Des chaînes de mails continuent de circuler, affirmant qu’on nous cache la vérité. Hurler au complotisme n’y change rien, au contraire.
L’intense joie de la réouverture solennelle de la cathédrale passée, voilà que se ravive le foisonnement des interrogations qui, dès les premiers jours, en avril 2019, avait déferlé sur les réseaux sociaux et dans les conversations des dîners en ville. Le sinistre était-il dû à une cause naturelle ou un acte de malveillance, à une action terroriste ?
Or, très vite – trop vite, peut être bien – l’hypothèse d’une intention criminelle devait être officiellement écartée par les autorités. « Les premiers rapports des pompiers et des enquêteurs sur place ont rapidement exclu l’hypothèse d’un acte volontaire » pouvait-on lire dans l’ensemble de la presse les jours suivants. D’ailleurs, l’enquête immédiatement ouverte annonçait la couleur. Elle porterait exclusivement sur la « destruction involontaire par incendie. » Involontaire, on évacuait donc d’emblée du champ des investigations toute intervention humaine malveillante. C’était évidemment aller vite en besogne, cela à un moment où, tout naturellement, on n’avait à fournir aucun argument dûment étayé par les faits pour se permettre de trancher aussi péremptoirement. En règle générale, il n’y pas mieux pour susciter la suspicion que la précipitation qu’on met à chercher à rassurer les populations. On ne sait rien encore de l’évènement, du drame, de ses tenants et aboutissants qu’on exclut délibérément tout un champ possible d’explications. Cela a toujours l’effet inverse à celui recherché, puisque l’affirmation ne peut sembler que gratuite tant qu’on ne dispose pas d’arguments solides, vérifiables capables de la rendre absolument indiscutable. J’ai le souvenir d’un drame sur lequel j’ai beaucoup travaillé : la mort de Pierre Bérégovoy, survenue le 1er mai 1993. Il n’était pas encore admis à l’hôpital de Nevers, aucun examen n’avait donc été pratiqué, aucun acte d’enquête mené, que les dépêches officielles – oui, officielles, Préfecture de la Nièvre, Palais de l’Élysée – affirmaient qu’il ne pouvait s’agir que d’un suicide. Là aussi, la précipitation ne fit évidemment que susciter la défiance.
Cinq ans après l’incendie de Notre-Dame, il semble bien qu’aucune réponse technique, scientifique, prouvant sans conteste possible la thèse accidentelle n’ait été apportée, réduisant une fois pour toutes à néant le soupçon d’intention criminelle. Et c’est ainsi que, ces deniers jours, refleurissent les mises en doute. Là, encore, une initiative prise dans les débuts n’aura réussi qu’à nourrir le feu latent : les sceptiques, les non convaincus par la « vérité » imposée se virent exclus des réseaux sociaux. Initiative maladroite et surtout stupide. Aujourd’hui, donc, les réserves émises alors refont surface, provenant souvent, reconnaissons-le, de personnes ayant une certaine expérience, soit de ces chantiers d’exception, des réglementations rigoureuses, voire tatillonnes, qui les régissent, ou encore disposant d’une expertise des incendies proprement dits, leur apparition, leur propagation, leur aspect selon les matériaux concernés.
Bien entendu, pour circonstanciées, argumentées qu’elles soient ces mises en cause ne constituent en aucune façon une preuve suffisante. Loin de là. Et pour ma part, je me garde bien de donner dans cette précipitation à conclure que je me permettais précisément de reprocher aux autorités dans leurs affirmations des premières heures. Il me semble seulement que, devant cet incendie, ce désastre, relevant de notre histoire au sein de laquelle il tiendra à jamais une place considérable, on ne peut pas – et on ne doit pas – clore si tôt et surtout avec une telle apparence de légèreté, la recherche de la vérité. Enfin, de grâce, qu’on n’aille pas se défausser en hurlant au complotisme. Car jamais aucune question, si dérangeante, si iconoclaste soit-elle ne saurait être reléguée sans examen dans cette poubelle-là. Jamais. Les réponses sont parfois de ce tonneau-là. Jamais aucune question. Toutes doivent avoir droit de cité, ne serait-ce que par esprit de méthode.