Dans son livre Immigration et Intégration: avant qu’il ne soit trop tard, le sénateur belge Alain Destexhe montre comment Bruxelles a pris la relève de Londres comme base arrière du djihadisme. Entre 2000 et 2010, la Belgique a accueilli plus d’un million d’immigrés, pour la plupart musulmans. Cet afflux renforce la constitution d’une contre-société.
Au cours de l’histoire, les capitales se déplacent : de Rome à Constantinople, de Rio à Brasilia, de Lagos à Abuja… de Londres à Bruxelles. Car si le « Londonistan » des années 1990-2005 était considéré comme le centre de l’extrémisme islamiste en Europe, c’est désormais la métropole belge, également synecdoque de l’Union européenne, qui a la réputation d’être le terreau principal des djihadistes du Vieux Continent. Londres aurait reçu son sobriquet de la part des services secrets français, exaspérés par le laxisme apparent des Britanniques à l’égard des islamistes qui avaient fait de la ville, non seulement un refuge pour des prédicateurs radicaux, mais aussi une véritable plaque tournante pour des opérations terroristes réalisées à travers le monde, de l’Espagne au Yémen, du Maroc à Israël, de l’Arabie saoudite à la France (il s’agit des attentats de 1995 à Paris et à Lyon). Bruxelles a pris la relève de Londres à travers les différents attentats qui ont eu lieu entre 2014 et 2016 : à Bruxelles même ; à Paris ; dans le Thalys ; et à Verviers (déjoué). Plusieurs des auteurs – dont Amedy Coulibaly et Salah Abdeslam – sont originaires de la banlieue tristement célèbre de Molenbeek-Saint-Jean ou y ont séjourné. On peut aussi remonter plus loin dans le passé, puisqu’il faut ajouter à ce palmarès un des assassins du commandant Massoud, en 2001 en Afghanistan, et trois des cerveaux derrière les attentats de Madrid en 2004. Les deux responsables des attentats de mars 2016 dans le métro bruxellois et à l’aéroport sont originaires d’une autre commune, Schaerbeek, qui fait également partie de la région Bruxelles-Capitale. La Belgique est d’ailleurs le pays européen qui, par rapport à sa population, a envoyé le plus de djihadistes en Syrie.
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Comment ce déplacement s’est-il opéré ? Le nouveau livre du sénateur et député bruxellois, Alain Destexhe, apporte des éléments de réponse. Intitulé Immigration et Intégration : avant qu’il ne soit trop tard (Dynamédia, 2018), il montre comment la Belgique est devenue, au fil des années, la championne des terres d’accueil. Entre 2000 et 2010, sa population de 10 millions d’habitants a été augmentée de plus d’un million d’immigrés, le plus grand nombre étant d’origine marocaine et turque, sans que des efforts suffisants aient été faits consentis pour intégrer ces nouveaux citoyens, pour la plupart musulmans, à la société belge. Ce livre est un plaidoyer pour une immigration « choisie » plutôt que « subie », et le remplacement de l’idéologie multiculturaliste par une politique d’intégration sérieuse. Comme l’indique son sous-titre, cet ouvrage s’ajoute à la longue liste de ceux qui ont déjà sonné l’alarme quant à la menace que représente pour l’Europe la combinaison d’une immigration incontrôlée, de politiques d’intégration inefficaces et d’un terrorisme islamiste qui, quoique le fait d’une toute petite minorité, a réussi à s’enraciner au cœur de certaines banlieues. Le livre d’Alain Destexhe connaîtra-t-il un meilleur sort que ceux de ses prédécesseurs ?
Le complexe de Cassandre
Cassandre était cette prophétesse troyenne qui, punie par le dieu Apollon, prédisait les désastres futurs avec justesse, mais sans que personne ne lui accorde le moindre crédit. Assister impuissante à la réalisation des infortunes qu’elle avait pourtant clairement annoncées la plongeait dans un désespoir sans fin. De nombreux auteurs contemporains ont repris ce rôle : prédisant des catastrophes si l’Europe continue sur le chemin de l’immigration débridée et du multiculturalisme aveugle, ils voient leurs remontrances conspuées par les intellectuels politiquement corrects et largement ignorées par les responsables politiques. Certains vont jusqu’à adopter un style où le ton apocalyptique se mêle à la rage du désespoir. C’est le cas de la journaliste britannique, Melanie Phillips, qui a contribué à l’inauguration d’un genre parfois surnommé en anglais « the green peril » (« le péril vert »). Son Londonistan : How Britain is Creating a Terror State Within, paru en 2006, un an après les attentats de Londres, est toujours un best-seller. Phillips a vu juste sur beaucoup de questions, mais sa vision d’un combat apocalyptique entre l’Occident et l’islam et ses jérémiades contre la décadence de la société occidentale, trop laïque et consumériste, ont limité son influence. Trois ans plus tard, le journaliste Christopher Caldwell publie un ouvrage traduit en français sous le titre Une révolution sous nos yeux : comment l’islam va transformer la France et l’Europe[tooltips content= »Reflections on the Revolution in Europe: Immigration, Islam and the West (2009). La traduction française, avec une préface de Michèle Tribalat, est parue en 2011. »]1[/tooltips]. Plus prudent que Phillips, il fait une analyse convaincante des politiques qui ont conduit à la crise actuelle, mais sa diatribe au sujet de l’islam, qu’il accuse de conquérir les villes d’Europe « rue par rue », reste trop peu nuancée. L’année suivante, et dans un tout autre registre, la courageuse universitaire française, Michèle Tribalat, commence une série d’ouvrages qui la font traiter pratiquement de nazie par ses collègues pour avoir osé aborder la question des statistiques ethniques[tooltips content= »Les Yeux grands fermés : l’immigration en France (2010), Assimilation : la fin du modèle français (2013) et Statistiques ethniques : une querelle bien française (2016). »]2[/tooltips]. Un autre universitaire, Paul Collier, économiste à Oxford, démonte les arguments économiques en faveur de l’immigration dans un ouvrage de 2013, encore une fois contesté par certains de ses propres collègues[tooltips content= »Paul Collier, Exodus: How Migration is Changing our World (2013). »]3[/tooltips]. Depuis, les livres se multiplient, souvent de bric et de broc. Les plus notoires sont ceux de Douglas Murray, L’Étrange Suicide de l’Europe : Immigration, identité, islam et Stephen Smith, La Ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent, tous les deux sortis en 2018[tooltips content= »Le livre de Smith a été publié directement en français, celui de Murray d’abord en anglais, en 2017. »]4[/tooltips]. Styliste puissant, Murray verse trop dans le déclinisme spenglerien pour être pleinement convaincant en termes d’analyse sobre et de propositions pratiques. Smith se bat sur le terrain apparemment objectif, mais en réalité très mouvant, des statistiques à grande échelle.
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Comparé à ses prédécesseurs, Alain Destexhe, dont ce n’est pas le premier livre sur la question[tooltips content= »Alain Destexhe, Claude Demelenne, Lettre aux progressistes qui flirtent avec l’islam réac (2009). »]5[/tooltips], tient un propos plus modéré, mais ses arguments n’en sont que plus incisifs. Il montre, chiffres, graphiques et textes législatifs à l’appui, comment la Belgique est devenue le « ventre mou » d’une Europe qui se croit généreuse mais qui, sur les plans économique et culturel, trahit à la fois les populations autochtones et les populations immigrées. Focalisée sur la Belgique, son étude est néanmoins riche d’enseignements universels.
Le surréalisme belge
Son livre, comme il le dit, « n’a pas pour cible les immigrés, mais les politiques menées ». Ces dernières sont aussi désastreuses qu’irréfléchies. La grande vague d’immigration à partir de 2000 a été rendue possible par une loi permettant l’obtention de la nationalité belge sans délai significatif, sans test linguistique et sans aucune preuve d’adhésion aux valeurs de la société d’accueil. Une réforme partielle de la loi en 2011 a éliminé plusieurs abus et endigué quelque peu le torrent, mais avec les aides généreuses et les nombreux recours qu’elle offre, la Belgique demeure une terre d’élection et le flux d’immigrés reste très élevé. La cause principale en est une politique de regroupement familial extrêmement laxiste – au-delà de ce qui est exigé par la législation européenne, pourtant déjà trop peu stricte et qui nécessiterait une refonte totale. Cette politique tolère, par exemple, des mariages et des remariages successifs chez les immigrés et les candidats à l’immigration, chacun desquels est suivi d’un nouveau regroupement d’enfants et d’époux. Le résultat est un cycle sans fin. Au cours des années, des opérations de régularisation en masse de clandestins donnent lieu elles aussi à de nouvelles vagues de regroupements familiaux, alimentant la spirale exponentielle. Comparant les systèmes des différents pays, les migrants font leur « shopping » et finissent par choisir la Belgique comme point d’entrée en Europe.
Cette permissivité du système inspire la fraude sous des formes de plus en plus créatives : les mariages blancs, les mariages gris (un seul des époux exploite l’union pour frauder), les mariages forcés et les « bébés papiers », c’est-à-dire la reconnaissance frauduleuse de paternité. Un mariage sur cinq serait suspect. Des filières entières se sont construites, facilitant le passage de l’Afrique ou du Moyen-Orient vers l’Europe pour les moins pauvres. Un enfant reconnu comme réfugié pouvant faire venir ses parents, des familles se cotisent pour envoyer un descendant en Belgique. À l’ère d’internet et de la téléphonie à bas coût, les informations et les astuces sont vite relayées tout au long de la chaîne.
La finalité du droit d’asile consiste à protéger des vies menacées directement par la guerre ou persécutées par des dictatures. Pourtant, le manque de contrôles tant soit peu sérieux en a fait un vecteur puissant d’immigration économique. Les pays qui envoient le plus de réfugiés en Belgique ne sont pas en guerre. Beaucoup de demandeurs d’asile viennent de camps de réfugiés situés dans des pays sûrs. Selon des pratiques bien rodées, les futurs candidats à la nationalité belge détruisent leur passeport dans l’avion afin de se présenter comme des sans-papiers et d’améliorer ainsi leurs chances d’être naturalisés. En somme, la cause humanitaire sert à maquiller des besoins tout autres. Le système juridique n’est pas en mesure de garantir le refoulement de membres de groupes islamistes fondamentalistes. Les autorités ont été parfois si peu regardantes que même des génocidaires rwandais ont trouvé refuge en Belgique. Pour comble de l’absurde, l’octroi rapide de la nationalité a été justifié politiquement par l’idée selon laquelle cela permettrait d’accélérer le processus d’intégration, tandis que c’est plutôt l’intégration qui devrait favoriser la naturalisation. On pense à l’injonction du surréaliste belge, Louis Scutenaire : « Il faut regarder la vie en farce. »
La guerre des humanismes
La crise de 2015 a montré combien l’enfer peut être pavé de bonnes intentions. Quand Angela Merkel décide d’ouvrir les frontières de l’Allemagne, c’est près d’un million de migrants qui doivent être répartis en Europe, principalement en Allemagne, en Suède, aux Pays-Bas et en Belgique. Cette décision unilatérale, par laquelle l’Allemagne impose une politique migratoire à toute l’Europe, est largement accueillie dans la presse et chez les bien-pensants comme un geste humanitaire. Pourtant, la grande majorité de ces réfugiés sont des migrants économiques ou des Syriens qui ont déjà trouvé refuge ailleurs en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient. Alain Destexhe voit lui-même des camps des Nations unies se vider de ceux qui ont suffisamment de ressources pour partir. Le geste d’Angela Merkel envoie un signal très clair de l’autre côté de la Méditerranée, incitant d’autres réfugiés à tenter cette traversée périlleuse, fournissant une aubaine pour les filières qui les exploitent. Avec le regroupement familial, le nombre des nouveaux venus sera décuplé au cours des années à venir, empirant les problèmes d’intégration et favorisant encore plus la montée des partis d’extrême droite. À tout cela, il faut ajouter que certains des djihadistes de 2015 sont rentrés en Europe pour commettre leurs attentats en passant par la Hongrie au milieu des réfugiés.
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Alain Destexhe n’a pas besoin d’un brevet d’humanisme. Il a passé douze ans avec Médecins sans frontières (MSF), dont il a été le secrétaire général. Il a également présidé l’International Crisis Group. Il connaît directement les camps de réfugiés à travers le monde. Il a vécu certaines des crises les plus graves, comme celles du Kosovo, du Rwanda ou de la Somalie. Il est donc bien placé pour lancer un « J’accuse…! » sans concession à la chancelière allemande : « Qui est véritablement le ou plutôt la responsable de ces décès en mer ? Qui a enrichi tous ces passeurs et ces réseaux criminels ? Qui a mis en route des milliers d’individus qui n’ont quand même pas atteint leur objectif ? Qui a permis à des réseaux islamistes d’utiliser avec une grande facilité le flux des migrants pour commettre des attentats en Europe ? Et c’est Angela Merkel qu’on qualifie d’humaniste ! » Qui sont les vrais humanistes : ceux qui se donnent bonne conscience et tirent un voile sur la vérité des politiques migratoires actuelles ou ceux qui cherchent à établir un consensus sur un diagnostic et des mesures de bon sens ?
Dialogue versus martyr
C’est qu’il est devenu très difficile dans nos sociétés de discuter des problèmes d’intégration. Ceux qui défendent l’immigration prétendent qu’elle est une aubaine pour l’économie du pays d’accueil et une solution pour le vieillissement de la population autochtone. Alain Destexhe y répond en soulignant les coûts exorbitants qui en résultent en termes de chômage, d’allocations, de soins médicaux et de pénurie de logements. En Belgique, 70 % des allocataires des aides sociales sont d’origine étrangère ; à Bruxelles, ce chiffre monte à 90 %. En même temps, les pays d’origine des immigrés, que les gouvernements occidentaux essaient d’aider dans leur développement, sont vidés de leurs forces vives. À Bruxelles comme à Londres, on assiste à la constitution de « sociétés parallèles » qui, à nos valeurs progressistes et sécularistes, opposent celles d’un islam fondamentaliste, créant ainsi toute une série de conflits où personne ne gagne.
Alain Destexhe en détaille toutes les conséquences – qui n’ont rien de fantasmatique : les femmes et les homosexuels victimes d’insultes et d’agressions dans les rues ; les juifs qui ont peur en public et leurs lieux de culte qui doivent être protégés en permanence ; les écoles où on ne peut pas enseigner l’histoire de la Shoah ou l’évolution darwinienne ; les quartiers qui deviennent des « zones de non-droit » où la police n’intervient qu’en prenant des mesures de sécurité renforcées et où les représentants des autorités publiques sont régulièrement caillassés par des jeunes. Le fond du problème ne tient pas aux immigrés eux-mêmes, mais aux politiques d’intégration mal conçues et mises en œuvre de façon laxiste, tandis que les thuriféraires du multiculturalisme exigent que la société belge – ou autre – ferme les yeux.
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Si nous revenons à Londres, l’ancienne capitale européenne du djihadisme, quels enseignements pouvons-nous y trouver ? En limitant les possibilités d’analyse, en verrouillant le dialogue public, on a fini par laisser le champ libre à un personnage sulfureux et picaresque comme Tommy Robinson, ancien hooligan qui a fait plusieurs séjours en prison. Il s’est composé un personnage célébrissime de martyr anti-islamiste puni par des autorités publiques soucieuses de ne pas donner l’impression qu’elles sanctionnent uniquement des musulmans. Quelle que soit la vérité derrière cette mise en scène médiatique de lui-même, Tommy Robinson est devenu un symbole. Mais le débat public ne peut se mener à coups de symboles et d’émotions médiatiques. Nous avons besoin qu’il soit franc et apaisé. Et nous avons besoin d’hommes politiques comme Alain Destexhe qui puissent le porter.
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