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Balzac retrouvé

"Illusions perdues", de Xavier Giannoli, Sortie le 20 octobre 2021


Balzac retrouvé
De gauche à droite, Benjamin Voisin et Vincent Lacoste dans les rôles de Lucien de Rubempré et Etienne Lousteau © Roger Arpajou / 2021 CURIOSA FILMS

Quoi de neuf au cinéma ? Balzac, pour le meilleur et le moins bon ! Les adaptations se suivent et ne se ressemblent pas mais l’auteur de la Comédie humaine est un scénariste hors pair et les miroirs qu’il nous tend s’avèrent redoutables de netteté.


« À l’époque où commence cette histoire, la presse de Stanhope et les rouleaux à distribuer l’encre ne fonctionnaient pas encore dans les petites imprimeries de province. » Cette phrase en apparence banale et descriptive ouvre l’un des plus grands romans de la littérature française et par définition inadaptable sur grand écran. Illusions perdues, d’Honoré de Balzac, n’est pas fait pour le cinéma parce qu’il faudrait des heures et des heures de film pour parvenir maladroitement à en tirer une matière digne de ce nom. Claude Chabrol ne s’y trompait pas, lui qui avait coutume de dire qu’un film de deux heures ne suffirait pas pour adapter au cinéma la première page du Père Goriot

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Il faut donc une bonne dose d’inconscience pour se lancer dans une telle aventure si l’on veut parvenir à autre chose qu’une série télévisée de prestige. Or, Xavier Giannoli est l’auteur d’un film tout à fait passionnant, avec François Cluzet dans le rôle principal, À l’origine, racontant l’histoire vraie d’un escroc français qui parvint à construire illégalement un tronçon d’autoroute. Au fond, adapter Illusions perdues relève du même pari fou, d’une même forme de délinquance absolument sympathique et définitivement vouée à un échec qui pourrait valoir bien des réussites. On aura compris que Xavier Giannoli est l’auteur, avec Jacques Fieschi, de cette tentative pour porter à l’écran Lucien de Rubempré et ses petits camarades journalistes notamment. Fuyant comme la peste la « modernité » de Balzac, Giannoli a l’extrême intelligence de se concentrer sur son intemporalité en se montrant d’une impeccable fidélité au livre. Il faudrait être stupide pour se comporter autrement. Son film, qui fait évidemment des choix narratifs, n’est qu’un reflet inspiré d’une œuvre monstrueuse au bon sens du terme.

Dans Illusions perdues, Balzac, on le sait, s’attaque à la presse, comme il l’indique d’entrée de jeu en dédiant son roman à Victor Hugo : « À vous qui par le privilège des Raphaël et des Pitt, étiez déjà grand poète à l’âge où les hommes sont encore si petits, vous avez, comme Chateaubriand, comme tous les vrais talents, lutté contre les envieux embusqués derrière les colonnes, ou tapis dans les souterrains du Journal. Aussi désiré-je que votre nom victorieux aide à la victoire de cette œuvre que je vous dédie, et qui, selon certaines personnes, serait un acte de courage autant qu’une histoire pleine de vérité. Les journalistes, n’eussent-ils donc pas appartenu, comme les marquis, les financiers, les médecins et les procureurs, à Molière et à son Théâtre ? Pourquoi donc La Comédie humaine, qui castigat ridendo mores [1], excepterait-elle une puissance, quand la Presse parisienne n’en excepte aucune ? » Tout est dit ici des intentions de l’écrivain : prendre pour cible et sans ménagement les journalistes et la presse considérée comme un État dans l’État, un pouvoir sans contre-pouvoir et le lieu de toutes les corruptions et de toutes les compromissions.

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Aidé par une distribution éclatante, Gérard Depardieu et Vincent Lacoste entre autres trognes parfaitement balzaciennes, Giannoli prend manifestement un malin plaisir à se placer dans les pas du romancier pour tirer à boulets rouges, en particulier sur les spécialistes de la critique. Le film, comme le roman, illustre à chaque image ou presque la maxime tirée de Chamfort et adaptable à l’infini, soit en substance : « Je ne lis pas les livres dont je parle, cela pourrait m’influencer. » Cela marche tout autant avec les films, les musiques, les tableaux et autres expositions. Cet aberrant postulat de départ gangrène littéralement les protagonistes de l’histoire inventée par Balzac, qui au fond n’est que le pâle reflet de la réalité. « Viendra le temps où un banquier rentrera au gouvernement », prophétise l’un des plumitifs du livre repris dans le film : de Pompidou à Macron, Balzac avait vu juste avec un peu d’avance. Relire Balzac encore et toujours sans aucun doute, mais voir Giannoli également tant est réjouissant et pertinent son hommage animé.


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[1] « Corrige les mœurs en riant »

Octobre 2021 – Causeur #94

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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