Dans un rapport de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb assure qu’il y a 200 000 personnes « d’origine étrangère » en Ile-de-France. Un chiffre très éloigné de la réalité…
Dans la perspective d’avis qu’elle comptait donner sur la politique d’asile et d’immigration en préparation par le gouvernement, Marielle de Sarnez, présidente de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, a procédé à des auditions en commission ou, en plus petit comité, dans son bureau. J’ai été reçue, le 15 février, en petit comité et le rapport m’a été envoyé il y a quelques jours.
C’est à la fin du rapport, dans un chapitre intitulé « Travaux préliminaires », que m’attendait une surprise, au moment de l’audition du ministère de l’Intérieur, Gérard Collomb.
Clémentine Autain, députée de la France insoumise en Seine-Saint-Denis explique au ministre qu’elle a été reçue avec des associations par le préfet, lequel aurait déclaré être débordé et avoir du mal à faire face, la Seine-Saint-Denis recevant 310 000 demandes d’asile par an.
« 200 000, c’est déjà important »
Dans sa réponse, le ministre de l’Intérieur s’étonne à bon droit d’un pareil chiffre :
« Le préfet, madame Autain, ne vous a pas dit qu’il y avait 310 000 demandeurs d’asile en Ile-de-France [Le ministre n’a pas retenu qu’il s’agissait en fait seulement de la Seine-Saint-Denis, ce qui rendait les paroles de Mme Autain encore plus extravagantes], car nous avons eu 100 000 demandes en France l’an dernier. »
Bien imprudemment, le ministre a alors cherché ce qu’avait bien pu vouloir dire le préfet avec ses 310 000 : « Ce qu’il vous a dit, sans doute, c’est que les gens d’origine étrangère sur le territoire de l’Ile-de-France étaient, non pas, d’ailleurs, de 300 000, mais de 200 000, ce qui est déjà important. »
Si la bévue de Clémentine Autain était évidente, celle de Gérard Collomb était plus magistrale encore.
Voilà un ministre de l’Intérieur qui n’a aucune idée des ordres de grandeur de ce dont il parle : 200 000 personnes d’origine étrangère en Ile-de-France, ça lui paraît déjà très important ! Or la population de l’Ile-de-France au 1er janvier 2015 était de 12,1 millions. Si l’on en croît donc le ministre de l’Intérieur, la population d’origine étrangère aurait représenté à cette date 1,7 % de la population d’Ile-de-France ! Et ce serait déjà beaucoup, nous dit-il ! Or, l’Ile-de-France est la région la plus touchée par l’immigration étrangère. Si la situation était celle qu’il nous décrit, il n’y aurait vraiment pas de quoi fouetter un chat ni même songer à faire une nouvelle loi sur l’immigration !
Qu’entend-il par population « d’origine étrangère » ?
On ne sait d’ailleurs pas ce que M. Collomb entend par population d’origine étrangère. Généralement, dans la statistique publique, c’est ainsi que l’on désigne l’ensemble formé par les immigrés (personnes nées à l’étranger, qu’elles aient encore une nationalité étrangère ou qu’elles soient devenues françaises depuis leur arrivée en France) et les personnes nées en France d’au moins un parent immigré.
Le dernier chiffre connu de l’Insee est celui de 2015 : 20,5 % en France métropolitaine (à partir de l’enquête Emploi et de l’enquête annuelle de recensement). Même si l’on ne dispose pas du même chiffre pour la région Ile-de-France, c’est forcément plus. En 2015, pour les moins de 18 ans, la proportion de jeunes d’origine étrangère en France métropolitaine était de 21,2 %. En Ile-de-France, à la même date, elle était de 42,1 %, c’est-à-dire à peu près le double. Si l’on ne s’intéresse qu’aux jeunes de moins de 18 ans, pour lesquels on peut travailler à partir des enquêtes annuelles de recensement – ce que nous faisons, Bernard Aubry et moi depuis un bon nombre d’années -, on dénombre près de 3 millions de personnes âgées de moins de 18 ans en 2015. Si 42,1 % étaient d’origine étrangère comme l’indique l’exploitation des enquêtes annuelles, cela représenterait près de 1,3 million de jeunes. On est loin des 200 000, tous âges réunis.
D’ailleurs, si le ministre avait eu en tête le seul chiffre sur le nombre d’immigrés en Ile-de-France (2,25 millions au 1er janvier 2014), il aurait pu s’éviter cette bourde. C’est forcément beaucoup plus si l’on veut y ajouter, comme c’est son cas, le nombre de personnes nées en France d’au moins un parent immigré.
Le plus sidérant dans cette affaire, c’est que cette très mauvaise information du ministre de l’Intérieur n’a choqué absolument aucune des éminentes personnes venues l’écouter ce jour-là.
Le graphique ci-dessous donne une idée de l’évolution de la proportion de jeunes d’origine étrangère depuis près de 50 ans en Ile-de-France. Y figurent les données de recensement de 1968 à 1999, complétées par celles tirées des enquêtes annuelles de recensement depuis 2004. Les points en couleur représentent les données lissées sur cinq ans par l’Insee, celles sur lesquelles il communique habituellement.
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