En France, le vivre-ensemble pacifique des différences est nécessaire, mais pas suffisant. Le projet français est plus ambitieux : il attend du nouveau venu que, dans la sphère publique, il devienne un Français comme les autochtones. En échange, il reçoit une appartenance qui n’interdit ni les croyances personnelles ni le respect de ses ancêtres.
Avec l’universalisme et la laïcité, l’assimilation est une singularité française. Ensemble, ces trois notions forment comme un triptyque : ils sont les trois volets d’un même retable. Un retable qu’on dira républicain, en précisant toutefois que si la lettre est républicaine, l’esprit, lui, est éminemment français. L’assimilation fleure bon la IIIe République, mais la passion de l’unité et du commun qui l’inspire renvoie à la longue histoire de la France.
L’assimilation à la française est un principe chancelant
De ces trois piliers, tous branlants aujourd’hui, l’assimilation est le plus chancelant. Elle fait figure, et depuis plus longtemps que les deux autres, de mal-aimée.
L’assimilation est la forme proprement française de l’intégration des immigrés, des nouveaux venus par les hasards et souvent les commotions de l’Histoire. Pour comprendre cette spécificité, il faut avoir à l’esprit quelques données historiques. « Chaque peuple qui a atteint un certain degré de développement, notait l’historien Werner Jaeger, dans son magistral ouvrage Paideia, a le souci de se continuer dans son être propre, de sauvegarder ses traits physiques, intellectuels et moraux. » Si bien que tout pays est bousculé et même mis au défi par l’arrivée d’individus qui ne sont pas sans bagages, mais porteurs d’habitudes, de codes, de modes de vie et de pensée autres que ceux du pays d’accueil ; autres, c’est-à-dire étrangers, voire contraires au pays où ils s’établissent. La question prend cependant un tour particulièrement brûlant dans un pays comme la France qui s’est ingéniée tout au long de son histoire à faire de l’un avec du multiple, qui, « si elle a de la peine à être une, ne saurait se résigner à être plusieurs » (Fernand Braudel), bref une France qui a la passion du monde commun. La France se singularise en effet (jusqu’à quand ?) par sa répugnance à voir les éléments qui la composent « superposés comme l’huile et l’eau dans un verre », pour reprendre l’image d’Ernest Renan. C’est pourquoi nous tenons la bride aux communautés, pourquoi nous refusons la fragmentation de la France en une mosaïque de communautés vivant chacune à son heure, suivant son calendrier, ses costumes et ses coutumes, pourquoi aussi l’« archipellisation » nous est non seulement une douleur, mais une offense.

Une France qui se distingue aussi par son entente de la vie, par ses mœurs, ces lois non écrites qui confèrent à un pays sa physionomie propre, et où longtemps, l’économie n’a pas eu le premier ni le dernier mot.
Une autre donnée historique mérite d’être prise en considération. Si nous avons fait le choix de l’assimilation, c’est assurément que nous cultivons la passion du commun et que nous sommes jaloux de notre mode de vie, mais c’est aussi que, plus que tout autre pays, la France se sait fragile, périssable, bref mortelle. Elle n’a pas attendu la Première Guerre mondiale pour en être instruite. La fracture de 1789 et le pathos révolutionnaire de la table rase lui ont enseigné cette vulnérabilité. D’où l’instauration de mécanismes qui lui garantissent une certaine persévérance dans l’être. L’assimilation est l’un d’entre eux. Elle est une assurance prise contre la nouveauté et ses potentialités destructrices, dont l’immigré est porteur. Comme l’est, soit dit
