Dans la cantine d’une université au sud de l’Iran, des étudiants ont fait chuter la cloison qui séparait les jeunes femmes des jeunes hommes. Cette action, diffusée grâce à une vidéo virale, inspirera peut-être d’autres mouvements en Iran.
Ce mur ne divisait aucune ville en deux, ne suivait aucune frontière nationale. Ce n’était tout au plus qu’une paroi de contreplaqué dans une cantine d’université. Un vulgaire assemblage de plaques de bois usées. Un élément de décor devenu invisible, comme l’était en son temps le siège de bus de Rosa Parks. L’Histoire a parfois l’espièglerie de se servir d’objets d’apparence futile…
Le 30 octobre, les étudiants de l’université des sciences d’Hormozgan, de la ville de Bandar Abbas, dans le sud de l’Iran, ont renversé la fine paroi qui séparait les filles des garçons dans leur cantine – la mixité y étant interdite – en criant tous en coeur : « Femme, vie, liberté ! »
Nous sommes aujourd’hui tant noyés dans un torrent d’images qu’on en vient à souhaiter à de simples vidéos amateures comme celles qui montrent cet événement d’avoir la chance d’éclipser toutes les autres, de faire une brillante carrière en ligne et de gagner rapidement la réputation historique qu’elles méritent.
Quand on connaît la portée symbolique d’un mur qui tombe… Pourvu que celui-ci ne nous déçoive pas !
A lire aussi: Femme, vie, liberté!
On se prend à rêver que dans quelques années, il y aura en Iran, dans chaque cantine d’université du pays, une longue ligne de petits carrelages posés par terre, au milieu de la pièce, pour rappeler qu’autrefois, une génération courageuse d’étudiants a osé défier la dictature des mollahs, en réclamant simplement le droit de déjeuner avec tous ses camarades de cours, sans distinction. Les noms de ces étudiants seront inscrits l’un après l’autre le long de cette ligne et les nouvelles générations auront l’impression de les connaître par cœur.
Naïves, cheveux au vent, les jeunes adolescentes iraniennes se demanderont comment leurs aïeux ont pu laisser perdurer aussi longtemps la ségrégation sexuelle, s’il suffisait d’abattre une simple paroi dans une université pour que leur monde change…
A lire aussi: Iran: la convergence des colères menace le régime
On se prend à rêver que se tiendra un jour, au coeur d’un parc de Téhéran, une grande paroi vitrée sur laquelle auront été creusées les lettres formant les trois mots : Femme, Vie, Liberté. De chaque côté de la vitre, l’artiste aura eu le bon goût de placer quelques chaises et tables de cantine.
En hommage à l’événement, des reproductions du monument seront érigées dans de nombreuses villes d’Europe, d’Amérique ou d’Afrique.
Ils connaîtront eux aussi leur part de gloire quand des femmes de tous pays décideront, dans un même mouvement, d’y déposer leur voile en silence, paisiblement et courageusement. Un acte solidaire et libérateur ; comme un dernier adieu à cette escroquerie théocratique. On imagine déjà les chaînes d’infos, aussi enthousiastes qu’embarrassées, diffusant les images des monuments recouverts de tissu noir à travers le monde…
A lire aussi: Les Iraniennes sont seules
Comme tout symbole fort, le petit mur tombé aura aussi ses martyrs.
Un malheureux militant qatari écopera d’une centaine de coups de fouets pour avoir collé sur la baie vitrée d’une boutique de luxe, dans un centre commercial ultra-climatisé de Doha, les mots : Femme, Vie, Liberté.
De retour chez elle, une femme ayant vaillamment déposé son voile sur le monument de Bruxelles sera rouée de coups par son mari.
Certains pays verront même les parois de leur cantine s’épaissir quand des zélotes locaux, paniqués à l’idée de voir filles et garçons rire à la même table, proposeront de rajouter eux-mêmes une deuxième paroi à la première. Histoire de rappeler que chez eux, on ne change pas les règles aussi facilement qu’en Iran…
Qu’importe : d’autres étudiants se souviendront de la vidéo des jeunes Iraniens en action qu’ils avaient vue sur Instagram et redoubleront de coups de pieds.
Bien sûr, tout cela n’est qu’un rêve… Mais est-il si loin de pouvoir se réaliser ?
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !