Début mai, la « Bandung du Nord » a rassemblé à Saint-Denis Indigènes de la République et militants gays ou transgenres. Mais leur commune détestation du mâle sioniste hétérosexuel blanc n’a pas estompé la profonde homophobie du courant islamo-indigéniste.
La « Bandung du Nord » organisée à Saint-Denis du 4 au 6 mai se voulait une réplique de la conférence éponyme qui en 1955 a amorcé la fin de l’ère coloniale. La colonisation est bien sûr le concept-fétiche des organisateurs indigénistes de la rencontre, qui le vident cependant de toute dimension historique. Pour eux, la France est par essence un État colonial, où le « racisme systémique » voue de toute éternité les « Blancs » à dominer les « racisés ». En effet, la « race » est omniprésente chez ces antiracistes. À en croire les membres et sympathisants du PIR (Parti des indigènes de la République), pour la plupart passés par les campus américains et les études de « théorie critique raciale », il n’y aurait nul racialisme, nul racisme à reprendre ce terme. La « blanchité », comme la « race », renvoie, disent-ils, à « un rapport social de domination ». Sémantique biologisante de la « race », sémantique politique de la « domination », l’indigénisme repose sur une confusion conceptuelle dont la logorrhée prétentiarde qu’affectionnent ses adeptes dissimule mal les points aveugles : un tropisme antisémite, homophobe et sexiste, une proximité avec l’islam politique, régulièrement pointés du doigt.
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Au programme de la « Bandung du Nord » figurent donc quelques intitulés prometteurs : « Lutte intersectionnelle décoloniale », « Les effets dévastateurs du colonialisme sur le genre et la sexualité ». Quoiqu’on ait pu dire sur l’homophobie indigéniste, ce samedi 5 mai, la convergence des luttes avec les militants de la cause homo et trans est bel et bien à l’ordre du jour.
« L’homme arabe qui fait son coming out homosexuel, c’est un acte de soumission à la domination blanche. »
Arrivée de bon matin, je remarque en effet dans l’assistance quelques jeunes gens « racisés » dont l’aspect indéfini (« dégenré », diraient-ils sans doute) suscite un sentiment d’étrangeté. Je comprends qu’il s’agit de jeunes filles et de jeunes hommes en voie de transformation sexuelle. Étonnant quand on lit ce qu’expose la cofondatrice du PIR dans son opus Les Blancs, les Juifs et nous : « L’homme arabe qui fait son coming out homosexuel, c’est un acte de soumission à la domination blanche. » Si l’homosexuel qui ne se contente pas de l’être clandestinement mais s’assume comme tel face à la société est aux yeux de Houria Bouteldja un traître à sa race, un vendu aux Blancs, qu’en est-il alors du transsexuel ? Dans l’assistance, un couple maghrébin, la vingtaine, me suggère une réponse possible. Elle, voilée, chemise et jupe longues, « lui » en plein devenir, arborant quelques poils au menton qui ne dissimulent pas vraiment son appartenance originelle au sexe féminin. L’islam frériste constituerait-il le point de passage entre indigénisme et LGBT ? Paradoxalement, l’hypothèse se tient : du point de vue religieux, ne vaut-il pas mieux présenter l’apparence classique d’un couple hétéro, fût-elle le fruit de l’artifice, que d’exhiber à la face du monde des relations strictement homophiles ? En effet, si la tradition prophétique est sans ambiguïté sur ce dernier point, au moins pour ce qui est des hommes, on peut douter qu’elle statue sur le cas d’une femme devenant homme… Lequel par défaut tombe du côté du licite. Finement joué : madame devenue monsieur ou inversement, on peut roucouler hallal.
La première table ronde, consacrée aux racismes « intracommunautaires », démarre. Deux jeunes Asiatiques ont été invités, signe visible d’une extension du domaine des « racisés ». Car, bizarrement, les indigénistes jusqu’alors omettaient de compter les Asiatiques dans la communauté des ex-mais-toujours-colonisés. Voilà l’oubli réparé. Une jeune fille en robe à pois, un jeune homme masqué comme un antifa occupant Tolbiac représentent le « Comité asiatique décolonial ». A la voix grave de la jeune fille succède le timbre haut perché du jeune homme. Petit flottement dans l’assistance, puis soulagement : « Oppression blanche », « racisme d’état », « crime policier », « mythe de l’Asiatique inventé par les Blancs dominants », l’immuable glose indigéniste que dévident les deux jeunes gens rassure. On retrouve ses repères. Quant aux organisateurs et participants de la tribune, yeux et tête baissés, pouces en hyperactivité, ils sont rivés à l’écran de leur smartphone.
Le sioniste « a considéré la Palestine comme une terre vierge, sans peuple, un espace vide, donc un symbole du vagin disponible pour la pénétration »
À la pause de midi, sur la parcelle de gazon qui jouxte le bâtiment, quelques hommes prient. La convergence des luttes ne reprend qu’en fin d’après-midi, avec un forum consacré aux « effets du racisme sur les féminités et les masculinités opprimées : comment les articuler et les combattre ensemble ? » On va enfin entrer dans le dur du sujet intersectionnel. La tribune est pour le moins contrastée : Paola Bacchetta, féministe et professeur d’études de genre à Berkeley a facétieusement été placée à côté d’Ismahane Chouder, militante voilée anti-avortement, copine des catholiques intégristes d’Alliance Vita, soutien de la Manif pour tous. Ignorant sans doute le CV de sa voisine, Paola attaque fort : « La logique binaire homme-femme, hétéro-homo vient du colon, qui a créé de la misogynie systémique et injecté la notion de genre binaire. » Jusque-là, tout va bien. Mais Paola, toute à son souci de filer la métaphore, s’emballe. Le sioniste, ce colon par excellence, « a considéré la Palestine comme une terre vierge, sans peuple, un espace vide, donc un symbole du vagin disponible pour la pénétration : une image qui assimile l’occupation au viol intersexuel et interracisé. » Là, elle va trop loin : Chouder se lève et s’en va, de même que la militante Sihame Assbague, qui se définit comme « féministe intersectionnelle ». Bravement, Paola continue, accrochée à ses feuilles, seule. Il faut croire que la féminité-passivité sexuelle du frère palestinien symboliquement violé par le colon sioniste contrarie dans les deux sens du terme le logiciel décolonisateur. La convergence indigéno-LGBT s’éloigne.
Vie et mort de la convergence des luttes
Après la discussion avortée, un jeune homme asiatique, apparemment homosexuel, intervient : hormis Paola, les intervenants ont tous confondu sexe et genre ! En réalité, conclut-il mystérieusement, « on instrumentalise les féminisations contre les hommes noirs ». Franco Lollia, de la Brigade anti négrophobie, qui eût fait un excellent prêcheur s’il n’avait été rappeur, rétorque : « Que le contrôle juridique, que le contrôle au faciès viennent nous émasculer, c’est une réalité ! Que ça vous plaise ou non ! La neuro-colonisation produit cette réalité ! » La tension monte. Si le contenu du discours est confus, l’attitude corporelle et le ton employé délivrent en revanche un message sans ambiguïté : le virilisme islamo-indigéniste s’accommode très mal de l’homosexualité.
Une demi-heure plus tard, Paola est debout face à l’assistance avec, à ses côtés, un autre intervenant. Ils sont là pour s’excuser : leurs propos ont choqué. Paola, toujours brave, dit humblement que c’est très bien, les divergences. Que c’est toujours enrichissant, les désaccords. Et qu’elle a beaucoup appris aujourd’hui. Son mea culpa est accueilli par de rares et brefs applaudissements. Son voisin, Azzedine Badis, lui aussi désigné à la vindicte, conclut : « Il faut absolument prendre en compte la question des masculinités subalternes si nous voulons dépasser les oppressions de genre. » Homosexualité = masculinité subalterne, donc. La convergence des luttes indigénisto-LGBT vient de mourir en direct. Avant d’avoir vu le jour.