d’Amérique. Jean-Michel Leulliot officiait sur la Une et Robert Chapatte à Stade 2. Jacques Martin prenait l’antenne à 11 h 15 pour ne la rendre qu’à l’heure de l’apéro, Sacha Distel de sa voix de velours faisait tourner les têtes de nos grands-mères. Tout ça était prévisible, huilé, et hautement estimable.
Vieilles recettes
Notre dimanche roulait, les heures défilaient, rendant la perspective du lundi matin douce-amère, avec un mélange à la fois d’anxiété et d’excitation. La recette n’a pas changé. France 3 est fidèle à cette diésélisation des mentalités, nécessaire à l’édification d’un peuple heureux. Espérons qu’elle continue sur cette lancée et qu’elle n’invente pas un programme « disruptif », maladie sénile du progressisme. Ce soir, la chaîne publique diffuse le quatrième et dernier épisode de la 24ème saison de « Barnaby » intitulé « Un climat de mort ». L’inspecteur et son adjoint seront une fois de plus les piliers et les garants de notre sécurité. Dans Barnaby, série vendue partout sur la planète, les morts sont nombreuses et étranges, la résolution de l’enquête n’arrive qu’à partir du troisième ou quatrième cadavre. Le téléspectateur n’est pas pressé. Chez « Barnaby », la mort est anecdotique, elle a presque un ressort comique. Car nous savons qu’à Causton, dans le Comté de Midsomer, rien n’est vraiment vrai, ni grave. La série est tellement ancrée que John Barnaby (Neil Dudgeon) a remplacé son cousin Tom Barnaby (John Nettles) au bout de 13 saisons. L’alternance s’est faite sans un couac, nous avons même assisté à leur cohabitation. On ne badine pas avec la démocratie au Royaume-Uni. Aujourd’hui, on visite ce village comme le parc Astérix, des cars entiers veulent sentir l’ambiance frissonnante des cottages et d’un voisinage inquiétant. Une 25ème saison est en préparation. Nos dimanches sont donc sauvés !
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !