Accueil Édition Abonné Il n’y a plus de plaisir sans immédiateté ou témoins

Il n’y a plus de plaisir sans immédiateté ou témoins

L’impatience structurelle... Vite ! c’est la rentrée


Si l’on en croit Épictète, «le bonheur et le désir ne peuvent se trouver ensemble». Aujourd’hui, en effet, on n’a plus le temps de désirer: il faut consommer, et dans l’instant. Et si c’était le bonheur, cela se saurait…


Les vacances nous ont-elles appris un peu à décrocher ? Ne serait-ce qu’en termes d’échanges effrénés avec les autres sur nos téléphones portables ? Pas si sûr : que ce soit au bord des plages, à la montagne en grimpant, ou dans les rues de partout, nous sommes rivés à nos smartphones, y compris sur les ruines grecques où il faut prendre immédiatement la photo à envoyer tout de suite pour prouver qu’on y est, et « vivre » le Parthénon avec celui qui est en Irlande et qui vous enverra la Lande en échange… Il n’y a plus de plaisir sans témoins. On pourrait dire sans partage ? Mais est-ce vraiment partager ? N’est-ce pas plutôt fournir un voyeurisme amical, destiné à susciter envie ou admiration ?  « Regardez combien ce que je fais est intéressant » : le regard de l’autre est plus important que le mien seul.

« Vous avez la Wi-Fi ? »

Ce sont surtout les jeunes, direz-vous ? Facile ! Nous n’avons pas grand-chose à leur envier en la matière, combien d’hommes (surtout) vous polluent avec leur conf-call au refuge du grand Paradis, combien se sont inquiétés avant la randonnée : « Il y a du réseau au moins ? », puis dans le refuge paumé : « Vous avez la Wi-Fi ? ». 

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Vous avez dit droit à la déconnection ? Mais c’est un devoir qu’il faudrait imposer, et ce n’est en réalité pas tellement la faute du boss, c’est comme le syndrome de Stockholm, ou bien c’est notre ennui existentiel qu’il vaut plutôt blâmer. Il faut se raccrocher à quelque chose, pour combler le vide existentiel que l’on remplit avec de la connectivité. Sans compter tous ceux qui préfèrent leur story sur Instagram au plaisir du vécu.

Addicts

Que nous soyons accros à la consommation, dont on nous annonce tous les jours qu’il va falloir la réduire, c’est une chose, mais consommer la vie sans y goûter pourvu que ça aille vite et avec témoins, tu parles d’une compensation !

Nous vidons nos cerveaux, pour mieux s’éviter de réfléchir – pas la peine, de toute façon quand on peut trouver son prêt-à-penser sur Twitter.

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On nous expliquait jadis que c’était un bonheur d’attendre, que pour chaque chose, ce serait pour plus tard. Plus tard que l’on pourrait sortir après minuit, plus tard que l’on aurait le droit de… plus tard que le bonheur viendrait avec la conquête d’un diplôme, plus tard l’amour, le vrai… Tout ceci semble bien terminé : c’est maintenant, tout de suite, j’ai le droit à tout maintenant ou alors je flippe. Le mal-être est notre sanction. Nous sommes les cinquièmes plus gros consommateurs d’antidépresseurs au monde, et c’est sans parler des bouffées « cool » de fumées anti-anxiogènes qui sont passées dans les mœurs. La France souffre d’une addiction au stress et aux anti-stress.

Résolution de rentrée

Alors, je propose une résolution de rentrée : ralentissons, débranchons-nous, reprenons une activité mentale normale. 

Parlez dès que c’est possible, et renoncez à vous exprimer par SMS (pensez que maintenant, nous en sommes rendus à devoir annoncer par SMS que vous avons laissé un message vocal !). Retrouvez le plaisir de vous ennuyer, et surtout apprenez-le aux enfants… C’est une chance, un trésor que d’avoir le temps de s’ennuyer un peu, c’est une autre façon oubliée de retrouver du temps : le temps qui passe, sans chercher à faire passer le temps. Inventer, lire, rêver, s’échapper… Et tout cela en retrouvant votre activité professionnelle de façon encore plus efficace, en distinguant le speed de l’essentiel ou de l’urgence. La seule décroissance qui vaille, c’est celle de l’inutile.

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Chef d'entreprise, présidente du mouvement ETHIC.

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