Après des propos polémiques et peu constructifs de notre ministre de l’Intérieur, le gouvernement italien met en garde Paris contre l’«utilisation» de l’Italie dans des problèmes de politique intérieure.
Il y a de la San Pelegrino dans le gaz entre les gouvernements français et italien. La menace migratoire qui pèse actuellement sur l’Europe affecte singulièrement une Italie vieillissante connaissant une baisse sans précédent de sa natalité (1,2 enfants par femme). Avec 350 000 décès de plus que de naissances en moyenne au cours des cinq années écoulées, l’Italie devient le vieillard de l’Europe. Le magazine Panorama a d’ailleurs publié un numéro dont le titre n’y allait pas par quatre chemins, montrant des personnes non européennes et affirmant que demain l’Italie serait sans Italiens. Francesco Lollobrigida, ministre de l’Agriculture de l’actuel gouvernement Meloni, a d’ailleurs demandé à ce qu’un plan d’encouragement de la natalité soit mis en place afin d’éviter la « substitution ethnique ».
Si l’intention est louable, les politiques de relance de la natalité sont malheureusement rarement couronnées de succès. En effet, il faut plus que des bonus fiscaux et des aides directes pour convaincre une jeunesse dans l’impasse de sauter le pas. Cette difficulté provoque un vide dans les « métiers en tension » qui réclament toujours de la main d’œuvre, à commencer par les secteurs de l’agriculture et du tourisme, essentiels pour l’économie de nos voisins transalpins comme pour la nôtre. Cette demande ne saurait toutefois pas expliquer les chiffres absolument démesurés des vagues d’immigration clandestines que les côtes italiennes encaissent depuis quelques années déjà et avec une intensité toute particulière en janvier 2023.
Une insulte gratuite
Les arrivées irrégulières ont en effet… quadruplé depuis janvier 2023. De quoi faire dire à Gérald Darmanin que Giorgia Meloni était « incapable » de juguler les flux migratoires. Une bataille de mots qui a beaucoup déplu au gouvernement italien, répliquant par la voix d’Antonio Tajani. L’actuel ministre italien des Affaires étrangères, et ancien président de la commission des Affaires constitutionnelles au Parlement européen, est un fin connaisseur des relations internationales et spécifiquement intra-européennes. Ce personnage, habituellement diplomate et modéré, n’y est pas allé par quatre chemins : « C’est une insulte gratuite et vulgaire adressée à un pays ami, allié. Quand quelqu’un offense de façon gratuite une autre personne, le minimum est qu’elle présente ses excuses ».
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Il va probablement attendre, compte tenu du passif de notre ministre de l’Intérieur, peu enclin à la modestie comme l’avait prouvé l’affaire du Stade de France qui nous avait déjà mis à dos deux pays « alliés », en l’occurrence la Grande-Bretagne et l’Espagne. Et, à chaque fois, soyons beaux joueurs, nos voisins ont de bonnes raisons d’être en colère. Alors qu’Emmanuel Macron ne cesse d’évoquer la nécessité de coopérations et de partenariats européens, l’un de ses ministres les plus importants joue la partition populiste et la politique politicienne nationale, cherchant à attaquer Marine Le Pen en discréditant Giorgia Meloni. Qu’en est-il en réalité ? Giorgia Meloni a-t-elle abandonné ses promesses de campagne pour séduire le « système » comme le croient certains chez nous ?
Une situation très dégradée
En réalité, la situation italienne est d’une complexité inouïe. Giorgia Meloni a pris des mesures d’envergure. Elle a décidé en avril de la mise en place de l’État d’urgence migratoire. De fait, sur dix personnes arrivées illégalement en Europe en 2023 huit sont arrivées par l’Italie. Lors de son passage au ministère de l’Intérieur du gouvernement Draghi, Matteo Salvini a subi les pires vicissitudes judiciaires avec l’affaire Open Arms dont le procès a repris en décembre 2022. Giorgia Meloni est en partie tenue par cette affaire qui est un véritable chantage exercé par les ONG pour forcer les ports italiens à accepter les bateaux sauvés au large des côtes libyennes, ce pays laissant les navires sans réponse lorsqu’ils cherchent un port sûr.
Il faut ajouter à cela l’épineux problème de la « protection spéciale » renforcée en 2020, ayant provoqué une augmentation de 736,1 % de ses bénéficiaires entre 2020 et 2021. Ce système protège les personnes sujets à des dangers graves comme celles qui sont persécutées… mais aussi tous ceux qui bien que ne courant aucun risque politique dans leur pays ont par exemple besoin de soins médicaux qu’ils ne pourraient pas recevoir chez eux. C’est un dispositif extrêmement large et attractif pour les candidats à l’immigration clandestine, dont il est très facile d’abuser… Giorgia Meloni en a drastiquement réduit la portée, sans toutefois le supprimer. Elle veut ainsi juguler l’immigration tout en respectant les accords internationaux qui lient l’Italie.
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On peut considérer qu’elle ne va pas assez loin et que s’attaquer à un tel phénomène demande des mesures plus fortes. C’est une certitude. Il est toutefois particulièrement hypocrite et mensonger de la part de Gérald Darmanin de s’en prendre à nos voisins alors que l’Italie demande à raison que cette lutte soit mieux coordonnée à l’échelle européenne, notamment en décidant d’un vrai plan de lutte contre les mafias de passeurs et d’un contrôle bien plus strict qu’il ne l’est des ONG, devenues leurs complices.
Giorgia Meloni a fait du démantèlement des cartels de trafiquants d’êtres humains la priorité du décret Cutro. Habile stratège, elle mène son pays sur deux jambes : la lutte contre l’immigration sans rien céder sur les valeurs fondamentales. Un chemin difficile. Gérald Darmanin ne s’est pas grandi…
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