Immigration: le vrai «Waterloo moral»


Immigration: le vrai «Waterloo moral»

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Bien sûr, on ne peut voir les images des immigrés africains et syriens débarquant sur les côtes italiennes que le cœur serré. Le pape François a raison : « Le spectacle de ces êtres humains traités comme des marchandises fait pleurer. » Beaucoup ne finissent pas le voyage, leurs embarcations de fortune chavirant en pleine mer. Bien sûr, on peut déplorer que, devant ce drame, ce drame total, les gouvernements européens, notamment le gouvernement français, passent leur temps à ergoter. Leur seule préoccupation apparente : aiguiller vers les autres pays le maximum d’arrivants ; en avoir le plus petit nombre possible à gérer… et préparer en catimini leur rapatriement.

Faut-il pour autant à l’instar de Cécile Duflot, l’ex-ministre du Logement et leader des Verts, parler de « Waterloo moral » ?[access capability= »lire_inedits »] Faut-il accepter l’idée, qu’elle a récemment exposée dans Le Monde, selon laquelle refuser d’accueillir TOUS les nouveaux candidats à l’immigration reviendrait à céder « au vent mauvais de la xénophobie » ? Du passé, faisons table rase, clame notre nouvelle grande conscience révolutionnaire : arrêtons de chercher tous les prétextes pour limiter l’immigration, proclame-t-elle, évacuons le spectre du FN et des populismes qui fleurissent un peu partout en Europe, et assumons pleinement d’être des citoyens du monde, d’un monde sans frontières.

En réalité, la position de Cécile Duflot est tout sauf nouvelle. Cela fait plusieurs décennies que la gauche dite morale, celle qui revendique encore et toujours le monopole du cœur, n’a qu’un seul mot d’ordre en matière d’immigration : no limit. Le véritable apport de Duflot relève du vocabulaire : consciente que les Français renâclaient de plus en plus à prendre fait et cause pour les immigrés, en particulier clandestins, la gauche morale avait inventé il y a quelques années le concept de « sans-papiers », qui avait le mérite de renvoyer aux « sans-culottes » de jadis. Voilà désormais qu’apparaît la catégorie des « migrants » : le mot est bien entendu employé pour suggérer que les nouveaux arrivants seraient seulement de passage… Pourquoi dès lors chercher à contingenter leur nombre ?

La position de Cécile Duflot est tout sauf nouvelle, et elle est grandement responsable du véritable Waterloo français sur l’immigration. Car, si Waterloo il y a, ce n’est nullement celui dénoncé par l’égérie des Verts. Ce n’est pas succomber à la mode des excès de langage que de l’affirmer : le véritable Waterloo, c’est le taux de chômage des jeunes issus de l’immigration africaine, devenu un phénomène structurel : autour de 40 % dans certains « quartiers », pour ceux qui n’ont pas le bac. La France ne respecte plus le contrat moral, en l’occurrence le qualificatif n’est pas galvaudé, qui unissait de toute éternité les immigrés à leur pays d’accueil : à leur arrivée, ils acceptaient les plus sales boulots, ceux dont les « nationaux » ne voulaient pas, mais leurs enfants bénéficiaient du système éducatif dudit pays d’accueil et pouvaient accéder aux meilleurs jobs.

Pourquoi la gauche morale, si prompte à défendre la cause de l’autre, la cause de l’étranger, se soucie-t-elle comme d’une guigne de ces jeunes ? Pourquoi cette gauche défend-elle avec une telle constance le libre accès des étrangers au territoire français pour se désintéresser ensuite de leur sort et de celui de leurs enfants ? La réponse est évidente : elle refuse de passer d’une rhétorique de l’indignation à une éthique de la responsabilité. Si tant d’enfants d’immigrés sont aujourd’hui sans travail, c’est parce qu’on a accueilli leurs parents à une époque où se développait déjà un chômage de masse. Où, en conséquence, il eut été logique de mettre des freins à leur arrivée plutôt que de participer à la création de futurs chômeurs.

« La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » : la formule de Michel Rocard a fait mouche parce qu’elle énonçait une évidence. La gauche morale se refuse à distinguer ceux qui quittent leur pays parce qu’il est en proie à des troubles, parfois à une guerre civile, comme aujourd’hui la Syrie, et ceux qui le quittent dans l’espoir de trouver du travail pour subvenir aux besoins de leur famille. Les premiers ont un droit imprescriptible à l’asile politique : la France ne saurait y déroger sous peine de se renier. Les seconds sont parfaitement en droit de frapper à la porte de l’Europe. Mais les pays européens ont parfaitement le droit de leur refuser d’entrer. Le critère de sélection n’a rien de choquant : c’est l’état du marché du travail. En période de plein-emploi, il est logique d’ouvrir les vannes ; en période de chômage, il est naturel de les refermer.Alors, bien sûr, ce tri entre « bons » et « mauvais » arrivants, entre réfugiés politiques et réfugiés économiques, n’a rien de très ragoûtant. Il comporte une part d’arbitraire. Les miséreux sont les miséreux, bannissons tout formalisme, clament les belles âmes. Dans la foulée, elles observent que la formule de Rocard est systématiquement tronquée : « La France ne peut pas accueillir…, mais elle doit en prendre sa part », a déclaré l’ancien Premier ministre. Or notre pays serait l’un de ceux qui en Europe accueillerait le moins d’étrangers. Toujours, dixit Duflot, cette « folie de politiques migratoires indécentes et mortifères ».Question : comment expliquer dans ces conditions que la France abrite la plus importante communauté musulmane d’Europe ? Contrairement à ce que serine la gauche morale, nos politiques migratoires flirtent davantage depuis des décennies avec l’angélisme qu’avec l’indécence. Aujourd’hui, c’est cette importante communauté musulmane qui connaît le plus fort taux de chômage de l’Hexagone. Au nom de « l’humanisme », c’est le drapeau brandi par Cécile Duflot, faudrait-il prendre des mesures qui ne peuvent avoir pour effet que de l’aggraver encore ? Ce ne sont certes pas les emplois des « bobos » qui seraient menacés en cas d’installation d’une nouvelle vague d’immigration africaine et moyenne-orientale.Devant l’ampleur de ce qui se passe sur les côtes italiennes, il est nécessaire de prendre des mesures d’urgence. Mais rien ne serait pire que de renoncer à tout contrôle de nos frontières. Ce qui choque le plus dans la position de Cécile Duflot, c’est son manichéisme. Soit on pense comme elle, et on appartient au camp du bien, soit on pense différemment, et on appartient au camp du mal. Il n’existerait pas de moyen terme. En matière d’économie, le maître mot, à gauche, est celui de « régulation ». L’économie libérale créant par nature des inégalités, il importe de la « réguler ». Mais quiconque défend l’idée de régulation en matière d’immigration est voué aux gémonies. Sur ce dossier, la gauche morale n’est pas libérale, elle est ultralibérale ! Elle rejoint les positions du Medef, qui se prononce régulièrement pour la libre circulation des travailleurs pour une raison évidente : peser sur le niveau des salaires.Derrière ce tête-à-queue idéologique, il y a une certaine idée de la France qui n’est pas exactement celle du général de Gaulle. Depuis Vichy et la décolonisation, la gauche morale voit dans la France un pays malade. « Moisi » même, selon Philippe Sollers. Cette gauche dénonce tous les matins la xénophobie mais sombre volontiers dans la francophobie. C’est son droit le plus strict. Mais ce n’est pas en présumant la France et plus encore les Français coupables des plus noirs desseins, aujourd’hui comme hier, que l’on peut définir une politique équilibrée sur un terrain aussi complexe que celui de l’immigration.[/access]

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*Photo : © AFP Guillemette Villemin

Juillet-Aout 2015 #26

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste et essayiste, auteur des Beaufs de gauche et de La Gauche et la préférence immigrée.

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