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Immigration: les Québécois ont-ils le droit de demeurer eux-même?


Immigration: les Québécois ont-ils le droit de demeurer eux-même?
Une manifestante souhaite la bienvenue aux migrants hébergé dans le stade olympique de Montréal, août 2017. SIPA. AP22087169_000001

L’afflux massif de migrants haïtiens a ravivé le débat identitaire. Et tous ceux qui n’ânonnent pas le slogan « Personne n’est illégal » sont traités de racistes…


À l’été 2017, l’arrivée massive de clandestins haïtiens à la frontière américano-québécoise a créé bien du tumulte dans la vie politique d’une province qui aime se croire particulièrement paisible. À l’origine de cela, il y avait la volonté de Donald Trump d’en finir avec une permission temporaire accordée aux Haïtiens de travailler aux États-Unis. Craignant de retourner chez eux, ils sont plusieurs milliers à avoir choisi de remonter vers le nord. Le phénomène avait quelque chose de nouveau. Les Québécois, s’ils connaissent depuis longtemps la réalité de l’immigration massive, découvraient celle de l’immigration illégale, que le parti médiatique a voulu présenter comme une vague de réfugiés auxquels il fallait impérativement ouvrir les portes : il y avait là une nécessité humanitaire devant laquelle il aurait été odieux d’émettre quelque réserve. Les camps de migrants se sont multipliés à la frontière et à Montréal même. Même le Stade olympique, qui se distingue par son gigantisme, s’est transformé en camp de migrants pour un temps.

« Personne n’est illégal »

Sans surprise, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a d’abord ouvert grand les bras, avant de s’amender, quelques semaines plus tard, en reconnaissant du bout des lèvres qu’il valait mieux entrer au Canada en respectant les procédures légales. Mais le message essentiel était le suivant : le Canada accueillait favorablement les clandestins, il avait le moyen de les intégrer ; ce serait même sa grandeur. Le maire de Montréal, Denis Coderre, qui provient lui aussi du très multiculturaliste Parti libéral du Canada, en a rajouté : les migrants étaient les bienvenus dans sa ville, d’autant qu’il avait récemment fait de cette dernière une ville-sanctuaire – c’est-à-dire une ville qui refuse, dans la mesure du possible, de participer à l’expulsion d’immigrants clandestins et qui conséquemment, prétend se mettre au-dessus des lois nationales. « Personne n’est illégal ». C’est le slogan de l’antiracisme local, qui se veut sans-frontiériste et qui voit dans chaque migrant un réfugié fuyant la persécution au risque de sa vie. Il n’en demeure pas moins qu’on a vite découvert l’existence de réseaux de passeurs particulièrement bien organisés devant lesquels les autorités ont fait le choix de l’impuissance, comme si le simple fait d’assurer le respect des frontières aujourd’hui avait quelque chose d’indécent.

Le commun des mortels, naturellement, s’est inquiété et, comme d’habitude, le parti médiatique s’est fait un devoir de faire son procès, aidé par un bataillon d’experts idéologiquement certifiés et maquillant leur militantisme dans le langage des sciences sociales et du droit. On l’a dit et répété : dans la critique de l’immigration illégale, il ne fallait voir rien d’autre qu’une forme de xénophobie plus ou moins masquée. On a même trouvé un grand nombre de juristes pour expliquer que la notion d’immigration illégale était sans aucun fondement. On y verra à bon droit une manière comme une autre de masquer le réel derrière un écran idéologique. Mieux encore : l’immigration massive permettrait en fait de révéler le racisme structurel d’une société rétive à la différence et à l’ouverture à l’autre. Elle confronterait la société québécoise à son propre conservatisme implicite, duquel elle devrait s’arracher. On en a même trouvé plusieurs pour plaquer sur lui une grille d’analyse faite pour analyser les anciens États ségrégationnistes. Il y aurait dans la société québécoise un racisme systémique. Québec, Alabama, même combat !

L’immigration devient un thème d’extrême-droite

En fait, c’est même devenu le thème de la saison : le Québec serait confronté à une poussée sans précédent de l’extrême-droite. Les médias, et principalement les médias fédéralistes occupés à mener un procès constant au nationalisme québécois, se sont lancés à sa recherche. Ils n’ont à peu près rien trouvé, sinon quelques groupuscules insignifiants et folkloriques s’agitant dans les marges sociales et inconnus du plus grand nombre. À défaut de trouver l’extrême-droite, certains ont eu la tentation de l’inventer en annonçant la création imminente d’un parti la représentant, pour ensuite faire semblant de s’en effrayer. Pour emprunter le vocabulaire de notre temps, le système médiatique s’est engouffré dans le registre des faits alternatifs et autres fake news. Philippe Couillard, le premier ministre du Québec, qui fait preuve d’un zèle fédéraliste et multiculturaliste n’ayant rien à envier à celui de Justin Trudeau, en a profité pour associer l’extrême-droite à ses adversaires du Parti québécois (souverainiste) et de la Coalition Avenir Québec (autonomiste). Il s’agit ainsi d’extrême-droitiser le nationalisme québécois, en le réduisant à une forme toxique de populisme local.

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À travers cela, il s’agit d’exclure la question identitaire de la vie publique. Dans une société qui subit de manière particulièrement vive le joug du politiquement correct, il est déjà très difficile d’aborder la question de l’immigration massive alors qu’elle contribue à l’érosion démographique du fait français, en plus d’être instrumentalisée par les fédéralistes, puisque l’immense majorité des immigrés préfère brandir le drapeau canadien que le drapeau québécois. On fera en sorte que cela devienne impossible, comme si le sujet était scandaleux : l’immigration devient un thème d’extrême-droite. Quiconque proposera une diminution des seuils d’immigration déjà très élevés sera ostracisé médiatiquement et considéré comme un paria. Plus largement, c’est toute l’inquiétude quant à la survie du peuple québécois qui est proscrite. On impose aux souverainistes un nouveau test de respectabilité médiatique : soit ils renoncent à la question identitaire, et ils seront jugés respectables, mais alors ils tiendront un discours aseptisé qui les coupe de leur raison d’être ; soit ils assument l’inquiétude identitaire de la population et ils subiront une campagne de disqualification morale permanente.

La survivance fait partie de l’identité québécoise

Toutes les nations occidentales sont traversées par la peur de la dissolution de la patrie et par celle de devenir étranger chez soi. Ces inquiétudes ont beau être diabolisées, elles n’en finissent pas moins par devenir centrales dans la vie publique, ne serait-ce que parce que le système médiatique fait un immense effort pour les nier et les étouffer, ce qui les transforme paradoxalement en carburant politique particulièrement efficace pour ceux qui veulent s’y alimenter. Ces peurs, évidemment, sont fondées : qui sait faire preuve d’un minimum d’honnêteté dans l’analyse des phénomènes sociaux constate que nous ne sommes pas devant une énième mutation du monde occidental qu’il faudrait relativiser et dédramatiser, mais devant un changement de civilisation qui n’a rien d’enthousiasmant. Devant l’immigration massive, la dissolution de la culture nationale, l’effacement de la souveraineté et la régression victimaire qui pousse à la désagrégation du corps politique, on comprend que des angoisses fondamentales remontent à la surface de la vie politique.

Mais au Québec, cette peur de disparaître vient de loin et recèle une dimension particulière. Pendant plus d’un siècle, après l’échec des rébellions indépendantistes de 1837-1838, puis de 1840 à 1960 environ, ceux qu’on appelait alors les Canadiens français s’étaient donné une mission collective, la survivance, tout en espérant que viendrait un jour le temps de la reconquête. Ils crurent ce temps venu avec les années 1960, avec la Révolution tranquille, qui fut une période d’émancipation nationale exceptionnelle associée à un mot d’ordre qu’on ne saurait plus prononcer aujourd’hui : maîtres chez nous. C’est dans cet esprit que les francophones changèrent la manière de se nommer. De Canadiens français, ils devinrent Québécois. Ils ne seraient plus une minorité nationale dans un pays travaillant fort à les faire disparaître, mais une nation à part entière s’appropriant pleinement sa communauté politique et son État. La Révolution tranquille, dans l’histoire du Québec, correspond à ce moment où la nation s’engage dans une démarche d’imagination et se croit capable de devenir normale, en devenant suffisamment forte pour en finir avec la possibilité de sa disparition. Il s’agissait, au sens fort, d’une entreprise de décolonisation.

Nationalité « immigrants » ?

On le sait, le Québec a cherché à obtenir son indépendance à deux reprises, en 1980, puis en 1995, où il est passé à deux doigts d’y parvenir. Il n’en demeure pas moins que l’histoire du souverainisme québécois est globalement celle d’un échec. C’est un échec d’autant plus grave que le Québec n’est même pas parvenu à se faire reconnaître comme nation au sein de l’ordre constitutionnel canadien refondé en 1982, dont il n’est toujours pas signataire. En fait, dans le Canada multiculturaliste, le peuple québécois est victime de déchéance symbolique et constitutionnelle : il n’est plus qu’une communauté parmi d’autres dans une société plurielle, où nous serions « tous des immigrants ». Si les Québécois s’entêtent à rappeler qu’ils sont une nation et à vouloir définir leurs propres règles collectives en matière d’intégration des immigrants, on les accuse presque automatiquement de suprémacisme ethnique. D’ailleurs, ce qu’on appelle le Quebec bashing est de nouveau à la mode au Canada anglais.

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Il ne faut pas sous-estimer les conséquences pour la psychologie collective de l’échec de l’indépendance, qui semble se confirmer aujourd’hui avec la régression apparemment inarrêtable du mouvement souverainiste. La défaite défait, et un peuple qui échoue à conquérir sa souveraineté bascule dans une spirale régressive qui peut briser ses ressorts les plus intimes. On assiste aujourd’hui à une canadianisation de la conscience collective, alors que depuis longtemps, les francophones se définissaient d’abord et avant tout comme des Québécois. Les fédéralistes eux-mêmes entretenaient un rapport essentiellement instrumental avec le Canada : ils présentaient le fédéralisme comme un cadre rentable sans y investir une trop grande charge émotionnelle. Désormais, ils semblent céder à l’utopie canadienne, comme si le fait d’y participer grandissait le Québec. Il faut dire qu’un grand nombre d’immigrés s’identifient spontanément au Canada à la Trudeau et dédaignent le nationalisme québécois, comme s’il s’agissait seulement du réflexe défensif d’une population native arriérée et effrayée par la modernité.

« Le droit des peuples à demeurer eux-mêmes »

L’écrivain québécois Jean Bouthillette a déjà parlé de la tentation de la mort hantant la conscience collective de son peuple. Par là, il décrivait la tentation d’en finir avec soi-même, comme si l’identité québécoise était un fardeau trop lourd à porter en Amérique et qu’on rêvait de s’en débarrasser, pour se fondre dans l’empire américain et enfin avoir accès au monde. Pour certains, l’identité québécoise semble aujourd’hui de trop. La cause du Québec semble aussi aller contre l’esprit de l’époque. Il peut sembler de plus en plus difficile pour les Québécois de porter leur question nationale dans un monde qui fait du Canada le paradis trouvé de l’idéal diversitaire. Seuls les Québécois savent, au fond d’eux-mêmes, qu’ils doivent accepter leur dissolution nationale pour que le Canada devienne pleinement ce qu’il prétend être : le premier pays post-national au monde, se définissant comme une utopie diversitaire accomplie. Comme le disait encore Kundera, le drame des petites nations, c’est qu’elles n’intéressent qu’elles-mêmes.

Mais il existe aussi un désir de survie dans le peuple québécois. Tel est peut-être le sens de la question identitaire aujourd’hui : depuis son apparition dans le débat public avec la crise des accommodements raisonnables de 2006-2008, elle permet aux Québécois de réaffirmer qu’ils ne sont pas des étrangers chez eux et qu’ils sont en droit d’assurer leur continuité historique. C’est ce qu’on pourrait appeler « le droit des peuples à demeurer eux-mêmes ». À travers la critique de l’idéologie multiculturaliste en général et du multiculturalisme d’État canadien en particulier, les Québécois ont voulu rappeler qu’ils n’entendaient pas collaborer activement à leur propre dissolution. La laïcité est ainsi devenue un symbole identitaire. À travers elle, c’est une certaine conception du bien commun et de l’intégration nationale que les Québécois voulaient faire valoir. Elle ne saurait pourtant suffire à définir la nation. Il est possible que la nation québécoise vienne d’entrer dans une nouvelle époque de survivance. La chose est certainement moins enthousiasmante que l’indépendance, mais elle a au moins la vertu de faire de la survie du peuple québécois un enjeu politique essentiel. À moins qu’il ne s’agisse du dernier sursaut d’une nation prête au suicide tranquille. Que cette hypothèse soit à prendre au sérieux en dit beaucoup sur le caractère tragique de la cause québécoise aujourd’hui.

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Septembre 2017 - #49

Article extrait du Magazine Causeur




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est sociologue.

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