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Il y a quarante ans à la télé…

La chronique du dimanche de Monsieur Nostalgie


Il y a quarante ans à la télé…
En "Une" du "Télé Poche" n°1111, Roger Zabel invite les téléspectateurs à arrêter de fumer. DR.

Que regardions-nous le dimanche 17 juin 1984 ? Du foot, des séries américaines, les résultats des élections européennes et Jacques Martin.


La télévision française, cet animal à sang froid, ne change pas. Aucune révolution numérique n’est venue modifier son ADN profond en quarante ans. La télé vit de ballons, de débats et de divertissement. Le téléspectateur de 2024 ne serait pas perturbé à la vue du programme de ce dimanche 17 juin 1984 qui, dans les grandes lignes, ne diffère que très peu du PAF actuel.

RFA-Roumanie sur la Une, Portugal-Espagne sur Antenne 2

Déjà en juin 1984, nous votions pour des élections européennes marquées par l’abstention et la montée du FN, un Euro de foot à domicile monopolisait TF1 non privatisée et Antenne 2, le Grand Prix du Canada de F1 se tenait sur le circuit Jacques Villeneuve et les 24 Heures du Mans démarraient et se clôturaient dans le département de la Sarthe. Cet immobilisme programmatique est, selon notre état d’esprit du moment, de nature à nous alarmer sur la permanence des organisations humaines, leur incapacité à se réformer ou à se réinventer, ou à nous réjouir justement de ce confort de pensée, véritable garantie des démocraties occidentales et de leur pérennité pénarde. Téléfoot et Stade 2 avaient déjà leurs supporters acquis. En février de cette même année, l’excellent Daniel Cazal avait annoncé la « presque mort » (coma dépassé) de Roger Couderc dans une séquence surréaliste.

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Ce soir du 17 juin, la Une diffusait RFA-Roumanie à Bollaert et la Deux, Portugal-Espagne au stade Vélodrome. Les Bleus de Platini allaient mater la Roja au Parc des Princes 2 à 0, dix jours plus tard. Anne Sinclair n’assurera la présentation de 7 sur 7 qu’à partir de septembre. Au début de l’été, c’est encore Jean-Louis Burgat et Erik Gilbert qui sont aux manettes. Le Journal de 20 Heures d’Antenne 2 est incarné par le regretté Bernard Rapp, ex-correspondant à Londres et pas encore cinéaste délicat. Starsky et Hutch font hurler la sirène de leur Ford Gran Torino rouge à bande blanche à 13 h 25. Il n’est pas question de traîner à table. Surtout qu’une heure plus tard, Sidney nous inculque les bases du smurf dans HIP HOP et nous initie aux cultures urbaines. Au jeu des sept différences, la télé d’hier et d’aujourd’hui offre un décalque parfait. Jacques Martin prenait le poste en « otage » à partir de 11 h 15 pour ne le lâcher que vers 17 h 05. L’inoxydable Michel Drucker ne put jamais vraiment égaler ce stakhanoviste du jour du Seigneur. Du sport, de la parlotte politique, de l’entrisme américain jubilatoire, à base de « Chips », de « Pour l’amour du risque » et du sautillant Colt Seavers, voilà par quoi est passée notre éducation cathodique que certains jugeront « lamentable ». Nos humanités valent bien les idéaux d’avant-guerre.

Bernard Tapie suant chez Véronique et Davina

Après que l’on ne vienne pas pinailler sur notre désengagement rieur, nous avons été à l’école du dérapage contrôlé, du Rap naissant et des seins décomplexés. Myriam avait enlevé le bas après la victoire de Mitterrand pour la campagne d’affichage du groupe Avenir, mais nous étions trop jeunes pour apprécier ce geste libérateur. Trois ans plus tard, Gym Tonic réveillera nos dimanches matin sur le coup des 10 h 30. Ce 17 juin, Bernard Tapie, bronzé comme un pubard, en marcel et bas de survêt vert fluo sue aux côtés de Véronique et Davina. C’est surtout le générique ensorcelant et la douche finale qui figeront notre imaginaire et non le repreneur de Wonder pour 1 franc…

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Le soir, nous avons droit à une comédie de Molinaro « Pour cent briques t’as plus rien… » datant de 1982 avec Daniel Auteuil, Anémone et Gérard Jugnot qui vient de sortir au cinéma « Pinot simple flic ». Je crois que ma passion pour Élisa Servier et Georges Géret remonte à cette époque-là. Il y a bien une différence notable dans cet océan de bonheur, une incongruité, certainement le signe de réfractaires, d’intellectuels qui résistent au rouleau compresseur de la télé commerciale, des fanatiques probablement. FR3 fait figure de mauvais coucheur avec une programmation élitiste et assommante. Pour qui se prend cette chaîne ? Entre 16 h 25 et 18 h 20, elle inflige aux travailleurs qui doivent supporter le tournant de la rigueur, un cycle Shakespeare avec « Le songe d’une nuit d’été ». La direction de FR3 ne s’arrête pas en si bon chemin. Elle impose John Baez en prime time suivie du Cinéma de minuit. Nous sommes au commencement de l’exception culturelle.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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