Les données démographiques suédoises sont obtenues à partir des registres de population. Dès qu’un type d’information est collecté dans la base, les données sont produites annuellement avec une régularité et une promptitude que l’on n’observe pas dans un pays comme la France. Ainsi, les informations sur l’année 2016 sont d’ores et déjà disponibles sans aucun caractère provisoire. Mais, en fonction des évolutions démographiques, Statistics Sweden a modifié sa production et/ou sa diffusion, et notamment sur les questions migratoires. C’est ainsi qu’elle collecte et met en ligne des données annuelles sur les étrangers depuis 1973, sur les nés à l’étranger depuis 2000 (avec une rétrospective décennale depuis 1900) et sur les populations d’origine étrangère depuis 2002.
Ajoutons que la disponibilité de Statistics Sweden pour répondre aux questions, orienter et fournir des données non accessibles dans la base de données est sans égale. Pour chaque tableau tiré dans la base de données, figurent un numéro de téléphone, l’adresse mail de la personne responsable et plus généralement celle du service « information ». Lorsqu’on prend contact, on obtient une réponse rapide qui s’accompagne toujours de la formule : « Please feel free to contact us if you have any further questions. »
150 000 Syriens en Suède, l’équivalent de près d’un million en France
La définition suédoise est différente de celle utilisée en France. En Suède, les immigrés correspondent à l’ensemble des personnes nées à l’étranger, indépendamment de leur nationalité actuelle ou antérieure. Celle que j’appelle première génération née dans le pays d’accueil et que l’on dénomme habituellement deuxième génération est composée des personnes nées en Suède de deux parents nés à l’étranger alors qu’en France un seul parent peut l’être (schéma ci-dessous). La définition suédoise de cette génération ne retient donc pas les personnes nées en Suède d’un seul parent né à l’étranger. Mais, la Suède va aussi au-delà en proposant un décompte plus détaillé permettant de distinguer selon qu’un seul ou les deux parents sont nés à l’étranger. Néanmoins, même comme cela, le champ couvert par la Suède n’est pas le même que celui couvert par la France, en raison de la définition extensive des immigrés, qui est aussi celle des Nations unies. Il est plus large que celui de la France et les données ne sont pas comparables sans précaution.
Il faut ajouter que Statistics Sweden et/ou les autorités suédoises ont hésité. La publication annuelle de données démographiques qui m’a été aimablement communiquée pour les années 2002-2009 montre un changement de pied. En 2002, le tableau par origine compilait des données sur les nés à l’étranger et sur ceux nés en Suède d’au moins un parent né à l’étranger, ce qui rapprochait la Suède de la définition française. Mais, dès 2003, le même tableau ne retient plus que les nés à l’étranger et les nés en Suède de deux parents nés à l’étranger. Je ne sais ce qui a motivé ce changement de pied. Heureusement, Statistics Sweden offre, on l’a dit, le choix sur son site pour opter pour l’une ou pour l’autre définition. Nous retiendrons la définition la plus large.
Les deux définitions ne montrent pas la même évolution. Le nombre de personnes nées en Suède de deux parents nés à l’étranger a beaucoup plus augmenté entre 2002 et 2016 que celui des personnes nées en Suède d’un seul parent né à l’étranger (+76 % contre +34 %). L’écart entre la définition stricte et la définition large a donc eu tendance à se réduire. L’évolution par origine explique une bonne partie de cette tendance, les Européens se faisant relativement moins nombreux.
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Au début des années 1960, la Suède n’avait rien d’un pays d’immigration : 4 % seulement des habitants étaient nés à l’étranger et presque tous étaient originaires d’Europe, des pays nordiques principalement (de Finlande surtout). L’immigration était donc une immigration de voisinage.
Vont s’y ajouter, au fil du temps, des Yougoslaves, des Polonais, des Turcs, des Éthiopiens, des réfugiés vietnamiens, chiliens, iraniens… En 1990, la Suède compte déjà une petite diaspora d’environ 40 000 personnes nées en Iran contre à peine plus de 400 en 1970. Une diversification progressive des demandeurs d’asile va apporter des étrangers en provenance de Bosnie, d’Irak, de Somalie, d’Afghanistan, de Syrie. La Suède comptait une centaine de personnes nées en Somalie en 1980, elle en compte 13 000 vingt ans plus tard et près de 64 000 fin 2016. Au début des années 2000, bien avant la guerre, la Suède abritait déjà un peu plus de 14 000 personnes nées en Syrie. Le conflit a grossi considérablement leur nombre : elles sont près de 150 000 en 2016, soit presque autant que le nombre de personnes nées en Finlande. Il faut multiplier par 6,5 pour avoir une idée de ce que cela donnerait en France. 150 000 personnes enregistrées comme nées en Syrie, c’est l’équivalent de près d’un million en France !
De 2000 à 2016, le nombre de personnes nées à l’étranger a augmenté de 80 % en moyenne. Le nombre annuel d’entrées d’étrangers a été multiplié par 3,3, le solde migratoire par 4. La contribution la plus importante n’est pas celle des voisins européens. Hors Europe, le nombre d’entrées a été multiplié par 5,6 et le solde migratoire par 6,7. En 2016, il est entré près de 122 000 étrangers venant d’un pays situé en dehors de l’Europe, alors qu’il n’en est sorti que moins de 13 000, laissant un solde migratoire de 109 000. C’est l’équivalent d’un solde légèrement inférieur à 710 000 en France. Si l’on y inclut les étrangers venus de pays européens le solde est proche de 119 000 en Suède, pour l’ensemble des étrangers. À comparer à un solde migratoire des immigrés de 174 000 en 2015 (estimation provisoire de l’Insee), dans une France qui compte, en 2016, 6,5 fois plus d’habitants. Comme l’indique le graphique ci-dessous, le flux en provenance de pays situés en dehors de l’Europe était d’un niveau beaucoup plus proche de celui en provenance d’Europe au début des années 2000. Il s’est littéralement envolé ensuite et les deux dernières années ne font qu’accentuer cette tendance.
La Suède, pays d’accueil par excellence des migrations humanitaires, a connu, dans les années 1990, l’arrivée de demandeurs d’asile en provenance des Balkans. En février 2017, sur la BBC, lors de l’émission Sunday Politics, une parlementaire suédoise, Laila Naraghi, soutenait, face à un Douglas Murray perplexe, que la Suède les avait fort bien intégrés et qu’il en irait de même avec les nouveaux réfugiés accueillis[tooltips content=’This is the content for the tooltip bubble‘]1[/tooltips].
Un potentiel d’accroissement très important
Je n’ai eu accès aux données sur les populations d’origine étrangère par pays d’origine que pour les années 2011-2012-2014-2015-2016 (au 31 décembre). Si l’on place sur un même graphique les données sur les personnes en provenance des Balkans (hors Turquie et Roumanie[tooltips content=’Comprenant des pays qui font désormais partie de l’UE, tels que la Bulgarie, la Croatie, la Grèce et la Slovénie.’]2[/tooltips]) et des pays d’où sont partis récemment les demandeurs d’asile, on a une petite idée de la dynamique démographique suscitée par ces flux migratoires et de la distance qui sépare la vague balkanique de la nouvelle vague en provenance d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak, de Syrie, de Somalie et d’Érythrée[tooltips content=’Dont les flux, pour certains, ont commencé dans les années 1990.’]3[/tooltips]. La nouvelle vague prend une tout autre ampleur que la précédente et vient de contrées aux modes de vie très éloignés des modes de vie suédois. Même si la Suède a freiné cette vague en fermant sa frontière avec le Danemark, puis a retouché sa loi sur l’asile en rendant plus difficile l’installation définitive et la venue de la famille[tooltips content=’S’appliquant aux personnes arrivées après le 24 novembre 2015, hors quotas du HCR, limitant à trois ans le premier titre de séjour pour le statut de réfugié et à treize mois pour une protection subsidiaire. Le renouvellement est conditionné par la persistance des risques encourus dans les pays d’origine. Un permis de séjour permanent pourra être délivré au bout de trois ans à ceux qui auront une activité professionnelle couvrant les besoins de base. Les regroupements familiaux seront rendus plus difficiles pour ceux qui en feront la demande trop tard (plus de trois mois après l’obtention du titre de séjour).’]4[/tooltips], les 660 000 personnes d’origine étrangère en provenance de ces pays, d’ores et déjà présentes, ont un potentiel d’accroissement très important, mêmes si les arrivées devaient se faire beaucoup plus rares.
Ces nouveaux pays représentent déjà à peu près l’équivalent, en termes relatifs, de la population d’origine maghrébine en France (4,3 millions ; la population d’origine maghrébine, dans la définition française, sur deux générations était estimée à 3,8 millions en 2011), résultat d’une accumulation des effets démographiques de l’immigration maghrébine sur plusieurs décennies.
La population d’origine étrangère sur deux générations, dans la définition suédoise étendue, est sans doute aujourd’hui la plus importante de l’UE en termes relatifs, avec 30,6 %, contre 21,4 % en 2002. Depuis 2002, le nombre de ceux qui sont nés à l’étranger s’est accru de 69 %, celui des nés en Suède d’au moins un parent né à l’étranger de 49 %, soit un accroissement de 60 % pour la population d’origine étrangère en Suède en 14 ans. Pendant ce temps là, la population d’origine suédoise sur deux générations a légèrement diminué (-1 %). La population d’origine étrangère a gagné 1,1 million de personnes quand celle d’origine suédoise en a perdu 94 000.
Le ratio nés en Suède d’origine étrangère/nés à l’étranger a baissé, en raison de l’intensité des flux migratoires (0,8 en 2002 ; 0,7 en 2016).
La population d’origine étrangère reste, encore en 2016, d’origine européenne, d’une courte majorité. Mais, près de 15 % de personnes d’origine non européenne, c’est probablement au moins équivalent à la proportion française dans une autre définition, plus étroite, on l’a vu (11 % en 2011). Les Nordiques autrefois dominants sont désormais moins nombreux que les personnes originaires d’Irak, de Syrie, d’Iran, de Somalie, d’Afghanistan or d’Érythrée.
L’échelon administratif le plus petit en Suède est constitué de municipalités. On en compte aujourd’hui 290, dont la plus petite – Bjurholm – abrite au 31 décembre 2016 un peu moins de 2500 habitants. Ce sont donc des communes qui, souvent, regroupent de plus petites communes à la française. Les données démographiques sur l’âge et l’origine sont disponibles à tous les échelons géographiques, y compris, donc, à celui des communes suédoises depuis 2002. Il est possible de classer ces communes par taille et de regarder quelle a été l’évolution, depuis 2002, de la proportion de population d’origine étrangère en fonction de la taille de la commune en 2002.
La concentration en population d’origine étrangère est en Suède, comme ailleurs, plus importante dans les grandes villes.
La proportion de personnes nées à l’étranger a plus augmenté dans les petites communes que dans les grandes, si bien que l’écart relatif entre les communes de 200 000 habitants ou plus (Malmö, Göteborg et Stockholm) et celles de moins de 5 000 habitants est passé de 3,7 à 2,1. Dans les premières, il y avait en moyenne 20,2 % de personnes nées à l’étranger en 2002, contre 5,5 % dans les secondes. En 2016, ces pourcentages sont respectivement de 25,9 % et de 12,4 %.
Si l’on y joint la génération née en Suède d’au moins 1 parent né à l’étranger, l’évolution est voisine, mais de moindre ampleur. Dans les communes d’au moins 200 000 habitants, la proportion de population d’origine étrangère est passée de 34,3 % en 2002 à 44,3 % en 2016, contre respectivement 10,8 % et 19,2 % dans les petites communes.
On a donc l’impression qu’en Suède les concentrations ethniques ont bien augmenté, mais partout, avec une réduction de l’écart relatif entre les très grandes et les très petites. Et donc une réduction des contrastes. Ce que reflètent assez bien les deux graphiques ci-dessous.
Le resserrement des différences de concentrations ethniques en fonction du type de commune est très visible lorsqu’on considère les enfants âgés de zéro an, soit approximativement les naissances dans l’année écoulée. Cette évolution est très visible, même en retenant une typologie géographique en quatre postes (les trois grandes agglomérations suédoises et le reste de la Suède). La part des enfants nés à l’étranger[tooltips content=’En fait très peu sont nés à l’étranger : 8‰ au 31/12/2016.’]5[/tooltips] ou dont au moins un parent est né à l’étranger s’est accrue partout mais encore plus en dehors des trois grandes agglomérations urbaines (tableau et graphique ci-dessous). La proportion d’enfants nés dans l’année à l’étranger ou en Suède d’au moins un parent né à l’étranger s’y est accrue de 74 %, contre 51 % en moyenne en Suède, 37 % dans le grand Malmö, 33 % dans le grand Göteborg et 32 % dans le grand Stockholm. C’est, sans nul doute, le résultat d’une politique volontariste de répartition des immigrants.
Cette politique a réduit les écarts par type d’agglomération et provoqué une convergence (graphique ci-dessous). En 2016, les disparités sont bien moindres que celles observées en 2002. Il y a désormais près de 32 % d’enfants nés dans l’année qui sont nés à l’étranger ou nés en Suède d’au moins un parent né à l’étranger en dehors des trois grandes agglomérations suédoises, pour une moyenne suédoise proche de 37 %. On peut illustrer cette convergence à travers deux communes bien différentes par leur taille et leur proportion de nés dans l’année d’origine étrangère en 2002. Malmö compte 328 000 habitants au 31 décembre 2016, Lessebo près de 8800 à la même date. Lessebo est une petite commune située à près de 230 km au nord-est de Malmö. En 2002, 48 % des enfants nés dans l’année sont nés à l’étranger ou nés en Suède d’au moins un parent né à l’étranger à Malmö, contre 12 % seulement à Lessebo. En 2016, c’est le cas de 58 % à Malmö et de 57 % à Lessebo.
L’Insee met en ligne des données d’état civil sur les naissance selon le lieu de naissance des parents. Si l’on retient, pour la Suède, seulement ceux qui sont nés en Suède dans l’année d’au moins un parent né à l’étranger et encore présents en fin d’année, on peut comparer ces deux pays dans une quasi identité de définition entre 2002 et 2015 (l’année 2016 n’est pas encore disponible en France).
En 2002, près de 24 % des naissances sont d’origine étrangère en France comme en Suède. L’évolution diverge entre les deux pays à partir de 2006, en raison d’un ralentissement en France jusqu’en 2011. La reprise qui suit en France, se fait sur un pas plus proche de celui de la Suède. Mais au total, en 13 ans, la proportion de naissances d’origine étrangère a augmenté de 11 points de pourcentage en Suède mais seulement d’à peine 6 points en France.
Si en France, on ne possède pas d’enregistrement systématique de la population d’origine étrangère, des estimations ont été possibles à partir des enquêtes Famille. L’Insee, depuis quelques années, de temps en temps, procède à une estimation à partir de l’enquête Emploi pour les quinze ans ou plus et à partir des enquêtes annuelles de recensement (EAR) pour les moins de 15 ans. Ces estimations se fondent sur une autre définition de l’immigré que la Suède, on l’a vu. En 2011, dans la définition suédoise, la France aurait compté 24,7 % de personnes d’origine étrangère contre 26,6 % en Suède.
La seule série temporelle que l’on peut composer en France porte sur les mineurs (moins de 18 ans) qui, pour la plupart, sont encore au foyer des parents, en rapprochant les bulletins des enfants et des parents dans les EAR. Bernard Aubry, autrefois de l’Insee Alsace, aujourd’hui membre de l’association de prospective rhénane, a pu constituer une série depuis 1968, à partir des fichiers des recensements et des enquêtes annuelle des recensement. Lorsqu’on porte sur un même graphique les chiffres de la Suède et de la France, pour les 0-17 ans, en se fondant sur la définition de l’immigré de chacun des pays, on observe que la France se situe très en dessous. C’est le résultat en partie de la différence de définition de l’immigré et d’un niveau de flux supérieur en Suède qui explique la dérive des dernières années (graphique ci-dessous). En 2015, 34,3 % des 0-17 ans sont nés à l’étranger ou en Suède d’au moins un parent né à l’étranger. En France, avec une définition de l’immigré plus restrictive, la proportion frôle les 22 %.
L’évolution par taille de commune de la présence des jeunes d’origine étrangère ne suit absolument pas le même mouvement en France qu’en Suède (graphique ci-dessous). C’est pratiquement un mouvement inverse. En Suède, comme on l’a vu plus haut (tous âges), la proportion de jeunes d’origine étrangère s’est moins accrue là où elle était déjà forte, c’est-à-dire dans les grandes agglomérations. Elle a au contraire beaucoup augmenté dans les petites communes, où elle a plus que doublé : 25,5 ‰ en 2016 contre 12 % en 2002 dans les communes de moins de 5 000 habitants. C’est tout le contraire en France. L’écart n’a fait que se creuser entre les communes de moins de 10 000 habitants et les communes plus grosses, la concentration maximale se trouvant dans les communes de 50 000 à 100 000 habitants. La proportion de jeunes d’origine étrangère est encore inférieure à 10 % dans les communes de moins de 5 000 habitants.
La conclusion selon laquelle la Suède se serait mieux débrouillée pour répartir ses immigrants sur son territoire est probablement prématurée. Comme le faisait remarquer Christopher Caldwell, les « quartiers construits dans les années 1960 pour maintenir des familles suédoises à proximité de la nature servirent, quarante ans plus tard, à maintenir des chômeurs nés à l’étranger éloignés des bassins d’emploi. Assar Lindbeck, le doyen des économistes suédois de l’État providence, releva qu’envoyer de nouveaux arrivants dans des quartiers où il y avait des appartements vides revenait à les envoyer dans des endroits situés ‘par définition dans une zone de chômage élevée’. »[tooltips content=’Christopher Caldwell, Une révolution sous nos yeux. Comment l’islam va transformer la France et l’Europe, Ed. du Toucan, 2011, p. 176.’]6[/tooltips]
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