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Ils étaient où, les drapeaux français ?


Ils étaient où, les drapeaux français ?

drapeau-algerien

Finalement, ce débat sur l’identité nationale, dont on attend toujours qu’il commence vraiment, ne tombait pas si mal. Les matches de barrage pour la qualification à la Coupe du Monde, laquelle bien entendu hante les nuits de tous les Français, se sont chargés de nous le rappeler. On glissera rapidement sur la métaphysique question de la main de Thierry Henry, pauvre organe de hasard qui a maintenant reçu la lourde charge de masquer, à lui seul, toute la réalité, pour en arriver à deux phénomènes étranges qui, si la bonne foi n’avait pas déserté l’arène du débat, ne devraient pas manquer d’en interroger les participants, en premier lieu les plumes qui se relaient depuis un mois dans toute la presse pour affirmer qu’il n’y a pas d’identité nationale, qu’il n’y en a jamais eu, n’y en aura jamais, que ces termes ne veulent rien dire et que si par inadvertance il leur arrivait qu’ils aient un sens, il ne pourrait être que sombre comme les heures de notre histoire, collaborationniste, extrême-droitier, barréso-maurrassien, menteur comme la terre, bref raciste.

Ces deux phénomènes sont apparus concomitamment quoiqu’ils soient d’apparence contradictoire. Le premier n’est pas neuf, puisque nous le revivons au bas mot tous les quatre ans mais son occurrence ne manquait pas de sel : le rassemblement de tous les Français derrière les Bleus pour conjurer le ciel de leur accorder le fameux ticket pour l’Afrique du Sud. Au moment même où un chœur de vierges effarouchées réaffirmait ce que nul n’aurait jamais dû oublier, qu’il n’y a pas d’identité française, ce réflexe ininterrogé qui consiste à se ranger spontanément comme un seul homme derrière une équipe griffée France ne laissait de piquer la curiosité de l’observateur de Sirius. Quoi donc ? Ces esprits forts à qui on ne la fait pas avec le coup moisi de la nation n’échappaient pas, pour aucun d’entre eux, au chauvinisme ranci qui fait les joies du sport, et particulièrement des sponsors et autres annonceurs de ces événements populaires ? Comment ? Parce qu’on leur a dit qu’ils étaient français, ils soutiendraient tous l’équipe de France ? Décidément, la réaction avait de beaux jours devant elle. C’était presque faire le jeu du Front National que de soutenir l’équipe de Raymond Domenech.

C’est là qu’intervint providentiellement le second phénomène. Le hasard voulait qu’au soir de ce 18 novembre 2009, il n’y eut pas que la France qui disputât un match de barrage, mais aussi l’Algérie dont le départ était mal entamé. Peu importait à nos fiers supporters, pouvait-on supputer, que l’Algérie ou l’Egypte l’emportât. Tant que nous, on y était. Mais non. C’était encore douter de la clairvoyance de ce peuple libre. Car le match franco-irlandais n’était pas même achevé que la liesse, selon le mot désormais consacré, s’emparait des rues de toutes les villes de France dignes de ce nom. Paris n’était plus qu’un brasier d’enthousiasme, un creuset du bonheur. Partout des voitures klaxonnant d’enthousiasme, des grappes de jeunes gens hissés sur la portière et même sur le toit, des bolides sillonnant les boulevards pour partager leur sentiment de délicieuse victoire. Partout, dans les mains, à l’arrière des voitures, enroulé sur la tête, flottant au vent, des drapeaux. Un drapeau, en fait. Qui n’était pas bleu blanc rouge.

La communion de la foule se faisait sous les couleurs algériennes. Quiconque a traversé les rues de Paris à cet instant-là s’en souviendra toute sa vie : la ville repeinte en rouge blanc vert où l’immense gonfanon bleu blanc rouge qui bat sous l’arc de triomphe était cerné de partisans de l’équipe d’Algérie dont la fierté s’habillait des teintes ultra-méditerranéennes.

Ce second phénomène possède donc l’avantage immense de nous apprendre que contrairement à ce que pouvait laisser prévoir le premier, les habitants de l’Hexagone ne sont pas tous prêts à obtempérer à l’ordre de mobilisation nationale proféré en choeur par la Coupe du Monde de football et le Ministre de l’Intégration. Monsieur Besson a du souci à se faire.

Mais il en a plus à se faire encore si l’on considère l’autre enseignement de ce phénomène : c’est que si la population de ce pays refuse d’arborer le drapeau français, elle ne rechigne pas à brandir l’Algérien. Qu’il y a donc une bonne partie de ce pays à rééduquer, si elle croit pouvoir mettre sa dignité dans des colifichets d’un autre âge témoignant d’une insupportable fermeture d’esprit à l’autre. A moins que l’on argue du fait que l’identité nationale (qui n’existe pas, rappelons-le) ne puisse être invoquée que dans le cas où l’on vivrait dans un autre pays que le sien, ce que ne manqueront pas de plaider les contempteurs de la proposition Besson. On ne doute pas d’ailleurs que les Français expatriés en Algérie aient manifesté avec des cocardes toute la nuit pour fêter la victoire de Thierry Henry. On dit même que les anciens du FLN en ont été ravis, à qui cela rappelait leur jeunesse.

Enfin, si l’on sort de ces gamineries pour passer dans le symbolique, on s’étonne que personne dans ce pays, parmi le pouvoir, les hommes politiques, les intellectuels, les psychanalystes, les sociologues, ne prenne la mesure de l’injure faite, sinon au peuple français, au moins au bon sens l’autre soir. Il ne s’agissait pas du match que l’Algérie vaita gagné ; il s’agissait du match que la France avait gagné. Et nulle part, dans les rues, de supporters des Bleus en délire, nulle part les insignes rituels de la France qui resurgit à l’improviste les jours de rencontre sportive. France ! qu’as-tu fait de tes drapeaux ? France ! Où sont tes supporters prêts à mettre le feu pour fêter ta victoire ? France ! Où est passé ton amour de Platoche et de Zizou ? France ! qu’as-tu fait des promesses de 1998 ?

Nos gouvernants n’ont sans doute pas à l’esprit qu’un peuple contemporain qui ne s’exprime même plus les soirs de victoire footballistique est soit mort, soit en train de conspirer sa révolte.

La seconde réponse est la plus probable.



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est journaliste et essayiste.

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