Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des finances de Louis-le-quatorzième, fut en son temps l’un des plus illustres défenseurs des thèses mercantilistes. Il donna même post-mortem son nom à l’une des variantes du mercantilisme.
Le mercantilisme, c’est une conception de l’économie qui se fonde sur l’idée qu’il n’est de richesse que d’or et d’argent. La quantité d’or et d’argent disponible dans la nature étant – sauf alchimie – finie, il s’ensuit en bonne logique que la quantité de richesse présente dans le monde est elle-même finie. La conclusion mercantiliste, dans sa forme espagnole (le bullionisme) ou française (le colbertisme), c’est qu’un pays ne peut s’enrichir qu’en exportant plus qu’il n’importe. Pour Colbert, il incombait à l’Etat de faire en sorte que la France accumule le plus possible de métaux précieux en subventionnant les entreprises exportatrices et en taxant lourdement les produits importés. Autrement dit, en faisant du protectionnisme.[access capability= »lire_inedits »]
Les expériences mercantilistes furent – du point de vue des gens ordinaires[1. Colbert lui-même, comme Mazarin, mourut immensément riche, cela va de soi] – un échec. Au cours du XVIIe siècle, les Anglais et les Néerlandais – qui avaient au contraire opté pour le libre-échangisme – s’enrichirent de 28 % et 54 % respectivement tandis que Français et Espagnols voyaient leur niveau de vie stagner[2. La plupart des chiffres de cet article sont basés sur les séries historiques du très regretté Angus Maddison (qui nous a quittés en début d’année)] et leurs impôts monter[3. « L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris. » (Jean-Baptiste Colbert)]).
« Zombie economics » ou le retour des idées mortes
Or aujourd’hui, des deux cotés de l’Atlantique, il semble que le mercantilisme soit de retour. Un peu comme un zombie, cette conception antédiluvienne et grossière de ce qu’est une économie envahit le discours politique et la une des médias. Du Front (de gauche) au Front (national) en passant par Causeur, on nous explique à coup de slogans à faire rougir de jalousie les vendeurs de lessive qu’il faut de toute urgence réinstaurer des barrières douanières – c’est-à-dire des taxes sur les produits importés – pour protéger notre industrie nationale et rétablir notre balance commerciale ; on dénonce les ravages de la mondialisation sauvage, la prédation du capital apatride. Il est donc temps de remettre quelques pendules à l’heure.
D’abord, la mondialisation est un phénomène au moins aussi vieux que la route de la soie et la flotte commerciale phénicienne. Ce qui a changé ces dernières années, c’est l’échelle du phénomène. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement d’internationalisation des échanges s’est considérablement accéléré, en partie grâce à la baisse des coûts de transport mais, surtout, grâce à la réduction considérable des droits de douane un peu partout dans le monde – c’est-à-dire à l’abandon des politiques protectionnistes. Pour ce dernier point, on peu même fixer une date précise : la signature par 13 pays des premiers accords du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT, Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), à Annecy, en 1949.
À quoi ressemblent donc les affres de la mondialisation ? Ce que nous disent les chiffres, c’est que, de 1950 à 2008, le niveau de vie moyen de nos semblables à l’échelle planétaire a été multiplié par un facteur de 3,6. Jamais dans l’histoire de l’humanité, autant de gens ne s’étaient autant enrichis aussi vite – plus en soixante ans qu’en deux siècles de révolution industrielle (1700-1900). À force de l’entendre répéter, beaucoup d’entre vous, chers lecteurs, ont le sentiment que cet enrichissement s’est fait chez les autres et à nos dépens. Eh bien non, sur la même période, le niveau de vie des Français a été multiplié par un facteur de 4,3. Vous pensez que les victimes sont chinoises ? Perdu : de 1950 à 2008, le niveau de vie des Chinois (qui partaient de loin…) a été multiplié par 15. Ne cherchez pas de perdant : il n’y en a pas. Dans tous les pays du monde, les gens se sont enrichis – plus ou moins. Depuis soixante ans, les famines disparaissent, la mortalité infantile est en chute libre, l’espérance de vie augmente.
Les génies au travail
Mon Dieu ! Notre balance commerciale est déficitaire : Quelle horreur ! Chez nos amis mercantilistes, si nous importons plus que nous exportons, ça veut dire que nous nous appauvrissons. Disons le sans détour : une telle conception de l’économie relève de l’analphabétisme. C’était excusable à l’époque de Colbert, mais plus maintenant. Reprenons. La richesse produite par une économie n’est pas une quantité finie. Ce qu’ont démontré la révolution industrielle et la naissance du capitalisme moderne, c’est que nous pouvons durablement nous enrichir et améliorer les conditions de notre existence sans appauvrir personne. Un pays comme la France produit énormément de richesses de manière purement autonome[4. Pour une entreprise, ses salariés et ses actionnaires, que la production soit vendue dans le Cantal ou en Indonésie ne fait aucune espèce de différence]. Que nous utilisions une partie de cette richesse pour acheter des biens ou des services à l’étranger ne nous appauvrit nullement. Au contraire : votre niveau de vie ne dépend pas seulement du montant inscrit sur votre feuille de paie mais aussi du prix que vous devez débourser pour payer les choses que vous achetez. Vouloir protéger notre marché national, c’est reprocher aux entreprises chinoises de nous vendre des produits trop bon marché. C’est stupide !
La première victime d’une politique protectionniste sera notre pouvoir d’achat et, plus particulièrement, celui des plus modestes d’entre nous qui comptent justement sur ces produits importés moins onéreux pour boucler leurs fins de mois. L’idée selon laquelle des barrières douanières nous permettraient de récupérer les industries délocalisées en Chine est une imbécillité : en faisant monter les prix, nous réduirons la taille du marché et ne récupèrerons qu’une fraction de cette activité – celle qui peut survivre dans un marché de la taille de la France. Au passage, nous pénaliserons toutes les entreprises qui importent et distribuent des produits chinois et inciterons Pékin à imposer, à son tour, des taxes sur nos produits cosmétiques, nos vins et spiritueux, nos voitures etc.
C’est l’art des politiques – qui ne vivent et ne respirent que pour être réélus – de vendre la soupe la plus appétissante possible, même si elle est empoisonnée. Après des décennies de politiques économiques volontaristes qui ont toutes été des échecs patents, ils en sont aujourd’hui réduits à réveiller le zombie pluri-centenaire du mercantilisme.
Quand un libéral critique la politique économique d’un gouvernement dirigiste, il y a toujours quelqu’un pour lui demander par quoi il la remplacerait. Et vous, s’il y avait le feu dans votre maison, par quoi le remplaceriez-vous ?[5. Celle-là, je l’ai volée à Thomas Sowell. Ma note s’alourdit…][/access]
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