La doxa immigrationniste tient en trois principes contradictoires: il n’y a pas de problème migratoire, on ne peut pas rien faire contre lui, c’est une merveilleuse révolution. Prétendant imposer aux peuples européens un devoir d’accueil sans contrepartie, le lobby de l’immigration fait le lit des populismes qu’il dit combattre.
Il faut rendre grâces à Philippe Martinez. Dans une tribune publiée par Le Monde le 26 septembre, le secrétaire général de la CGT a aligné les principaux poncifs disponibles sur l’immigration : « Le fait migratoire est un phénomène incontournable, stable et continu dans l’histoire de l’humanité. » Circulez, il n’y a rien à voir. Il poursuit. « Prétendre que l’on peut stopper ou maîtriser les mouvements migratoires est un leurre politicien et une posture idéologique. Les plus hauts murs n’empêcheront jamais des personnes de fuir, au péril de leur vie, la guerre, la misère économique ou les persécutions. » Acceptez, il n’y a rien à faire. Du reste, il faut s’en réjouir, dès lors que la coexistence culturelle est un enrichissement, voire un enchantement. Dire autre chose, ce serait recourir aux « vieilles recettes de l’extrême droite ». Primo il n’y a pas de problème migratoire, deuxio on ne peut rien faire contre lui, tertio l’immigration est une merveilleuse révolution : cet énoncé en trois temps, qui évoque furieusement le chaudron de Freud, interdit bien sûr que la question soit examinée sérieusement. En clair, on demande aux peuples d’Europe de ne pas voir ce qui se passe sous leurs yeux, tout en les sommant de l’accepter et même d’applaudir.
Et Martinez de conclure par l’inévitable appel à notre bon cœur : nous devons, écrit-il, « accueillir humainement et dignement ceux qui fuient leurs pays. Cela se nomme la fraternité. » Dommage que la fraternité ne vaille pas pour ceux qui ont le sentiment de devenir étrangers chez eux, à qui il est interdit de dire leur frustration et leur inquiétude.
Régularisation générale, c’est ma tournée !
Inutile de chercher à faire entendre à notre fringant cégétiste qu’une nation souveraine doit avoir le droit de choisir ceux qu’elle accueille sur son sol. En revanche, on pouvait attendre qu’un défenseur des travailleurs soit un peu plus regardant sur l’afflux de demandeurs d’asile qui, une fois déboutés, iront grossir les rangs des clandestins, pesant à la baisse sur les salaires des emplois peu qualifiés. Martinez a dû rater le cours de marxisme sur l’armée de réserve du capital en maternelle. D’ailleurs, il a la solution : régularisation générale, c’est ma tournée ! « Il suffit, écrit-il, de leur donner à tous les mêmes droits qu’aux travailleurs français ! » C’est sûr, pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt. Il devrait en parler avec ses copains du Medef qui sont eux aussi très favorables à l’ouverture des frontières. Et à ses troupes qui le sont un peu moins.
Générosité contre égoïsme, le monde de Martinez est simple. C’est la version pour les nuls du chatoyant storytelling d’Emmanuel Macron campant une Europe divisée entre les nations progressistes et accueillantes et les pays populistes et égoïstes. Lequel ne résiste pas plus à l’analyse. L’immigration ne partage pas l’Europe en deux blocs, elle oppose une grande partie des élites à une grande partie des peuples qui, au gré des sondages, affirment avec constance qu’ils veulent l’arrêter. Entendons-nous : même le dernier salaud lecteur de Causeur ou de Valeurs actuelles sait que, sauf à s’entourer de barbelés, l’Europe ne peut pas décourager tous les candidats à une vie meilleure, ni renvoyer tous ceux qu’elle a refusé d’accueillir légalement. Lutter contre les flux migratoires ne signifie pas haïr les immigrés, ni les abandonner à leur sort quand leur vie est menacée. Mais cela impose, parfois, de les ramener chez eux.
Ce n’est pas contre le populisme qu’il faut lutter
Le devoir d’humanité ne saurait être illimité. Quand on dit au salaud lecteur de Causeur ou de Valeurs actuelles qu’il n’a pas voix au chapitre, que ses demandes sont non seulement irréalistes, mais moralement scandaleuses, et que de toute façon l’avenir de la France sera multiculturel, que cela lui plaise ou non, il se sent tout simplement dépossédé de ses droits élémentaires de citoyen. À quel moment, les Français ont-ils accepté que la culture française n’ait pas de droits particuliers en France ? Que des questions aussi fondamentales, aussi déterminantes que l’immigration et l’intégration échappent depuis tant d’années à la délibération citoyenne devrait inquiéter les contempteurs de notre apathie démocratique. Que répond Plenel à ce sujet, qu’il n’y a qu’à changer le peuple ? On dira que les Français n’ont pas voté pour Marine Le Pen qui promettait de s’attaquer frontalement à la question. Certes. L’heure est grave, mais pas au point de jouer l’avenir sur un coup de dés. Faut-il attendre qu’ils s’y résolvent ? Ne se trouvera-t-il pas un autre parti pour leur dire qu’ils ont le droit de choisir leur destin ? Comme le résume Marcel Gauchet, ce n’est pas contre le populisme, mais contre les causes du populisme qu’il faut lutter. La poursuite d’une immigration qu’on ne parvient pas à contrôler ni à intégrer est l’une des principales.
Chantage émotionnel
Faute de place, on ne reviendra pas point par point sur la doxa immigrationniste et le chantage émotionnel sur lequel elle s’appuie, analysés par Ingrid Riocreux. Il faut cependant s’arrêter sur l’existence de ce qu’on peut appeler un lobby de l’immigration, décrit par la passionnante enquête d’Erwan Seznec. Il ne s’agit pas de forces obscures guidées par de sombres arrière-pensées – à l’exception des passeurs dont les pensées sont très claires –, mais de tout un monde d’associations bien intentionnées dont la raison d’exister est d’accueillir ceux qu’on appelle les migrants, c’est-à-dire les demandeurs d’asile, dont beaucoup arrivent par voie de mer. Il ne s’agit pas de remettre en cause le dévouement de leurs personnels et bénévoles – que Pierre Henry, le président de France terre d’asile soit d’ailleurs remercié pour avoir répondu aux questions, qu’il jugeait provocantes, de Daoud Boughezala. C’est néanmoins un fait que les organisations, comme les espèces, travaillent à leur propre survie. Depuis 2015, ces structures subventionnées par la puissance publique ont recruté, ouvert des locaux, créé des services et pris la lumière. Un ralentissement des flux d’arrivants n’entraînerait pas seulement la fin d’une belle aventure humanitaire, mais aussi des conséquences beaucoup plus prosaïques comme des compressions de personnel.
Haut les mains !
Erwan Seznec montre que les pérégrinations de l’Aquarius, abondamment relayées par les médias, ont moins pour but de sauver des vies que de culpabiliser les opinions publiques et de forcer la main des gouvernements en les plaçant devant ce choix impossible : ou vous ouvrez vos ports, vos frontières et vos cœurs, ou vous serez responsables de la noyade des enfants. Ainsi existe-t-il une étroite collaboration entre passeurs et ONG, les premiers se contentant de transporter leurs clients à la limite des eaux internationales et de les y abandonner avec un téléphone portable et le numéro de SOS Méditerranée. D’où ce scandale que personne ne veut voir : l’activité des ONG en Méditerranée n’a pas entraîné une réduction du nombre de morts par noyade. Elle s’est accompagnée d’une recrudescence notable de ces morts terribles.
Emmanuel Macron devra trouver un moyen de sortir du piège qu’il s’est tendu à lui-même : en se posant en guide suprême du camp progressiste, prêt à combattre la lèpre italo-hongroise, il s’est interdit d’incarner une troisième voie entre le camp de l’ouverture intégrale et le front du refus. Ses outrances ridicules sur la barbarie populiste, qui renforcent chez beaucoup le sentiment qu’il méprise le populo, l’ont mécaniquement placé dans le camp de l’angélisme. Les élections européennes risquent de lui rappeler que les Français ne sont pas des anges.
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