Après avoir tenté l’accueil pour tous, les Danois ont compris que la défense de leur cohésion nationale passait par une immigration strictement encadrée. Le secret de la réussite de ce « modèle » : ne pas être inféodé aux diktats de Maastricht et ignorer les remontrances de l’ONU et des ONG.
Pour les gauches européennes, comme pour l’ONU, la crise démographique de notre continent n’appelle qu’une seule réponse : l’ouverture des frontières. L’immigration est à la fois une fatalité, une nécessité et une obligation. Hors son acceptation, point de salut. Ce n’est pourtant pas l’avis des premiers concernés : les peuples, de plus en plus inquiets face à l’arrivée massive de migrants comme à Lampedusa. Les citoyens européens ne voient pas la crise démographique comme un simple problème économique, soluble dans l’importation de main-d’œuvre et de ventres. Ils sont conscients qu’elle se pose aussi en termes anthropologiques et culturels. Ils craignent la submersion et ont le sentiment que leurs représentants politiques sont dans le déni.
Prix culturel
Alors est-il possible pour un État, de mettre en place une politique d’immigration sans en payer le prix culturel ? Est-il possible pour une nation de contrôler les flux et d’exiger l’assimilation ?« Non », répond Clément Beaune, ministre des Transports. Il prend à témoin la situation actuelle de l’Italie. Selon lui, Georgia Meloni est en train de prouver qu’une solution à l’échelle nationale est vouée à l’échec. Seule l’Europe aurait la réponse. Autant dire que nous sommes assignés à l’apathie.
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Or il existe un petit pays européen qui a réussi à mettre en place une politique consensuelle et efficace permettant de maîtriser l’immigration. Il s’agit du Danemark. Pourtant, les Danois n’ont pas eu de révélation. Ce n’est qu’au bout d’un long processus (de 2002 à 2016, la loi sur les étrangers a été modifiée 93 fois et 42 fois entre 2017 et 2019) qu’ils ont élaboré le désormais célèbre « modèle danois ».Leur recette ? D’abord un positionnement pragmatique et non idéologique vis-à-vis de l’Union européenne. Quand les Danois ont rejeté le traité de Maastricht, leurs représentants politiques n’ont pas décrété que le peuple avait mal voté. Ils ont entendu le message et ont négocié nombre de dérogations au droit européen. Le traité a fini par être ratifié, sans que le Danemark adhère aux obligations imposées par l’Europe en matière d’immigration. Il démontre aujourd’hui, par sa réussite, que l’Europe fait partie du problème.
Regroupement familial et acquisition de la nationalité: le parcours du combattant
La cohérence de la politique danoise et son caractère consensuel viennent de la clarté de leur diagnostic : pour les Danois, la protection de leur système social passe par la diminution de l’immigration et non par l’ouverture des frontières, supposée augmenter le nombre de cotisants. Ils pensent que« l’État providence dépend autant du niveau de confiance dans la société que des performances économiques du pays[1] ». Ainsi l’homogénéité et la cohésion de la société – plutôt qu’une certaine idée de la diversité –sont essentielles pour que les citoyens acceptent de payer les uns pour les autres. Voilà pourquoi la politique d’immigration danoise marche sur deux jambes : restriction (mais pas immigration zéro) et exigence d’assimilation.
Les Danois, par ailleurs, se moquent des protestations de l’ONU et des ONG, parce qu’ils ont pu constater que la fermeté paye. Entre 2014 et 2019 le nombre total des demandes d’asile a chuté de 82 % et celui des migrants (hors demandeurs d’asile) a baissé de 14 %.
En ce qui concerne le regroupement familial, par exemple, chaque immigré doit signer un contrat spécifique qui fixe ses obligations, les objectifs et les étapes du parcours d’intégration. Sans contrat signé et respecté, pas d’aides sociales. D’autres règles ont été mises en place pour éviter que les migrants aillent chercher des épouses « au pays ». Pour pouvoir faire venir une personne de sa famille, il faut atteindre un certain niveau de revenu, ne plus toucher de prestations sociales et avoir un logement adéquat (pas plus de deux personnes par pièce, surface de 20 m2 par personne…). Autre point, l’effort d’intégration étant au cœur de la politique d’accueil, toute peine de prison, même avec sursis, est un facteur rédhibitoire pour l’acquisition de la nationalité.
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Et ce n’est pas tout : la politique danoise d’expulsion est elle aussi efficace. D’abord la mesure est appliquée immédiatement une fois la demande refusée et une autre demande ne peut être déposée avant un délai conséquent. Pendant l’examen du dossier les candidats hébergés dans des centres pour migrants, doivent pointer à la police quotidiennement. Enfin, c’est le Danemark qui définit lui-même si un pays est sûr ou pas et donc s’il est possible de renvoyer les réfugiés dans leur pays d’origine. Par ailleurs ayant pu, pendant l’affaire des caricatures de Mahomet, mesurer la dangerosité du fondamentalisme musulman et surtout des militants religieux, le Danemark a durci les conditions requises pour que ceux-ci puissent bénéficier d’un titre de séjour.
Mais le Danemark va encore plus loin. La « Jewellery Law » (« loi des bijoux ») votée en 2016 – suscitant une énorme controverse – donne aux autorités le pouvoir de confisquer argent, bijoux ou objetsd’une valeur supérieure à 10 000 couronnes (1 340 euros). L’idée est de faire participer le réfugié à la charge qu’il génère dans le pays qui l’accueille.
Ce modèle danois est parfaitement reproductible ailleurs. Mais pour cela, la renégociation de certains traités européens est indispensable. Pour autant, tout n’est pas si facilement transposable : les mêmes causes n’ont pas toujours les mêmes effets. Au Danemark, par exemple, la suppression des aides sociales s’est rapidement traduite par une baisse du nombre de demandes d’accueil. En France, les candidats à l’immigration sont souvent francophones, ils bénéficient d’attaches et de points de chute, peuvent compter sur une diaspora importante, leur choix ne dépend pas forcément du montant des aides sociales. Il n’en reste pas moins que l’exemple du Danemark ne tient pas seulement aux mesures concrètes mises en place. Elle rappelle que la politique, c’est avant tout du courage et de l’action, et qu’un sujet délicat peut devenir consensuel quand les hommes politiques s’en emparent au nom de l’intérêt général et de la volonté des peuples.
[1] « La politique danoise d’immigration : une fermeture consensuelle », janvier 2023, fondapol.org.