On touche un trait majeur de l’idéologie dominante quand on se rend compte qu’une même thèse peut être appliquée à des domaines très différents, pour des raisons relevant purement et simplement d’impératifs moraux, lesquels dessinent, en creux, une vision du monde fortement biaisée.
Pas d’individus déviants chez les gilets jaunes
C’est un fait que les gilets jaunes n’ont pas eu droit à leur « en marge »: les violences n’ont pas eu lieu « en marge de la mobilisation », comme le disent nos médias lorsqu’ils entendent maintenir leur soutien tacite à un mouvement. Ici, on a eu soin d’amalgamer au maximum casseurs et manifestants afin de discréditer les gilets jaunes, cette populace rétrograde et mal-pensante qui ne voulait pas payer son carburant plus cher, refusait l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h et vomissait les taxes en général.
Peu de choses à sauver dans ce mouvement, aux yeux de nos journalistes qui auront tout mis en œuvre pour le salir. Je tire mon chapeau à BFM TV pour une séquence mémorable dans laquelle on égrenait tous les groupuscules louches qu’on avait pu croiser parmi les gilets jaunes (copains de Dieudo, etc.), énumération qui se concluait par un gros plan sur de paisibles royalistes d’un certain âge, avant d’enchaîner sur des images de violences nocturnes, commentées ainsi par la voix off : « tous ces groupes se sont retrouvés le soir sur les Champs Elysées […] ». Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’il n’y avait pas beaucoup de royalistes parmi les messieurs qui ont lancé des trottinettes électriques à la tête des policiers.
D’autres catégories ont systématiquement droit à leur disculpation collective, grâce à la reconnaissance médiatique de l’existence, en leur sein, d’ « individus déviants ».
Les djihadistes : des individus déviants
On se souvient que les salafistes, en eux-mêmes, sont peu critiquables. Il ne faudrait tout de même pas établir de lien entre l’islam littéraliste et l’action terroriste: il existe, par exemple, un « salafisme quiétiste » (si j’ai bien saisi le concept, ce sont des gens qui approuvent les attentats mais ne sont pas dangereux car ils n’en commettent pas eux-mêmes, grosso modo). C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on nous propose systématiquement des émissions en mode « pourquoi a-t-il basculé ? », « qu’est-ce qui provoque le passage à l’acte ? » après chaque attentat. Ce n’est pas un problème communautaire, ce n’est pas un problème philosophique, religieux ou idéologique. C’est un problème lié à la présence d’ « individus déviants ». L’islam, même radical, n’est pas suspect de déviance. Une djellaba est moins inquiétante qu’un gilet jaune.
Les prédateurs : des individus déviants !
Première grande victoire de l’antispécisme, effacer des mentalités la notion de prédateur, ou plutôt, établir comme évidence que le seul prédateur sur terre est l’homme. On devrait dire « la femme et l’homme », parce que les antispécistes sont également antisexistes mais, bizarrement, on dit juste l’homme. De fait, l’affaire Weinstein nous a montré que la femme était également une proie, au même titre que les bébés phoques et les blanquettes de veau. Donc, « l’homme ». Le mâle humain n’est jamais un individu déviant: il est mauvais par nature. Le loup, non.
Si « le fascisme n’est pas d’interdire de dire mais d’obliger à dire » (Roland Barthes), qu’est-on obligé de dire sur le loup ? Je vous écoute. Oui, bien : « en fait, il n’est pas méchant, c’est lui qui a peur de nous, il ne mange pas les enfants, etc. » Implicitement : nos ancêtres étaient des menteurs ou des crétins. Au zoo de Peaugres, un tribunal fictif fait parler des animaux : on y voit de vilains calomniateurs bardés de préjugés accusant un loup d’avoir…
>>> Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux <<<
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