Les arguments en faveur de l’immigration de masse ont en France changé à plusieurs reprises. Ils se sont constitués, ont produit de beaux éléments de langage et de nobles discours puis, devant le choc du réel, ils ont reculé pour se reconstituer sur d’autres lignes de défense. « Repli tactique sur des positions préparées à l’avance », disait-on à la Débâcle.
Entre 1975 et 1985, la ligne de défense contre le réel se situait sur le Rhin. On prescrivait l’accueil, la générosité, l’hospitalité, on proclamait que l’assimilation serait facile puisque le seuil de tolérance, fixé à 1 %, n’était pas dépassé. Pas plus de 10% d’immigrés à Roubaix, Mantes-la-Jolie ou Marseille-Nord, et l’intégration s’accomplirait. Ceux qui doutaient étaient priés de se taire, ils faisaient le jeu du Front national. Le fameux seuil fut pulvérisé, mais on ne lut jamais, à la une du Monde ou ailleurs, un article alarmé disant que le seuil de tolérance était dépassé aux Minguettes, et que le gouvernement devait réagir. L’immigrationnisme ne se repent pas ses erreurs, il oublie simplement d’en parler.
Après ce recul discret et le passage à la trappe de l’expression « seuil de tolérance », on édifia une ligne de défense sur la Meuse. Elle semblait inexpugnable : « Mais enfin, “ils” s’intègreront, comme les Polonais-Espagnols-Italiens-Portugais de la première moitié du XXème siècle ». Cet argument fut utilisé dans d’innombrables discours de distribution des prix, comices agricoles, prises de paroles à l’Assemblée nationale, éditoriaux de journaux et vœux présidentiels. Noblesse de cœur, élévation d’esprit, connaissances historiques : le discoureur ne pouvait se faire qu’une haute opinion de lui-même, ressort psychologique essentiel du politiquement correct. Le fait que prendre une posture, c’est s’empêcher de penser avec rigueur, n’effleurait pas les esprits.
Ce fut l’âge des premiers lynchages médiatiques d’opposants, encore une activité délicieuse pour les corrects du politique. Renaud Camus qui osait critiquer l’enthousiasme de France Culture devant les foules débarquant à Marseille, en fut une des premières victimes. L’un de ses lyncheurs a-t-il reconnu que les inquiétudes exprimées dans la Campagne de France n’étaient pas infondées ? J’en doute. Le dernier à avoir utilisé cet argument est Lionel Jospin en 2005. Depuis, plus personne n’ose. Aucun Français d’origine portugaise n’a jamais assassiné à la kalachnikov en l’honneur de Notre-Dame de Fatima. Et Jospin n’avouera jamais qu’il a dit une grosse bêtise.
Une nouvelle crétinerie, un nouveau succès
Une nouvelle rhétorique est en train de se construire sur la Marne. Elle n’empêchera pas les loups d’entrer dans Paris et de tuer, mais elle empêchera à coup sûr de prendre les mesures nécessaires à la prévention de futurs massacres. Cette fois, il ne s’agit pas de l’immigration de masse, mais d’une de ses conséquences, le terrorisme islamiste. La bien-pensance vient d’inventer un argumentaire, noble, d’utilisation facile, qui gratifiera beaucoup le discoureur et obscurcira efficacement la réalité. Notons combien il est passionnant pour l’observateur de voir surgir une nouvelle crétinerie, à laquelle je prédis un succès phénoménal.
Le ton a été donné à la une du Monde trois jours après les attentats du 13 novembre. Le veuf d’une des victimes, un certain Antoine Leiris, a publié une lettre ouverte aux djihadistes qui s’intitule « Vous n’aurez pas ma haine ». Choix très habile de la part du principal média bien-pensant. Quel sans-coeur oserait critiquer un veuf tout neuf ? Le nom de Leiris en impose, qu’il y ait une parenté ou non avec l’écrivain. La lettre commence ainsi : « Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes. » Déni de réalité bien connu : l’ennemi me désigne, mais moi je refuse de le désigner. On ne dit pas « islamistes », on dit « âmes mortes » : haute noblesse d’expression et clin d’oeil à l’élite intellectuelle qui connaît le titre de Gogol, plus rarement le contenu. Voilà qui va certainement désespérer Raqqa.
La suite de la lettre est instructive, elle précise l’argumentaire qu’on va nous resservir une bonne vingtaine d’années jusqu’à ce que cette noblesse d’âme apparaisse pour ce qu’elle est : une lâcheté parée d’oripeaux grandioses. « Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens d’un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour ma sécurité. » Si ce monsieur côtoie dans le métro une femme en niqab un peu forte de hanches, il ne s’éloignera pas comme ont fait les passagers de l’incident rapporté par un journaliste de Libération. Il préfère risquer de voler en éclat à cause des hanches rembourrées à l’explosif que vexer une brave femme innocente. Bravo.
Antoine Leiris termine par une anticipation très discutable : « Mon fils et moi, nous sommes plus forts que toutes les armées du monde (…) et toute sa vie, ce petit garçon vous fera l’affront d’être heureux et libre. Car vous n’aurez pas sa haine non plus. » Vivra-t-il heureux et libre si la France est déchirée par une guerre civile ? On peut en douter. N’aura-t-il jamais de haine contre les djihadistes ? On peut se permettre de critiquer un père abusif qui, des années à l’avance, préjuge des opinions de son fils. D’ailleurs, les enfants ayant la saine habitude de prendre le contrepied de leurs parents, Leiris junior peut très bien voter un jour Marion Maréchal-Le Pen pour embêter papa.
Mort à la Haine !
Je ne serais pas revenu sur la lettre de ce malheureux en désarroi s’il n’y avait eu les attentats de Bruxelles et, avec une concomitance malvenue, les clips gouvernementaux « Tous-unis-contre-la-haine ». Béatrice Delvaux, collaboratrice du Soir de Bruxelles, dans l’émission d’Yves Calvi C dans l’air les 21 et 22 mars avançait l’idée que les djihadistes auront gagné si nous sombrons dans la peur et dans la haine. Ce nouveau discours de bien-pensance nous ordonne de cacher ces sentiments, sous prétexte qu’ils nous rabaissent au niveau de ceux qui veulent nous tuer. Deux mots d’ordre absurdes qu’il faut dénoncer. La peur a sauvé ceux qui, craignant le nazisme, ont fui l’Allemagne des années 1930. Cacher sa peur peut se révéler une posture puérile, on l’a vu le dimanche 15 novembre 2015 quand un pétard a jeté la panique sur la place de la République, on l’a revu à Bruxelles le 27 mars 2016 quand la « marche contre la peur » a été décommandée par peur d’attentats.
On voit bien dans quel piège la campagne gouvernementale « Tous-unis-contre-la-haine » veut enfermer le contradicteur : si vous n’êtes pas contre la haine, vous êtes pour elle, donc un salaud. Il faut reprendre à propos de la haine les arguments d’Alain Finkielkraut dans l’émission L’Esprit de l’escalier d’Elisabeth Lévy à propos de la peur : dénoncer des sentiments, faire une campagne de clips télévisés contre la peur ou la haine est absurde. C’est sur leurs causes qu’il faut agir. On assiste au contraire à une essentialisation de la haine, qui est bien dans la manière purement magique et incantatoire de l’actuel gouvernement socialiste. La Haine est un monstre sans cause ni origine, il importe avant tout de se liguer contre elle et de l’anéantir. Voilà une manœuvre vouée à l’inefficacité et qui empêchera de prendre des mesures sérieuses.
Peut-on dédiaboliser la haine ? Oui, bien sûr. Ainsi la haine que des victimes portent à leurs bourreaux n’est que la réponse à la haine que ceux-ci leur portent, elle n’est pas condamnable moralement. Les mourants d’Auschwitz devaient-ils se priver de haïr les nazis pendant que le gaz sourdait à travers les faux pommeaux de douche ? Devaient-ils leur dire, pour faire par avance plaisir au Monde et à M. Leiris : « Vous n’aurez pas notre haine » ? J’irai même plus loin : l’expression verbale de la haine est une catharsis qui peut empêcher le passage à l’acte. Je me suis entendu dire une fois dans le métro par un quinquagénaire maghrébin ivre : « Tu manges du cochon, c’est pour ça que tu as une peau de cochon. » Eh bien, c’est bizarre mais je préfère mille fois recevoir une bordée d’injures racistes à la figure plutôt qu’une rafale de kalachnikov dans la poitrine. La catharsis, nous explique Aristote, est une purgation des passions par leur profération publique, elle peut empêcher le passage à l’acte. Ceci explique sans doute le succès de Donald Trump : en proférant des horreurs, il soulage les inconscients occidentaux sur lesquels le politiquement correct exerce un refoulement impitoyable. La gauche avait dans les années 1990 une culture psychanalytique très poussée. Elle l’a perdue aujourd’hui par déni du réel, parce que la psychanalyse peut permettre de s’approcher trop dangereusement de la réalité. C’est un des aspects, non des moindres, de la terrible décadence intellectuelle de la gauche.
Un moratoire sur l’immigration paraît aujourd’hui indispensable. Il faut donner à tous les Molenbeek de Belgique, de France et de Navarre le temps nécessaire pour comprendre que l’enfermement communautaire et le refus des valeurs et des vêtements européens ne mènent à rien. L’arrivée de nouveaux cousins du bled ne ferait que reporter dans le temps le jour espéré où toutes les « communautés » se fondront à nouveau dans une nation pacifique et cohérente. Pour les Français de toutes origines, la fermeture des frontières est une très triste nécessité.
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