Comme toujours, on nous l’a joué à l’estomac. Des militants pacifistes, une population mourant de faim, une armée inhumaine. La lutte de David contre Goliath sans cesse recommencée – avec, circonstance aggravante, l’Etat juif dans le rôle de Goliath. Il a fallu reprendre son souffle pour ne céder ni à l’envie d’être dans le bon camp, ni à la tentation de se réfugier dans une confortable posture victimaire – « Ils ne nous aiment pas ». Il a fallu essayer de comprendre la partie sophistiquée qui se jouait derrière la belle histoire simple que narraient les médias du monde entier. À l’heure où nous bouclons, on en est encore loin. Une seule certitude partagée par tous les contributeurs de notre dossier, les uns pour le déplorer, l’autre − notre ami Rony Brauman − pour s’en féliciter : le Hamas et son parrain turc ont gagné la guerre des mots et des images. Celle qui compte. Au moins cette affaire aura-t-elle permis à la presse mondiale d’enrichir son vocabulaire, ainsi que l’observe drôlement François Miclo.
[access capability= »lire_inedits »]On a beaucoup parlé, à propos de cette flottille prétendument humanitaire, de la riposte disproportionnée d’Israël. Ce qui est disproportionné, en l’occurrence, c’est le déchaînement de haine anti-israélienne − et quand je dis anti-israélienne, je suis polie : pour la première fois, certains auteurs de messages antijuifs n’ont même pas pris la peine de se planquer derrière un pseudo. Trois jours d’indignation planétaire, des « unes » plus accablantes les unes que les autres pour l’Etat-pirate, des manifestations dans toutes les grandes villes de France, dont une à Strasbourg, qui a tenté de marcher sur la synagogue. Le réseau de cinémas – d’art et essai, donc subventionnés – Utopia décide courageusement de déprogrammer un film israélien dépourvu de tout contenu politique car « les cinéastes qui travaillent avec des fonds israéliens cautionnent, dans un sens, la politique de leur pays ». Soucieux de participer à l’édification des masses en dévoilant la barbarie israélienne, Utopia diffusera à la place un documentaire consacré à Rachel Corrie, pacifiste américaine de 22 ans, écrasée par un bulldozer israélien dans la bande de Gaza en 2003. Roland Dumas annonce des « Brigades internationales » contre Israël, un ministre turc explique que, pour son pays, c’est l’équivalent d’un 11-Septembre, Haaretz nous fait le coup d’Exodus – comme quoi la sottise bien-pensante est parfaitement mondialisée. Sans oublier, selon l’heureuse expression de Patrick Anidjar, « les experts en prise-d’assaut-de-flottille-humanitaire-en-zone-maritime-internationale, particulièrement nombreux et volubiles ». Le moins qu’on puisse dire c’est que les victimes d’Israël pèsent d’un poids très particulier dans la conscience mondiale.
Pacifistes armés de haches et de couteaux
On ne minimisera pas la gravité de l’affaire : neuf hommes sont morts. Et c’est effroyable même si ces pacifistes armés de haches et de couteaux étaient des combattants dans la guerre idéologique et médiatique – combat immédiatement récompensé par le titre de shahid, c’est-à-dire de martyrs. Osera-t-on rappeler que les raids de l’OTAN en Afghanistan font chaque semaine plus de dix morts civils ? Que l’armée turque a tué, il y a quelques jours, six militants kurdes ? Que le Hamas a liquidé plus d’une centaine de dirigeants du Fatah lorsqu’il a pris le contrôle de la bande de Gaza ? Y a-t-il eu des manifs quand des soldats israéliens ont été lynchés à Ramallah devant une foule en liesse ? Où étaient les grandes consciences ? Où étaient les donneurs de leçons ?
On me dira qu’envoyer l’armée contre une opération humanitaire est moralement inacceptable. Sauf que, si le but réel de l’opération était humanitaire, Free Gaza aurait accepté l’offre israélienne de transporter sa cargaison par la route. Affichage ostensiblement religieux avec chants islamistes et guerriers en prime, objectifs évidemment politique : l’opération « Flottille pour Gaza » est en rupture complète avec l’éthique des grandes boutiques humanitaires. Peut-être faut-il parler, à l’instar de Cyril Bennasar, d’opération « oummanitaire ». De fait, on ne comprend rien à toute cette affaire si on oublie que la Turquie se verrait bien en leader du monde musulman et doit, pour cela, faire oublier son alliance avec les juifs. Maintenant qu’il est passé dans le camp de leurs ennemis, peut-être Erdogan sera-t-il le fameux partenaire dont les Israéliens affirment avec constance –et, souvent une sacrée dose de mauvaise foi – qu’il n’existe pas.
Le monde entier solidaire du Hamas
En attendant, bien au-delà des habituels syndicats norvégiens et autres prix Nobel qui dénoncent avec gourmandise les « nouveaux camps de concentration » sous férule israélienne, le monde entier est solidaire du Hamas, dont l’objectif proclamé est d’instaurer la charia et de détruire son voisin. Rappelons que ce sympathique parti humanitaire est en guerre contre Israël, qu’il dispose de roquettes permettant d’atteindre Ashkelon et que le blocus lui a été imposé par Israël et l’Egypte avec l’approbation du Quartet (Etats-Unis, Russie, France, ONU) tant qu’il ne satisfera pas à des exigences minimales – reconnaissance d’Israël, renoncement à la lutte armée, acceptation des accords d’Oslo. Rappelons également qu’Israël a proposé de le desserrer en échange de la libération de l’otage Gilad Shalit. Non seulement, le Hamas n’a pas fait un pas mais, à l’évidence, fort du soutien d’une opinion mondiale chauffée à blanc, il va obtenir la levée du blocus. Au demeurant, c’est sans doute une bonne nouvelle, dès lors que ce blocus est politiquement désastreux et militairement intenable.
Reste que la détestation d’Israël semble interdire toute réflexion. Dans cette atmosphère survoltée, on a envie d’appeler tout le monde à la responsabilité, de rappeler aux amis des Palestiniens, à Cécile Duflot, à Olivier Besancenot, qu’on peut manifester pour toutes sortes de causes, mais pas avec n’importe qui, et qu’on peut dire beaucoup de choses mais pas avec n’importe quels mots. Quelles que soient les fautes voire les crimes des Israéliens, il faut rappeler que, pour une bonne part, leurs ennemis sont les nôtres. Les nôtres, à nous Français et Occidentaux.[/access]
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