Accueil Économie L’immigration au secours de la démographie européenne selon Jean-Paul Delevoye

L’immigration au secours de la démographie européenne selon Jean-Paul Delevoye


L’immigration au secours de la démographie européenne selon Jean-Paul Delevoye
Consultation citoyenne sur les retraites avec Jean-Paul Delevoye et Gabriel Attal. Numéro de reportage: 00935052_000012 Auteurs: DICOM/MERESSE/SIPA

50 millions d’immigrés en Europe d’ici 2050, la dernière bonne idée du Haut-commissaire à la réforme des retraites!


Le 29 novembre dernier, alors qu’il présentait la réforme des retraites devant un public de jeunes à Créteil, Jean-Paul Delevoye a déclaré ceci :

«Je suis très frappé par la réaction des peuples européens, puisque la démographie européenne et son vieillissement font que si on veut garder le même nombre d’actifs dans la machine économique (…), il faudra 50 millions de population entre guillemets étrangère pour équilibrer la population active en 2050, en Europe. »

France Info explique le chiffre de Delevoye

Je me suis demandé d’où sortait ce chiffre de 50 millions. Je ne voyais qu’une source possible, mais improbable en raison de son ancienneté. La Division de la Population des Nations unies avait bien publié un rapport dans lequel était posé ce genre de question – Les migrations de remplacement : s’agit-il d’une solution au déclin et au vieillissement des populations ? – dont on trouve un résumé ici, et le chapitre consacré à l’Europe ici. Mais cette publication datait de 2000 et portait sur la période 1995-2050 ! Je ne voyais pas bien le rapport avec ce qu’on pouvait dire aujourd’hui, 24 ans plus tard, sur une période raccourcie et pour une Union européenne à 28 alors que l’Union européenne ne comprenait alors que 15 États.

A lire aussi : Jacques Rueff, le franc et l’ordre monétaire

Mais, d’après la cellule Vrai du Faux de France Info (Alix Couture, 2 décembre 2019), c’est bien dans le rapport des Nations unies de 2000 que Jean-Paul Delevoye aurait pêché ce chiffre de 50 millions. Alix Couture explique que Jean-Paul Delevoye s’est un peu embrouillé avec les données publiées par l’Onu et que ces 50 millions (enfin à peu près puisque le chiffre de l’Onu est de 47,4 millions) se rapportent à l’immigration nécessaire pour maintenir la population totale de l’UE à son niveau de 2000. Et c’est vrai.

L’immigration correspondant au maintien de la population d’âge actif (15-64 ans) se trouve dans la colonne suivante du tableau 28 p. 92 du chapitre consacré à l’UE. C’est une immigration nette de 79,4 millions qu’il faudrait pour maintenir la population d’âge actif au niveau atteint en 2000 (Tableau ci-dessous qui retient une partie du tableau 28). Mais France Info a aussi dédaigné cette colonne pour sauter directement à la dernière colonne du tableau présentant l’immigration nécessaire pour maintenir constant le ratio 15-64/65 ans+, ce qui n’est pas la même chose : « Pour conserver son ratio de 1995, l’Union européenne devrait accueillir 701 millions de migrants, dont 94 millions en France, 188 millions en Allemagne, 59 millions au Royaume-Uni et 120 millions en Italie. »

Extrait du tableau page 92 du chapitre consacré à l’Europe dans le rapport de la Division de la population des Nations unies de 2000.
* Scenario VI is considered to be demographically unrealistic.

France Info en tire une étrange conclusion: « Et pour la population active ? Le scénario élaboré par l’ONU est beaucoup plus ambitieux. C’est l’autre problème de la déclaration de Jean-Paul Delevoye : il s’appuie sur ce qui est, d’après les auteurs du rapport eux-mêmes, un scénario « irréaliste ». »

Donc, si je résume, Jean-Paul Delevoye se trompe de colonne, mais France Info qui cherche à lui faire la leçon, aussi, et j’espère de bonne foi. En effet si l’information reprise par le premier est fausse, celle reprise par France Info ne correspond pas à celle que vise Jean-Paul Delevoye qui, pourtant, existe bel et bien dans le tableau présenté par les Nations unies (quatrième colonne).

Un travail daté

Au–delà de ces erreurs, je m’étonne de l’absence d’interrogation sur l’ancienneté de cette référence. La projection démarre en… 1995, soit il y a 24 ans ! Comment se servir d’une projection aussi ancienne pour essayer d’anticiper une évolution sur la période qui nous sépare de 2050 (31 ans si on se place en 2019, contre 55 ans vu de 1995, ou 50 ans si l’on retient les chiffres donnés par les Nations unies pour la période 2000-2050).

Par ailleurs, en 1995, l’UE ne comprend que 15 États, contre 28 aujourd’hui. En 2018, 20 % de la population de l’UE28 réside en dehors de ces 15 États. La projection des Nations unies n’est donc pas adaptée à la situation actuelle.

Enfin, l’immigration dont il est question dans la projection des Nations unies, c’est l’immigration nette. Autrement dit le solde migratoire : les entrées moins les sorties du territoire. Ce solde ne dit pas grand-chose sur le nombre d’étrangers qui devraient immigrer dans l’UE28 pour maintenir la population d’âge actif, nombre qui devrait être beaucoup plus élevé que le nombre projeté d’immigration nette.

Ces précisions, si elles sont nécessaires, n’éclairent guère la question posée par Jean-Paul Delevoye, puisque la fausse réponse qu’il y apporte se réfère à un travail de toute façon daté.

>>> Retrouvez cette analyse et d’autres articles sur le blog de la démographe Michèle Tribalat <<<



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Elles veulent tuer l’humour
Article suivant Hu Jie, histoire d’un patriote chinois
Démographe. Retraitée depuis 2015, Madame Tribalat continue à s’intéresser au phénomène migratoire, notamment sur son site http://www.micheletribalat.fr

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération