Une amie enseignante, prof de Lettres brillantissime et particulièrement fiable, m’envoie à chaud une critique des « Illusions perdues » de Xavier Giannoli, dont toute la presse chante les louanges. Je n’en ai pas modifié une ligne. Mes confrères spécialisés sont manifestement enthousiastes parce que dans le désert du cinéma français actuel, une médiocrité peut passer pour une réussite. Jean-Paul Brighelli
Avouons-le tout de suite : redoutant le pire, je n’avais aucune envie de voir ce film, où m’entraîna une amie si chère et de si longue date que je n’ai pu faire autrement que d’obtempérer en traînant les pieds…
Je n’ai rien contre Xavier Giannoli, j’avais bien aimé « Marguerite » ou « Quand j’étais chanteur », deux gentilles bleuettes… Mais avec une adaptation de Balzac je me sentais comme prise d’un noir pressentiment : inventer une écriture filmique qui soit à la hauteur du récit balzacien, c’est plus qu’un défi. Il fallait être un cinéaste hénaurme, ce que n’est pas Giannoli. Mais alors, pas du tout.
De petites beautés juxtaposées ne font pas un film
C’est du cinéma français d’aujourd’hui, avec tout ce que cela suppose comme incapacité à proposer un vrai regard sur ce que l’on filme. Comme paralysée par le génie balzacien, l’adaptation, un peu paresseuse (150mn quand même — trop ou trop peu pour rendre compte du diptyque balzacien des Illusions perdues et de Splendeur et misère des courtisanes, 1600 pages au total en Livre de poche), se contente d’illustrer, avec de la belle image, de beaux décors, de beaux costumes, une chouette bande-son et un casting globalement soigné. Mais tant de petites beautés juxtaposées ne font pas un beau film. On cherche vainement une écriture ou un point de vue, hélas.
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Je ne reproche pas au film d’avoir fait l’économie du début du roman (Lucien à Angoulême, sa sœur, sa mère, son ami David Séchard …) : on ne peut pas tout rendre. La satire de la presse est plutôt bien faite (c’est le propos majeur du film), d’autant que c’est dans Balzac (contrairement à l’Eugénie Grandet en héroïne féministe dans le film concomitant de Marc Dugain, ô aberration). L’absence du Cénacle et des deux « purs », Daniel d’Arthez et Michel Chrestien, m’a plus gênée, mais soit : ce choix peut s’admettre, à condition peut-être de noircir davantage le trait. Quant à Vautrin alias l’abbé Carlos Herrera, on l’attend vainement à la fin et c’est fâcheux. Des clins d’œil inutiles à l’actualité (un banquier au gouvernement, ah, c’est fin) et des scènes de cul tout aussi inutiles (dont une baisade en fiacre tout droit sortie de Madame Bovary), ne servent en rien à souligner la pertinente actualité de Balzac.
Un Rubempré peu convaincant
Mais le désastre total et absolu, c’est le choix de Benjamin Voisin pour interpréter Lucien. À aucun moment il n’est le personnage. Où est donc passé le jeune et beau dieu grec à l’ambiguïté langoureuse, quelque peu éphèbe, à l’œil de velours et au geste alangui, qui séduit hommes et femmes, et dont la mort avait traumatisé Oscar Wilde — « La mort de Lucien de Rubempré est le plus grand drame de ma vie » ? On n’y croit pas une seule seconde, d’autant que Xavier Dolan (Nathan) et surtout Vincent Lacoste (impeccablement odieux en Lousteau) tiennent parfaitement leur rôle, eux. Quand les seconds couteux sont bons et que le personnage principal est mièvre, l’ensemble est indigeste, et finalement invisible.
Bref, ça se laisse voir, ce n’est pas déshonorant, mais c’est quand même assez oubliable. Ce sera très bien à la télévision, et d’ailleurs c’est filmé pour le petit écran : l’esthétique Netflix est en train de tuer le cinéma.
En 1966 Maurice Cazeneuve avait adapté les Illusions perdues en quatre épisodes pour l’ORTF, avec un tout jeune Yves Rénier. Je vais essayer de me procurer le film pour oublier celui de Giannoli — comme on se rince la bouche à l’eau claire après avoir goûté une piquette.
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