En Italie, pas un jour ne passe sans que la presse ne rapporte des faits divers impliquant des migrants. La semaine dernière, en Sicile, une contrôleuse de train s’est fait agresser par des immigrés clandestins montés sans billets ; une rixe a opposé Albanais et Nord-africains dans une prison, tandis que des migrants guinéens commettaient des déprédations près de la gare de Milan.
Il suffit de parcourir la botte pour constater la profusion de vendeurs à la sauvette africains, la plupart du temps paisiblement occupés à refiler leur camelote. Face à l’afflux incontrôlé de migrants (plus de 83 000 arrivées depuis le début de l’année), le gouvernement de grande coalition centriste appelle en vain l’Union européenne à la rescousse. Et propose d’instaurer le droit de sol, ce qui pourrait provoquer un nouvel appel d’air. Une révolution dans une contrée jusqu’ici préservée de l’immigration massive. Décryptage avec le spécialiste du populisme Marco Tarchi.
Daoud Boughezala. L’Italie est en première ligne du défi migratoire qu’affronte l’Europe. Vos compatriotes souhaitent-ils majoritairement fermer leurs frontières aux migrants?
Marco Tarchi[tooltips content=’Professeur de sciences politiques à l’université de Florence, Marco Tarchi est l’un des plus grands spécialistes européens du populisme. ‘]1[/tooltips]. Selon les plus récents sondages, les retombées de l’immigration sont devenues la première préoccupation des Italiens et une majorité d’entre eux souhaite l’arrêt des flux. Cependant, une forte minorité se borne à demander la répartition des migrants – réfugiés ou immigrés pour des raisons économiques – parmi les pays de l’Union européenne.
Bien que l’Italie reste heureusement préservée du terrorisme, sent-elle monter un sentiment d’insécurité culturelle ?
Le phénomène n’est pas encore évident, parce que les média mainstream, le gouvernement, la plupart des partis politiques, les associations de volontariat et l’Église catholique présentent l’immigration de masse comme la simple conséquence des conflits et de la pénurie qui ravagent l’Afrique et une partie de l’Asie et assimilent tout immigré à un «désespéré» qui n’a d’autre but que de survivre et qui ne peut en aucune mesure constituer une menace à la survie de la culture et du mode de vie des autochtones. Néanmoins, dans quelques endroits, on commence à voir surgir des conflits «civilisationnels»: des communautés d’étrangers de religion musulmane qui protestent contre le son des cloches des églises, des provocations envers des femmes jugées impudiques à cause de leurs vêtements, etc.
C’est dans ce contexte tendu que le gouvernement Gentiloni prépare un projet de loi instaurant le droit du sol (jus soli). Cette disposition est loin de faire l’unanimité puisqu’elle a provoqué la démission de deux ministres de centre-droit. Pourquoi la grande coalition italienne souhaite-t-elle adopter le droit du sol ?
L’argument des partisans de cette proposition est simple – et peut-être simpliste – et se résume dans cette question: «Pourquoi devrions-nous nier à des jeunes nés en Italie et qui y résident depuis au moins dix ans d’être des citoyens à part entière?». Évidemment, cette approche se fonde sur une mentalité individualiste qui, au nom des droits de l’homme, nie à un peuple la possibilité de décider quoi que ce soit au sujet de son homogénéité culturelle ou ethnique. Ceux qui s’opposent à cette façon de voir les choses sont immédiatement accusés de racisme.
Les partisans du droit du sol se réclament-ils de l’idéal républicain français ou du multiculturalisme anglo-saxon ?
En Italie, ce que vous appelez «l’idéal républicain» ne rencontre presque aucun écho au niveau populaire, et le débat sur le multiculturalisme et ses multiples déclinaisons est resté confiné jusqu’à aujourd’hui à une poignée d’intellectuels.
Quelles forces politiques s’opposent au jus soli ?
Beppe Grillo a exprimé son refus du jus soli à plusieurs reprises depuis plus de dix ans, donc même avant la création du M5S, et il a pris une position très nette contre ce projet de lui, ce qui a tout de suite attiré l’accusation aux « grillini » d’être des xénophobes ou des racistes masqués ou, dans le meilleur de cas, d’exploiter ce sujet à des fins de concurrence électorale avec la Lega Nord ou Fratelli d’Italia. Quant à la droite radicale, elle conserve une image de marque très négative auprès de la majorité de l’opinion et constamment réitérée par des attitudes ouvertement nostalgiques (défilés à bras tendu, uniformes etc.), ce qui disqualifie son opposition à ce genre de politiques.
Autre pomme de discorde transalpine : le fédéralisme. Aux dernières élections municipales, la Ligue du nord et d’autres forces autonomistes ont-elles réussi à prospérer sur la demande d’autonomie locale et le rejet de l’immigration ?
Les deux sujets ne sont pas liés dans le débat politique italien. Fratelli d’Italia, par exemple, qui revendique l’héritage du MSI néofasciste mais évolue dans le sens d’un plus grand souverainisme, rejette aussi bien l’immigration qu’une fédéralisation de l’État italien dans le sens souhaité par la Ligue du nord. Celle-ci, en même temps, en essayant de se propager au-delà de ses frontière nordistes, a axé sa propagande sur des sujets « nationaux », tels que la lutte contre l’immigration, la contestation des super-pouvoirs de l’Union européenne et l’abandon de l’euro, en laissant de plus en plus de côté le thème du fédéralisme, qui avait été son cheval de bataille pendant trente ans.
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