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«Il y a une guerre des civilisations qui se dessine»

Entretien avec Henri Guaino, ancien député LR


«Il y a une guerre des civilisations qui se dessine»
Henri Guaino © BALTEL/SIPA

Dans son dernier livre, À la septième fois, les murailles tombèrent (éditions du Rocher, 2023), l’ancien conseiller spécial du président Sarkozy dresse un état des lieux peu réjouissant. Occident va-t’en-guerre, wokisme, réformes sociales, rien ne trouve grâce aux yeux d’Henri Guaino, moins encore la nouvelle génération de trentenaires qui arrive aux commandes.


Causeur. Votre livre, A la septième fois, les murailles tombèrent n’est pas bien optimiste…

Henri Guaino. Je ne sais pas ce que c’est que l’optimisme. C’est un concept qui m’est totalement étranger. Ça veut dire quoi ?

Est-ce qu’il n’y a pas besoin dans l’histoire aussi de moments d’illusions?

Les moments d’illusions… en général, ils ne sont pas les meilleurs. Ils préparent les grandes désillusions. L’espérance oui, l’optimisme, non. L’espérance, c’est une volonté. C’est Bernanos qui l’a le mieux dit. L’optimisme, c’est une facilité. L’espérance, c’est une vertu. C’est absurde, l’optimisme, ça vous empêche d’être lucide. 

A la fin de l’été dernier, Nicolas Sarkozy s’est vu taxer par Libération et quelques autres d’avoir calqué son discours sur celui de la Russie. Vous-même reprenez l’idée que la Russie a été poussée à la guerre à force de voir l’OTAN se rapprocher de ses frontières…

Sur la Russie, j’ai été le premier à prendre des positions qui m’ont valu les applaudissements des uns et les injures des autres. Je suis d’accord avec ce que Sarkozy a dit, mais je l’ai dit avant. Je pense que cette guerre n’aurait pas dû avoir lieu. Ce n’est pas seulement la hantise obsessionnelle des Russes d’être enfermés ; tout le monde savait qu’en poussant l’OTAN jusqu’aux frontières russes, on allait créer un drame. Ce n’est pas moi qui le dis, tous les géopoliticiens américains l’ont dit pendant des décennies, quel que soit leur sentiment à l’égard de la Russie. Je n’invente rien. L’actuel directeur de la CIA, William J. Burns, qui était ambassadeur à Washington en 2008, l’a écrit dans une note à Condoleezza Rice qui a été rendue publique depuis, pour expliquer que si on faisait entrer l’Ukraine et la Géorgie, on allait avoir des problèmes. C’est une vérité que de dire que la responsabilité de cette guerre est partagée.

Est-ce acceptable, selon vous, de laisser demain le Donbass et la Crimée à la Russie?

Est-ce que c’était acceptable de laisser l’Alsace et la Moselle à l’Allemagne en 1871 ? Avant de se demander ce qui est acceptable ou non, il faut se demander ce qui est inexorable, ce qui est de l’ordre de la fatalité. Si l’on trouve que ce n’est pas acceptable, alors il faut y aller. Pourquoi fait-on trainer cette guerre ? Pourquoi fait-on la guerre par procuration ? Pourquoi laissons-nous tuer des dizaines, des centaines de milliers d’Ukrainiens ? Si c’est inacceptable pour nous, alors allons-y. Vous savez, la guerre, vous la faites ou vous ne la faites pas. Si vous la faites, vous la faites totalement. Et, dans ce conflit on sait une chose, c’est qu’on ne peut pas la faire totalement. On ne peut pas la faire totalement, parce qu’il y a 6000 ogives nucléaires dans le camp d’en face. Il faut donc trouver les solutions les moins dramatiques, les moins tragiques, les moins destructrices. C’est ça, la politique. La politique, c’est du bricolage. Parfois, on n’est pas très satisfait. Je n’ai pas lu Le Monde se dresser contre l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh. Il faut dire que l’Azerbaïdjan avait le droit international pour lui. Les pauvres Arméniens n’avaient pour eux que le droit des peuples à vivre là où ils vivent depuis 3000 ans. Acceptable, inacceptable… Si c’est inacceptable, on tire les conséquences et vous allez à la guerre. Il y a un type sur les réseaux sociaux qui m’a dit il y a quelques jours : « S’il faut 15 millions de morts, tant pis, au moins on sera débarrassé de Poutine ». Ah bon ? 15 millions de morts !? Il y en aura beaucoup plus que ça si l’on se lance pleinement dans cette guerre. L’écroulement de la Russie, ça serait une bonne chose ? La déstabilisation de toute l’Eurasie ? Qui a envie de ça, à part les Polonais, qui sont obnubilés par leur histoire – ce que je peux comprendre. Mais moi, je ne suis pas Polonais. Moi, je ne me sens pas menacé par les chars russes à Paris, ça rend ma notion de l’acceptabilité un peu différente.

Et quelle est votre analyse de ce qui se passe au Proche-Orient?

Ce conflit est une vraie tragédie car personne n’a tort et personne n’a raison. Les uns vont vous dire : « ça fait des siècles qu’on est là », et les autres, « il y a des millénaires, on était déjà là ». Est-ce qu’on a fait quoi que ce soit pour trouver une solution ? Est-ce qu’on a fait quoi que ce soit de décisif pour arrêter ce massacre ? Non. Vous me direz, ce n’est pas si simple, parce que chacune des deux parties pense que ce conflit est vital. Pour ce qui nous concerne, l’Ukraine plus le Proche-Orient, ça fait beaucoup pour creuser le fossé entre l’Occident et le reste du monde.

Est-on arrivé au choc des civilisations que l’on craignait depuis trente ans?

Oui. Il y a une guerre des civilisations qui se dessine. On a intérêt à tout faire pour que ça n’aille pas jusqu’au bout de cette logique… sinon, on va au désastre. Les guerres de civilisations ou de religions, ça se résout par l’extermination de l’adversaire. Ou par un sursaut de lucidité et d’intelligence, mais quand on a déjà beaucoup tué. La guerre de Trente ans, elle dure trente ans quand même, et elle tue au moins un tiers de la population de l’Europe centrale. (Long silence) L’Occident est malade ; non seulement il est malade mais il veut imposer son modèle au reste du monde. Le reste du monde n’en veut plus !

La phrase leitmotiv de votre livre semble être « l’histoire ne se répète pas mais que nous la répétons »…

Je ne dis pas que « l’histoire ne se répète pas mais que nous la répétons ». Non. Nous nous répétons, parce que nous sommes des hommes, les hommes ont une nature, la nature humaine, et elle n’a pas changé. Les circonstances changent, les moyens changent… mais l’homme, lui, vous croyez qu’il change ? Quand la politique oublie la nature humaine, le désastre est assuré.

Quand on voit Georgia Meloni, qui se voit imposer des privatisations par Bruxelles et qui accepte de nouveaux immigrés, peut-on craindre que ses équivalents français à droite en arriveraient à de tels renoncements s’ils accédaient au pouvoir ?

Oui, peut-être. Madame Meloni est arrivée au pouvoir sans savoir exactement ce qu’elle allait faire. Elle savait ce qu’elle voulait faire mais elle ne savait pas ce qu’elle allait faire, ni ce qu’elle pouvait faire. Qui plus est, l’Italie est dépendante financièrement de l’Europe, ce qui n’est pas le cas de la France. Ces expériences donnent la même chose, c’est-à-dire pas grand-chose. C’est quoi être de droite, c’est être pour la réforme des retraites ?

L’UMP en a fait un paquet, quand elle était au pouvoir !

Et alors ? Vous avez fait une chose une fois, il faut le refaire indéfiniment ? Un jour, vous relevez les taux d’intérêt très haut, et après il faut garder les taux d’intérêt toujours très haut ? Un jour, vous faites une réforme, et après, il faut en faire une deuxième, une troisième, une quatrième de la même nature ? Mais enfin, c’est un argument débile, pardon. Comme l’autre [Agnès Evren, vice-présidente de LR] qui disait : « C’est l’ADN de la droite ». « Je suis de droite, je fais une réforme des retraites ». Pas un de tous ces abrutis n’avait ouvert le rapport du conseil d’orientation des retraites, pas un n’avait essayé de comprendre ce que disaient les chiffres. Quand on a demandé à Monsieur Dussopt de donner ses chiffres, il a répondu : « je n’ai pas de comptes à rendre sur mes chiffres ». On va accepter encore longtemps de faire des politiques comptables, on va continuer longtemps d’accepter la supériorité de la loi européenne sur la loi française, on va continuer à faire des lois sur l’immigration de 95 articles ? Tout le monde a voté, tout le monde a approuvé en sachant qu’une partie était inconstitutionnelle [entretien réalisé avant la censure partielle de la loi immigration par le Conseil constitutionnel, ndlr], et que l’autre partie était contraire aux jurisprudences européennes. Dans ce domaine et dans l’état actuel des choses, c’est le juge qui décide et pas le législateur. C’est faire de la politique, ça ? Dans trois ans, les gens diront : « Ils nous ont menti une fois de plus ». Et puis quand ils auront essayé, les uns Meloni, les autres le Rassemblement national, il se passera quoi ? Faites le compte, en deux cents ans, combien de vraies crises politiques se sont résolues par les urnes ?

Peut-être en 1958 ?

Et non. Mauvais exemple. 58, c’est le 13 mai (le putsch d’Alger NDLR). S’il n’y a pas de 13 mai, pas de retour du Général !

Avez-vous un exemple ?

Il n’y en a pas. Pour finir la Révolution, il a fallu le 18-Brumaire. Pour sortir de la crise de la Seconde République, il a fallu Louis-Napoléon Bonaparte et le 2 décembre. Pour sortir de la crise de la IIIème République, il a fallu la défaite de 40. Pour sortir de celle de la IVème République, il a fallu le 13 mai. Cherchez… A chaque fois, on a eu plutôt de la chance, on a eu quelqu’un pour prendre le pouvoir. On n’est pas tombé sur Hitler, on n’est pas tombé sur Mussolini, on n’est pas tombé sur Joseph Staline. Bon, d’accord, on a eu Pétain. Et encore… Face à lui, il y avait la France libre. On n’aura pas toujours de la chance. Et toutes les catastrophes n’ont pas été provoquées par la gauche. Ce que l’on appelle la droite a eu sa part de responsabilité. Elle a d’ailleurs si peu gouverné, la droite. Elle a résolu le problème de la Commune en pactisant avec les Allemands.

Pour les Européennes, allez-vous vous lancer ?

Les Européennes, ça ne va pas être intéressant non plus. D’ailleurs, à quoi cela sert l’Union Européenne ? Les élections européennes ne vont pas changer la majorité au Parlement. Bon, si LR fait 5%, ça va devenir compliqué quand même… Si le Rassemblement national fait plus de 30%, ça viendra conforter une tendance lourde. Et s’il fait beaucoup moins, ça ne préjugera pas de son résultat à la présidentielle, mais ça sera un mauvais indicateur. Celui qui gagne les Européennes, il part à Bruxelles, il disparait. Personne n’osera rien dire d’intelligent sur l’Europe pendant la campagne. C’est une élection pour rien dont l’histoire est écrite à l’avance. Ça va être la foire d’empoigne pour les jeunes espoirs. Il y aura Marion, il y aura Bardella, il y aura Attal… Je ne sais pas ce qu’ils vont nous trouver comme jeunesse à promouvoir. Je pense qu’on devrait ramener la majorité pour se présenter à l’âge de 16 ans, voire 14 !

Vous voudriez qu’on ait des gamins au pouvoir ?

Pourquoi pas. On peut descendre la moyenne d’âge encore !

Pendant la Révolution, le personnel politique, ce n’était que des jeunes, Saint-Just et les autres.

Il y a des périodes qui font émerger de très jeunes gens, mais ils émergent dans l’épreuve et des circonstances exceptionnelles. Tous n’ont pas été un cadeau pour leur nation, mais les grandes épreuves, c’est l’occasion de montrer sa valeur.

Trouvez-vous qu’on n’a pas assez d’épreuves et qu’il nous en faudrait d’autres pour révéler de vrais talents politiques ?

Dans les épreuves, il y a des talents et des caractères qui se révèlent et qui se forgent. Là, ils n’arrivent pas au sommet après avoir fait le siège de Toulon, la campagne d’Italie, la campagne d’Egypte. Ce n’est pas comparable.

Personne n’a grâce à vos yeux parmi cette nouvelle génération ?

Non. Personne n’a grâce à mes yeux. Je n’ai pas d’a priori pour grand-chose, et certainement pas pour la grâce. Alors… ils se révéleront peut-être ! La dernière fois qu’on nous a fait le coup du jeunisme, c’était en 2017. Le jeunisme devait accoucher du nouveau monde. On a plutôt le plus ancien dans ce qu’il avait de pire. Villiers disait ça il y a quelques jours sur CNews : « Le jeunisme est une maladie de société vieillissante ». A la fin des années 80, vous vous souvenez, il y avait les rénovateurs.

Ils sont tous morts désormais.

Pas tous. Ils sont très vieux…

C’est toujours pareil. On ne choisit pas un responsable politique parce que c’est une femme, ou parce qu’il est homosexuel, ou parce qu’il est noir, ou parce qu’il est jeune…

Ça n’a pas beaucoup été fait, depuis 20 ans ?

Et si, ça a beaucoup été fait. Et après on s’étonne, d’en être arrivés là.

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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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