Un spectre hante la France: l’indigénisme. Dans leur essai Français malgré eux, Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni déconstruisent brillamment le courant « décolonial » qui contamine aujourd’hui élites et banlieues. Et aggrave la décomposition nationale.
« Je voulais surtout réfléchir à ce que ça implique de centrer le regard phénoménologique sur les situations d’oppression et de domination. Non pas donc dans un but théorétique désintéressé, comme aurait dit Husserl, mais avec vraiment une motivation critique d’ordre politique, comme c’est le cas dans les approches phénoménologues du genre et de la race. »
Ce volapük est l’œuvre de la philosophe Marion Bernard [tooltips content= »Actes du colloque « Approches phénoménologiques du genre et de la race », organisé à la Sorbonne en juin 2018. »][1][/tooltips]. De telles excentricités, l’ouvrage d’Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni en regorge. Sous le titre Français malgré eux. Racialistes, décolonialistes, indigénistes : ceux qui veulent déconstruire la France (L’Artilleur), les deux plumes de Causeur signent un précis de décomposition française.
Attaquer l’indigénisme de front
Dans sa préface, Pascal Bruckner résume d’un trait la thèse centrale de l’indigénisme, à savoir que « les problèmes sociaux seraient d’abord des problèmes ethniques et les quartiers rien d’autre que nos nouveaux dominions ». Pour casser ce mythe, Nogaret et Biasoni n’ont pas choisi la facilité. Loin du pamphlet, leur démonstration remarquablement argumentée et référencée s’apparente à un travail universitaire. Si Français malgré eux a la méticulosité un poil tatillonne du normalien, son plan en deux parties obéit aux canons de Sciences-Po : à Sami Biasoni l’analyse théorique de la mouvance décoloniale, à Anne-Sophie Nogaret l’étude de son impact sur la France multiculturelle.
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Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école décoloniale ? Des élites franco-américaines sûres d’elles-mêmes et prétendument dominées. Dès les années 1960, l’université américaine engage un « tournant linguistique » qui abandonne la vocation scientifique des sciences sociales au profit de « la dimension narrative et langagière de l’histoire humaine ». « Gender, racial et subaltern studies » font la part belle aux exclus, groupes minoritaires et marginaux célébrés par les trois papes de la « French Theory » que sont Derrida, Deleuze et Foucault. Ces derniers déconstruisent la vérité objective à coups de pseudo-concepts abscons et stratosphériques – Deleuze compare par exemple le nomade du désert à l’immigré des grandes villes. Dans la lignée de Frantz Fanon, les militants décoloniaux théorisent une lutte des classes racialisée. Il en va ainsi de Houria Bouteldja, passionaria exaltée d’un islamo-indigénisme explicitement dirigé contre les « Blancs », éternels exploiteurs de la misère du monde. Quoiqu’ils s’en défendent, ses épigones promeuvent bien, sous couvert de revendications victimaires, un racisme biologique anti-Blanc. Imbibée de ressentiment, cette morale des vaincus réunit chercheurs sincères ou opportunistes « pétris de revendications protéiformes mêlant revendications raciales, anticapitalistes et libertaires » fortement rémunératrices sur les campus. Quoique la défense de certaines cultures ou religions soi-disant opprimées ne fasse pas toujours bon ménage avec les revendications homosexuelles, un courant intersectionnel réunit dans son lit cheveux bleus, voiles et keffiehs en instruisant le sempiternel procès de la colonisation.
Un combat qui se joue sur le terrain académique
C’est dans ce genre de symposiums pas piqués des vers qu’Anne-Sophie Nogaret a joué l’œil de Moscou. Ionesco ou Beckett se seraient délectés des joutes verbales entre le porte-parole de la Brigade anti-négrophobie et une féministe qui, quoique anti-Blancs, n’en fustige pas moins le « virilisme » des « racisés ». Leur drôlerie involontaire aurait peut-être mérité un chouïa de sarcasmes. Mais Nogaret et Biasoni ont la légitime ambition de combattre leurs adversaires sur le terrain académique qu’ils ont progressivement colonisé depuis une quinzaine d’années. Ils ne rigolent pas.
De lycées en prisons, d’hôpitaux en centres sociaux, Nogaret a recueilli des témoignages édifiants autour d’un même constat : les enfants d’immigrés afro-maghrébins ont assimilé l’ethnodifférentialisme indigéniste. Attachés au respect de traditions qu’ils ignorent, ces jeunes considèrent les Français comme une race dont ils seraient exclus. Certains claironnent : « On sait pourquoi on est en France ! C’est pour la CAF ! » Intuitivement, des petites têtes brunes opèrent une distinction radicale entre appartenances culturelle et nationale, se considérant comme des Français de papiers victimes du « racisme d’État ».
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Surfant sur ces lamentos, les propagandistes de la race appliquent la fameuse méthode Alinsky pour instiller leur venin en mobilisant un groupe contre un ennemi commun. Sans s’économiser, ils s’investissent dans le travail social au service de leur cause, du porte-à-porte en HLM au lancement de pétitions contre le maire en cas de panne chronique d’ascenseur.
Dans ces territoires perdus pour la France, l’immigration massive a produit des ghettos ethnoculturels où, faute de socle commun national, élèves et pions musulmans comme Gaulois déculturés « ramènent tout à la race et à la religion ». Enjoignant les professeurs à respecter leurs totems et tabous, ces gardes verts réfutent en vrac théorie de l’évolution, rationalité cartésienne et liberté de conscience. À force de buter contre des « parents démissionnaires et résignés », la plupart des enseignants finissent par adapter leur discours aux origines de leur auditoire. Si ces hussards noirs adhèrent majoritairement aux valeurs de la gauche sociétale, ils se gardent bien de chercher à sensibiliser les banlieues à l’intersectionnalité LGBT et du « Gender Fluid ». C’est plutôt dans les facultés que ce dernier courant gagne chaque jour du terrain. Jusqu’au fin fond de la province, y compris en filières scientifiques, des étudiants peu politisés se laissent convaincre par une idéologie aussi hégémonique que l’était le gauchisme des seventies. À Lyon 2, non content d’employer l’écriture inclusive, le département d’anthropologie, de sociologie et de science politique a instauré dans ses statuts l’usage du « féminin générique ». Le poste de « directrice » est ainsi occupé par un certain… David G. À se (la) tordre !
Heureusement, il arrive qu’une lueur d’espoir surgisse dans la nuit. Lors d’un débat suivant la présentation du livre de Norman Ajari, universitaire militant du PIR, Étienne Balibar s’est en effet agacé de l’injonction d’un spectateur à « tuer le philosophe blanc hétérosexuel ». Et le vieux mandarin d’extrême gauche de souligner l’ancrage occidental de la pensée de cet « afro-descendant » : « Il n’y a pas une seule construction de pensée, pas une seule critique dont vous pourriez dire : “Ah oui, là, ça vient du fond de l’Afrique !” » La vérité sort parfois de la bouche des barbons.
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