Accueil Société « Il y a un nombre non-négligeable de descendants de harkis parmi les radicalisés »

« Il y a un nombre non-négligeable de descendants de harkis parmi les radicalisés »

Entretien avec le politologue Jérôme Fourquet


« Il y a un nombre non-négligeable de descendants de harkis parmi les radicalisés »
Mehdi Nemmouche, accusé d'être l'auteur d'une fusillade au Musée Juif de Belgique, ici à la cour d'appel de Versailles, le 12 juin 2014 ©SIPA Auteur : Benoit Numéro de reportage : AP22130085_000001

Mi-juillet, la conseillère départementale LREM Mounia Haddad, 29 ans, a été séquestrée deux jours durant par sa famille d’origine algérienne. Celle-ci n’acceptait pas son projet de mariage avec un descendant de harki. Après avoir décortiqué les structures anthropologiques de l’immigration algérienne, le politologue Jérôme Fourquet se penche sur les traces que la guerre d’Algérie a laissées dans notre société. Dans la France en proie au terrorisme, héritiers des harkis, pieds-noirs et combattants du FLN brassent des imaginaires concurrents. Entretien (2/2)


 

Retrouvez la première partie de cet entretien ici.

Daoud Boughezala. Cinquante-six ans après la signature des accords d’Evian, alors que l’affaire Mounia Haddad révèle la potentielle rivalité entre descendants de harkis et familles FLN, quels rapports entretiennent ces deux sous-groupes de l’immigration algérienne en France ?

Jérôme Fourquet. Dans certaines familles d’origine algérienne, la mémoire héroïque de l’engagement des parents ou grands-parents dans la lutte d’indépendance continue d’être amplement entretenue. Cela peut  s’accompagner d’un rapport ambigu à la France mais surtout d’un rejet et d’une stigmatisation des harkis. Abdelghani Merah raconte comment sa fratrie a baigné dans un discours de rejet de la France, ancienne puissance coloniale. Ce n’est peut-être pas non plus un total hasard si son frère Mohamed a ciblé trois militaires français d’origine maghrébine.

En parallèle, comme l’a noté Gilles Kepel, il y a un nombre non-négligeable d’enfants et de petits-enfants de harkis parmi les musulmans radicalisés, à l’instar de Mehdi Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles. On observe une sorte de retournement de stigmate : des familles méprisées parce qu’elles étaient dans le camp des perdants et considérées comme des traîtres à la cause surinvestissent leur identité musulmane. Consciente ou non, cette revanche symbolique peut les amener à entrer dans une course au plus pur.

Pour la gauche empreinte du schéma binaire dominant/dominé, les harkis étaient du mauvais côté de l’histoire.

Dans votre essai co-écrit avec Nicolas Lebourg La nouvelle guerre d’Algérie n’aura pas lieu, (Fondation Jean Jaurès, 2017) vous soulignez le rôle pionnier qu’ont joué les enfants des enfants de harkis dans la construction de l’islam de France et dans la Marche des beurs (1983). Pourtant, leur cause est plus souvent défendue par le Front national que dans la mouvance antiraciste. Comment expliquez-vous cette occultation ?

Chaque cause politique doit être intégrée dans une grille de lecture historique ou un schéma plus large. Traditionnellement, le FN et une partie de la droite ont toujours eu à cœur de défendre la cause des rapatriés ainsi que celle des harkis. Parmi les figures emblématiques de cette famille de pensée, on trouve Jeannette Bougrab. Dans l’autre camp, la matrice idéologique et historique de la gauche l’inclinait en revanche à glorifier le FLN pour s’inscrire dans la tradition des porteurs de valises et des manifestants de Charonne. Cette inscription symbolique s’est prolongée après la décolonisation dans les combats antiracistes et dans la lutte pour l’intégration. La cause harkie s’insérait mal dans ce schéma global car avec son surmoi marxiste, la gauche entendait se placer du côté des opprimés. Pour la gauche empreinte du schéma binaire dominant/dominé, les harkis étaient du mauvais côté de l’histoire.

Le cas des harkis renvoie en effet à la mauvaise conscience du gaullisme et de la droite.

Abandonnés par la France, parqués dans des camps de transit, les harkis n’ont obtenu que très tardivement des excuses officielles des autorités françaises, par la voix des présidents Sarkozy puis Hollande. Ont-ils été enfin intégrés au grand récit national ?

Sans doute davantage que par le passé. La société française a mis des décennies à digérer les années de la guerre d’Algérie. De la même manière qu’il a fallu attendre les années 1970/80 pour qu’on porte un autre regard que le mythe gaullo-communiste sur l’Occupation et la Résistance, il a fallu patienter jusqu’aux années 2000 pour qu’on s’intéresse de nouveau à ce sujet de la guerre d’Algérie qui a coupé le pays en deux et qui est longtemps resté occulté notamment pour ce qui est de la question des harkis.

Le cas des harkis renvoie en effet à la mauvaise conscience du gaullisme et de la droite. De Gaulle avait en effet donné l’ordre de désarmer les harkas tandis que les fellaghas se préparaient à les massacrer. Symétriquement, par parti pris pro-indépendance de l’Algérie, la gauche aussi s’est totalement désintéressée de cette population et de ses descendants après leur immigration, malgré leurs conditions de vie inacceptables. Dans ces conditions, le combat des harkis a été investi par le Front national.

Dans la guerre des mémoires, chacun a choisi ses Arabes : le FN les harkis, la gauche les descendants des indépendantistes.

Le FN s’est-il approprié la cause harkie par opportunisme électoral ?

Pour le FN, il s’agit d’abord de rester fidèle au combat pour l’Algérie française. Dans ce cadre, l’empathie des frontistes va logiquement aux harkis, qui furent longtemps les parias de la République. Par ailleurs, ils peuvent ainsi afficher une sensibilité patriotique qui n’est du coup clairement pas basée sur un critère ethnique. Dans la guerre des mémoires, en substance, chacun a choisi ses Arabes : le FN les harkis, la gauche les descendants des indépendantistes.

C’est dire si la guerre d’Algérie semble encore dans toutes les têtes. Depuis la vague terroriste de 2015, les autorités craignent-elles la résurgence d’un début de guerre civile comme l’hexagone en a connu entre 1958 et 1962 lorsque FLN et OAS y multipliaient les attentats ?

Le directeur de la DGSI Patrick Calvar semblait effectivement préoccupé par une hypothétique guerre civile opposant djihadistes et éléments violents d’ultradroite. De son côté, la sphère la plus identitaire de la droite conjecturait une nouvelle guerre d’Algérie, en se basant sur des références telles que la Toussaint Rouge, pendant que les théoriciens du djihad comme Abu Moussab Al-Souri spéculaient depuis des années sur l’opportunité d’embraser les sociétés européennes. Pour Daech, le but du jeu était de créer la guerre civile en commettant des attentats marquants susceptibles de dresser les communautés les unes contre les autres. Par le déclenchement d’un cycle provocation-répression, l’objectif était de fragmenter petit à petit la société française, notamment géographiquement, entre musulmans et mécréants. Craignant la réalisation de ce scénario, Calvar avait prédit que la société française allait de grands risques de vaciller entre fin 2015 et 2016.

Si Daech était parvenu à mettre la société française sous pression, on aurait peut-être eu une sortie de route.

Mauvaise pioche ! Malgré des attentats en série, la société française n’a pas basculé dans la violence…

On a quand même connu un petit moment de flottement en 2016. Souvenez-vous de ce qui est arrivé en Corse, l’une des parties du territoire les plus sensibles à ces problématiques : la ratonnade des jardins de l’empereur d’Ajaccio en décembre 2015, quelques semaines après les attentats du Bataclan et des terrasses parisiennes ; puis les affrontements ethniques de Sisco survenus en août 2016, deux semaines après l’assassinat du père Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray.

Mais depuis l’attaque de Nice en juillet 2016, il n’y a plus eu d’attentat terroriste de grande ampleur dans l’hexagone. On peut penser que, si l’appareil de Daech était parvenu à mettre la société française sous pression, on aurait peut-être eu une sortie de route.

Au moment des attentats, on a vu resurgir une palette de références qui nous ramenaient tout droit aux heures sombres de la guerre d’Algérie.

Avec 250 morts en trois ans, le bilan du terrorisme djihadiste sur le sol français n’a rien à envier aux exactions du FLN…

Au-delà de ce triste bilan humain, il reste un fossé entre les capacités organisationnelles dont disposait l’appareil politico-militaire du FLN en France et celles des djihadistes présents dans l’hexagone. A l’époque, en quelques semaines, le FLN avait perpétré des centaines d’attentats partout sur le territoire de la métropole, y compris contre des équipements économiques (voies de chemin de fer, dépôts pétroliers etc..).

Le niveau de menace est donc objectivement moins élevé qu’à l’époque. Reste qu’au moment des attentats, on a vu resurgir une palette de références qui nous ramenaient tout droit aux heures sombres de la guerre d’Algérie : le recours à l’état d’urgence, la capacité de l’appareil d’Etat et des forces de sécurité à quadriller un certain nombre de quartiers et d’empêcher les fixations de l’ennemi djihadiste dans certaines zones. Tout cela a nourri le spectre de la guerre civile qui hante notre société du fait du délitement du vivre-ensemble.

La nouvelle guerre d'Algérie n'aura pas lieu

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est journaliste.

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