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In the court of Philippe Vilain

Les Dessous Chics


In the court of Philippe Vilain
DR.

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Lille. Comme à Amiens : un samedi après-midi pluvieux, humide et noirâtre comme le museau d’une tanche. Je me suis réfugié dans un café, près du quartier de Wazemmes ; il y fait bon et doux comme dans le cou de ma Sauvageonne, mon amoureuse. Je commande un expresso.

Il n’y en a pas l’après-midi, me répond le garçon, jeune et brun, au sourire estudiantin. On fait juste des allongés.

Va pour un allongé ! Faute de m’allonger, je m’assois ; pas n’importe où : à une table qui renferme, façon vitrine, une machine à coudre Singer. Original. Mes pieds reposent sur une manière de plateau qui doit servir à actionner la bête de métal sombre. Ça me plaît bien ; je ne sais pas pourquoi. Ça doit me rappeler les temps anciens ; des copines de ma mère en possédaient. Des femmes de cheminots de Tergnier (Aisne) qui arrondissaient les fins mois en exerçant leurs talents de couturières. Ma mère, elle, bossait chez Bigoudi, une usine de confection, puis comme vendeuse au Prisunic local. Ce fut dans ce dernier magasin qu’un jour de printemps de 1968, j’achetais mon premier disque pop, « Oh Lord, My Lord », des Pop Tops, un groupe espagnol. J’avais opté pour ce single car il y avait le mot « pop » dans le nom de la formation. C’est si loin tout ça. Quelques gorgées d’allongé et mon attention est attirée par la bande son programmée dans le bistrot. Très sixties et seventies. Le presque vieillard que je suis adore. Soudain la chanson « In the court of Crimson King », de King Crimson, explose dans l’estaminet. La guitare de Robert Fripp ; le mellotron. Tout me revient dans la tronche. Je me revois chez Odette, café de Saint-Quentin (Aisne), fief des élèves du lycée Henri-Martin où je faisais mes humanités. Nous nous y retrouvions, nous les apprentis musiciens, guitaristes minuscules, batteurs, violonistes virtuoses (dont Pierre Blanchard qui fit ensuite carrière), multi-instrumentiste arrangeur (le regretté Hugues Le Bars – père du chanteur Féloche -, qui s’illustra quelques années plus tard au côté de Maurice Béjart). La nostalgie m’envahit. Odeur du Casanis que nous consommions en abondance. J’ouvre Mauvais élève, magnifique dernier récit de Philippe Vilain (Robert Laffont ; 246 p.) Une fois encore, plongée dans le passé. Philippe y raconte avec une sincérité désarmante son enfance, son adolescence et sa vie de jeune adulte au sein d’une famille normande d’origine très modeste. L’alcoolisme du père ; les pleurs de ce dernier quand le pavillon familial est saisi par la justice. C’est bouleversant. Il évoque son orientation vers les formations professionnelles et administratives où il s’ennuie jusqu’au jour où il découvre la littérature (dont Marguerite Duras), la lecture et l’écriture. Survient alors sa passion avec un écrivain célèbre : Annie Ernaux.

Elle est beaucoup plus âgée que lui. Qu’importe ! Ils s’aiment ; ils cheminent. Elle l’entraîne dans sa sublime maison de Cergy-Pontoise qui n’a rien à voir avec les habitations bétonnées de la ville nouvelle. Elle se dit du peuple ; il se rend compte qu’elle est, en fait, issue de la petite bourgeoisie commerçante. Le vrai fils de prolétaires, c’est lui. « Mon histoire est celle d’un miraculé social », écrit-il. Ils finiront par se séparer. Trois jours plus tard, je me plongeai dans la lecture de Coco perdu, de Louis Guilloux, réédité en poche chez Folio, avec une préface d’… Annie Ernaux. Étrange coïncidence, vous ne trouvez pas ?

Mauvais élève

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Il a publié une vingtaine de livres dont "Des Petits bals sans importance, HLM (Prix Populiste 2000) et Tendre Rock chez Mille et Une Nuits. Ses deux derniers livres sont : Au Fil de Creil (Castor astral) et Les matins translucides (Ecriture). Journaliste au Courrier Picard et critique à Service littéraire, il vit et écrit à Amiens, en Picardie. En 2018, il est récompensé du prix des Hussards pour "Le Chemin des fugues".

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