La récente polémique de l’Ocean Viking a donné à penser à notre chroniqueur, qui à son habitude est partisan de mesures radicales — mais pas celles que vous croyez.
La lecture récente d’un inédit d’Andrea Camilleri, L’Autre bout du fil, dicté dans ses dernières années par un romancier aveugle mais toujours aussi clairvoyant, m’a incité à faire part au lecteur de quelques réflexions mal pensantes.
Camilleri raconte comment les policiers siciliens, emmenés toujours par l’inusable Montalbano, sont mobilisés toutes les nuits pour gérer l’abordage de bateaux qui débarquent sur la côte sud de la Sicile entre 40 et 700 migrants chaque soir. Des populations essentiellement masculines, à bout de forces, dont l’objectif est de traverser l’Europe pour atteindre le Royaume-Uni, paradis bien connu pour fournir du travail pour quelques cuillères de porridge. Le mythe de l’embauche anglaise mirifique perdure dans ces populations parties de chez elles pour n’y plus revenir.
Les solutions préconisées à gauche ou à droite sont des plaisanteries
Il est plus que temps de prendre au sérieux la menace que représente cette invasion de l’extrême misère. Les solutions préconisées par les donneurs de leçons de gauche — « accueillons tout le monde » — ou de droite — « coulons les navires en haute mer » — sont des plaisanteries qui font long feu. Accueillir l’Afrique marquera la fin de l’identité européenne. Refouler tout le monde n’est même pas du goût des patrons qui se jettent volontiers sur cette main d’œuvre peu regardante sur les conditions de travail. Allez donc voir en cuisine qui opère dans vos restaurants préférés. Et demandez-vous quels intérêts nous retiennent de renvoyer en Algérie les Nord-africains qui se répandent dans nos banlieues.
A relire: Immigration, une chance pour personne
D’autant qu’en termes d’images, le migrant l’emporte à tous les coups sur l’Occidental frileux. Chaque épave affrétée par des ONG complices des passeurs, bourrée de migrants africains des soutes aux cheminées, ravive le mythe de l’Exodus, ce vieux rafiot rouillé racheté par la Hagana, qui en 1947 amena en Palestine près de 4500 immigrants juifs rescapés de la Shoah. Le contexte ni les faits n’ont rien à voir, mais les mythes sont là pour alimenter l’Histoire, et plus tard pour la remplacer. Camille-Apollonia Narducci vous a raconté tout ça très récemment, c’est son domaine de recherches.
Nous voici donc confrontés à des débarquements successifs de populations essentiellement africaines, victimes de passeurs que notre intervention en Libye a contribué à susciter. Quelques centaines par-ci, quelques milliers par-là.
Mais ça, c’est la petite monnaie de ce qui débarquera bientôt — disons d’ici dix ans. Peut-être avez-vous lu Le Camp des saints, ce roman prophétique de Jean Raspail publié en 1973. Un million d’Indiens — telle était la mythologie des années 1970 — débarquent sur les côtes françaises, et opèrent un gentil petit massacre. Et toute résistance est vaine. Un million ? Les prophètes parfois se plantent. Ce sont dix, vingt, cent millions d’Africains qui se présenteront bientôt à nos portes. Le grand remplacement sur lequel certains fantasment par avance, c’est à ce moment-là qu’il opèrera. À l’échelle européenne.
Et c’est une réponse européenne qu’il convient de faire. Tout de suite.
Puisque l’Afrique trouve que notre modèle de développement est enviable — au moment même où chez nous nombre d’enfants gâtés le contestent —, il faut installer ce système chez eux. En un mot, recoloniser l’Afrique — dans son intérêt, c’est-à-dire dans le nôtre.
(Parenthèse. Sarkozy a parlé jadis des aspects positifs du colonialisme. Levée de boucliers dans le camp de la bien-pensance. Il aurait dû préciser que le colonialisme a certes apporté bien des progrès dans les pays colonisés, mais pour le plus grand bien, en même temps, des colonisateurs.)
L’humble plan que je propose au public est donc le suivant
Lançons un Plan Marshall des pays du Nord vers les pays du Sud. Investissons massivement, pas en créant deux ou trois entreprises qui se soucient de rentabilité immédiate, mais en faisant ce qu’ont fait les Américains en Europe après la guerre, en investissant à fonds perdus — parce qu’ils ne seront pas perdus pour tout le monde. Les Chinois, qui ont décidément plusieurs longueurs d’avance parce qu’ils pensent à long terme au lieu de perdre leur temps à de pseudo-démonstrations démocratiques, se livrent depuis 20 ans à une opération de ce type. Et les pays d’Afrique où ils s’implantent sont ceux qui émigrent le moins. Parce que les entreprises qu’ils implantent — des infrastructures d’abord, puis des exploitations minières ou agricoles — emploient jusqu’à 85% d’Africains. Rien de mieux qu’un travail effectif pour stabiliser une population — et lui donner l’idée de faire autre chose que de nouveaux enfants.
Et après l’action massive des fonds souverains chinois, ce sont désormais les entreprises privées chinoises qui s’installent en Afrique.
Les enfants de Mao et de Xi ne perdent pas le nord : la Chine est devenue le premier créancier des États africains. Ils viennent de dépasser les Américains, qui de longue date s’étaient implantés sur le continent noir — chassant les Français des positions stratégiques qu’ils occupaient dans le pétrole et le gaz, parce que nous sommes trop bêtes pour consolider nos positions. Voir la façon dont Elf-Aquitaine s’est fait virer d’Angola (et remplacer par Exxon) après y avoir fait des découvertes majeures, et la manière si intelligente dont nous avons cru bon de faire une affaire d’État de quelques détournements de fonds. Les Chinois règlent ça en interne.
Quelques-uns crieront au néocolonialisme
Ce n’est pas aux anciens États coloniaux de mener seuls cette politique. L’Europe entière doit y participer massivement. Après tout, quand il s’agit de renflouer les affairistes qui tournent autour de Zelensky, Ursula von der Leyen trouve l’argent. Pour reprendre les propos de Jules Ferry dans un débat célèbre le 28 juillet 1885 :
« Sur le terrain économique, je me suis permis de placer devant vous, en les appuyant de quelques chiffres, les considérations qui justifient la politique d’expansion coloniale au point de vue de ce besoin de plus en plus impérieusement senti par les populations industrielles de l’Europe et particulièrement de notre riche et laborieux pays de France, le besoin de débouchés.
« Est-ce que c’est quelque chose de chimérique ? est-ce que c’est une vue d’avenir, ou bien n’est-ce pas un besoin pressant, et on peut dire le cri de notre population industrielle ? Je ne fais que formuler d’une manière générale ce que chacun de vous, dans les différentes parties de la France, est en situation de constater.
« Oui, ce qui manque à notre grande industrie, que les traités de 1860 ont irrévocablement dirigé dans la voie de l’exportation, ce qui lui manque de plus en plus ce sont les débouchés. »
Et de remarquer que l’Amérique du Sud, « qui nous appartenait de temps en quelque sorte immémorial », est désormais « disputé et peut-être enlevé par les produits de l’Amérique du Nord. »
Les Chinois n’avaient pas encore débarqué, à l’époque.
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Il y eut peu d’immigrés africains (ou nord-africains) dans la France des années 1885-1945. Parce que la France investissait en Afrique, et créait des industries qui occupaient les locaux — pour des salaires dérisoires, d’accord, mais nul n’est parfait.
Les empires ambitieux ne s’embarrassent pas de culpabilité
Quelques-uns crieront au néocolonialisme, et tenteront de faire jouer la corde de la culpabilité. Les empires ambitieux ne s’arrêtent pas à si peu. Quelques voix, à la fin du IIe siècle, ont plaidé à Rome la cause des Barbares. Le funeste Edit de Caracalla, en 212, accordant la citoyenneté romaine à tous les habitants de l’Empire, au lieu de pousser les nouveaux arrivants à s’intégrer par le travail, l’engagement dans l’armée et la poursuite du cursus honorum, est sorti de ces jérémiades — et après lui, l’effondrement de l’Empire.
Si l’histoire nous apprend quelque chose, ce doit être ça : au lieu d’accueillir les Barbares, il faut porter chez eux la civilisation. Ce serait le meilleur moyen de leur faire abandonner des pratiques religieuses d’un autre âge, qui fournissent aux disciples de Daesh un terreau fertile. Corrompons les Africains par l’argent, nous y gagnerons au centuple.
Bien sûr, cela implique que le néo-libéralisme, au lieu de calculer ses bénéfices à très court terme, ait l’ambition du capitalisme chinois. Et ça, c’est sans doute de l’utopie.
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