Villedeparisme. Après avoir entériné la fermeture du marché aux oiseaux, le conseil de Paris poursuit la « réhabilitation » du marché aux fleurs. Ce mot laisse présager une restructuration profonde de ce coin si poétique de la capitale. Quand la mairie de Paris parle d’esthétique, il faut craindre le pire.
Dès que la Mairie de Paris parle de patrimoine, on s’attend au pire. Une crainte plus que jamais justifiée dans le cas du marché aux fleurs – qui abrite le marché aux oiseaux chaque dimanche –, tant les menaces pesant sur cette place Louis-Lépine et ses pavillons fin xixe sont nombreuses et récurrentes. Nous avions été quelques naïfs à penser que la visite de la reine d’Angleterre, en juin 2014, sur ce marché rebaptisé à cette occasion « Marché aux fleurs-Reine Elizabeth-II », lui garantirait une protection éternelle. Las, dès 2016, François Hollande, alors président de la République (si, si, souvenez-vous), confiait à Dominique Perrault, l’architecte qui a commis la BNF-François-Mitterrand, une mission d’étude sur « l’avenir de l’île de la Cité ». Ceux qui ont vu l’exposition de son projet visionnaire à la Conciergerie sont encore en état de choc. Il proposait de raser toute cette place, selon lui scandaleusement sous-exploitée avec ses petits pavillons charmants et désuets, afin d’y construire un cube de verre sur plusieurs étages « à la façon du Crystal Palace ». Tant de modestie n’a pas convaincu et l’idée de transformer l’île-mère de Paris en centre commercial pour touristes a été abandonnée. De toute façon, il n’y a plus de touristes et le marché aux fleurs a pu tranquillement bénéficier de la négligence de la Ville. Comme souvent désormais, il a fallu attendre un état de dégradation avancée pour que le Conseil de Paris vote, en décembre dernier, sa réhabilitation avec « remise dans leur état d’origine des halles patrimoniales » et, pour cela, un budget de près de 5 millions d’euros. Le chantier devrait s’étaler de 2023 à 2025 (flûte, en plein JO).
On pourrait se féliciter de ce vote, mais cette mauvaise habitude de voir le mal partout me pousse à m’interroger sur les intentions réelles de la municipalité. Il suffit de lire son site pour se gratter la joue : « Le projet prévoit aussi de repenser l’usage des lieux pour les commerçants comme pour les visiteurs. Une piétonnisation des abords du marché et de ses allées centrales est prévue, ainsi qu’une végétalisation en pleine terre avec notamment la plantation d’arbres et l’implantation d’un stand de petite restauration. Le règlement du marché, actuellement en régie directe, sera aussi révisé. Enfin, les boîtes sur le quai de Corse devraient être déposées afin de retrouver la vue sur la Seine. »
Végétaliser un marché aux fleurs déjà blotti entre les arbres est une idée rigolote, je doute en revanche que la Préfecture de police voisine accepte la piétonnisation de la rue de la Cité qui la dessert. Couper la circulation quai de Corse ne serait qu’une contrariété de plus infligée aux Parisiens qui, à en juger par le résultat des élections, semblent adorer qu’on leur pourrisse la vie, et supprimer ces « boîtes » ne ferait que mettre quelques fleuristes au chômage. Sauf si le projet de réhabilitation prévoit de construire de nouvelles « halles patrimoniales » ; d’ailleurs, on préfère ne pas imaginer à quoi ressemblera le « stand de petite restauration » ni la nature de celle-ci.
Il est également annoncé le lancement d’un concours d’architectes. S’il est bien question d’une « remise dans leur état d’origine des halles patrimoniales », la supervision du chantier par un architecte des Monuments devrait suffire, non ? Faudrait-il comprendre que cette « remise en état » inclurait quelques mètres d’asphalte supplémentaires et quelques baraques d’architecte pour répondre à la promesse du Conseil de Paris de « repenser l’usage des lieux » ?
Sous la pression, bienvenue, d’une association de défense des animaux, la PAZ (Paris animaux zoopolis), l’Hôtel de Ville a d’ores et déjà commencé à le repenser, cet usage des lieux. Pour entériner la fermeture du marché aux oiseaux, institution remontant au Premier Empire, Christophe Najdovski, le maire adjoint chargé de la condition animale, a déclaré qu’il « était devenu l’épicentre d’un trafic d’oiseaux » et que, « malgré un certain nombre d’actions menées, ces trafics perdurent aujourd’hui ». On peut ici penser à cette expression : « Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage. » La PAZ dénonçait aussi un « vestige d’un autre temps ». Vlan ! Argument imparable, plus fort que les images filmées par L214 dans les abattoirs, et qui motive également ses actions pour fermer le zoo du jardin des Plantes et interdire la pêche dans la Seine.
Dans Les Échos du 26 novembre 2020, Emmanuel Grégoire, premier adjoint du maire de la capitale en charge de l’urbanisme et de l’architecture, annonçait tout de go qu’il y avait un « besoin » de repenser l’esthétique de Paris et qu’à cette fin, un « Manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne » présentant la « doctrine » de l’équipe dirigeante verrait le jour au printemps, après une « grande consultation » qui inclura les élèves des classes primaires. Sa prose est un délice : « La mairie veut faire du design l’un des éléments de critères dans les appels d’offres pour les marchés publics […] avec des indications très contraignantes, comme des lignes de grammaires esthétiques ou un référentiel de couleurs imposées. » Pour rassurer les sceptiques, il ajoutait : « Nous essayerons d’aller le plus loin possible. »
Les intentions sont désormais très claires, donc, oui, je m’attends au pire. Toutefois, afin de surmonter cette mauvaise passe, j’envisage de faire appel à l’adjointe au maire en charge de la Résilience.