Frédéric Adnet, directeur du service des urgences de l’hôpital Avicenne de Bobigny, fait le point sur la lutte contre le Covid-19. Quel est le bilan dans les hôpitaux et les Ehpad ? Le confinement a-t-il été efficace ? Un vaccin a-t-il des chances d’émerger ? Entretien 2/2.
Retrouvez la première partie de l’entretien ici.
Daoud Boughezala. Depuis le déconfinement, notre système hospitalier n’a pas augmenté ses capacités d’accueil. Est-ce dû à un excès de bureaucratie ?
Frédéric Adnet. Non, c’est une question d’argent. Entre décembre 2019 et avril 2020, on s’est aperçu que le nombre de lits en réanimation rapporté à la population était beaucoup plus faible en France qu’en Allemagne. Depuis, je n’ai pas entendu parler d’un plan d’ouverture massif de lits en réanimation. Cela coûte très cher et on est un peu retombé dans l’hôpital d’avant la crise du Covid : les administratifs et la gestion comptable de l’hôpital ont repris le dessus malgré tous nos hurlements.
Deux grands axes feraient qu’on encaisserait mieux une deuxième vague. D’abord, augmenter nos capacités hospitalières, notamment en réanimation et en soin continu, ce qui suppose d’embaucher des médecins, des infirmières formées, d’acheter du matériel. Ce sont les lits qui coûtent le plus cher à la Sécurité sociale, donc aux finances de l’Etat. Le second axe très important se situe dans les Ehpad.
Comment ça ?
Un tiers des morts français du Covid vient des Ehpad. Or, il a été démontré aux Etats-Unis que le seul déterminant dans les établissements accueillant des personnes âgées était le nombre de personnel soignant, sa qualité et le nombre d’heures passées auprès des malades. Autrement dit, l’encadrement. Chaque jour, au SAMU, on reçoit les appels désespérés d’une pauvre aide-soignante qui a deux cents patients âgés à gérer la nuit. Il faudrait remédicaliser et redoter les Ehpad avec un personnel soignant compétent et formé pour y faire baisser la mortalité.
A l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, vous avez un administratif pour un médecin !
Au fond, à quoi sont dues les difficultés des hôpitaux ?
Avant la crise sanitaire, la gestion hospitalière était très administrative et centrée sur les économies. Cette gestion s’est effondrée au moment de la crise. Tous les administratifs nous ont alors appelés, nous médecins, pour qu’on reprenne la main sur l’hôpital. C’était assez facile puisqu’à ce moment-là, on obtenait tout ce qu’on demandait. Il n’y avait plus de contrainte financière face à la gravité de la situation. Le système hospitalier était à deux doigts de s’effondrer ! Une des grandes leçons de cette crise, c’est qu’il faudrait remédicaliser la gouvernance hospitalière. En Allemagne, qui fait figure de standard dans la bonne gestion de cette crise, la masse salariale administrative est de l’ordre de 25% alors qu’en France ce chiffre avoisine les 35-40%. A l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, vous avez un administratif pour un médecin ! Le fait qu’il y ait autant d’administratifs que de médecins est complètement délirant. Dans mon hôpital, il y a quantité de sous-directeurs, une responsable de la communication avec un adjoint à la communication… Ces postes peuvent avoir un sens dans une entreprise comme Coca-Cola mais n’en ont aucun à l’hôpital ! Malheureusement, le corps administratif s’auto-entretient et s’auto-développe. Cela contribue beaucoup à la pénurie de moyens liés aux soins. Si on dégraissait le mammouth hospitalier, on pourrait peut-être augmenter le nombre de lits.
Sortons de l’hôpital. Approuvez-vous la généralisation du port du masque en extérieur ?
On surévalue le risque de contamination en plein air. Aucune publication scientifique ne va dans ce sens. Le port du masque coercitif en plein air tel qu’il a été décidé en France est une mesure excessive. Mais il y a un bénéfice indirect : la bonne pratique du port du masque lorsqu’il est intégré à notre mode de vie. Si on ne nous oblige pas à mettre le masque en plein air, on va le mettre dans notre poche et le remettre sur le nez quand on entre dans un magasin. Ce nid de microbes va traîner dans les poches, on va le manipuler dans les mains, si bien qu’il ne servira plus à rien. Soyons clairs et nets : je pense sincèrement qu’il n’y a pas besoin de porter le masque à l’extérieur. Mais le masque doit être porté dans les lieux confinés, ou quand la population est dense pour ralentir la propagation du virus.
Le confinement est une catastrophe en termes de santé publique
Si ce dernier objectif n’était pas atteint, devrait-on reconfiner ?
Non. Au niveau sociétal macroscopique, le confinement a sûrement plus de désavantages que d’avantages. Les PIB de tous les bassins qui ont confiné se sont effondrés. Or, quel est le meilleur marqueur de la santé publique ? Le PIB par habitant. Ce n’est ni le nombre de médecins, ni le taux de vaccination, ni la mortalité infantile ou la durée de vie des patients. Les pays qui ont les plus forts PIB par habitant ont la meilleure santé. Quand on fait écrouler le PIB, on fait écrouler la santé de la population. On le voit tous les jours à l’hôpital : tous les malades chroniques qui ont été confinés sont en train de mourir. Les cancers qui ne sont plus suivis vont accélérer leur développement et diminuer l’espérance de vie de leurs porteurs. Le confinement est une catastrophe en termes de santé publique.
Au vu de nos capacités hospitalières limitées, le confinement n’était-il pas inévitable pour éviter un engorgement ?
Rappelez-vous pourquoi on a confiné : on a vu que les Chinois avaient confiné à Wuhan et que cela avait marché. Quand les historiens se pencheront sur cette pandémie dans quelques dizaines d’années, on pourra modéliser la perte de PIB et les conséquences en termes de santé publique. Car il n’y a pas que le virus qui tue. Le diabétique confiné va mourir. Pendant le confinement, il n’y avait plus personne dans les centres de dépistage des cancers. Or, si vous faites perdre deux mois à un patient atteint de cancer du sein, vous le tuez. Ce n’est pas immédiat, on en verra les effets dans dix ans. L’impact sanitaire du confinement en termes de morbidité sur la population entière a peut-être été beaucoup plus important que l’épidémie elle-même. Les premières études commencent à sortir. Ainsi, les Américains ont démontré qu’il y avait une surmortalité dans toutes les autres pathologies. En France, les arrêts cardiaques se sont multipliés.
C’est pourquoi il ne faut absolument pas reconfiner. Ce serait de nouveau écraser le PIB, aggraver la paupérisation, le nombre d’enfants qui ne vont pas à l’école et dégrader nos indicateurs de santé publique.
La recherche de vaccins en France a été un fiasco complet
Pour éviter ce genre de scénario catastrophe, nos gouvernants semblent miser sur la mise au point d’un vaccin. Croyez-vous aux pistes russe, chinoise et américaine ?
Il y a beaucoup d’espoir. Vladimir Poutine a lancé une course à échalote et jeté un vaccin à la face du monde sans passer par la phase 3 des essais. Ils ont mis en diffusion un produit de santé sans s’assurer ni de son efficacité ni de sa sécurité sur une grande cohorte de patients. Ils savent que ce vaccin fait développer une immunité biologique (phase 1). En phase 2, ils ont effectué ce qu’on appelle une escalade de doses afin de déterminer la bonne dose nécessaire pour obtenir le maximum d’immunité biologique. Ils font une phase 3 (efficacité clinique) grandeur nature sur toute la population russe, ce qu’ont également un peu fait les militaires chinois avec leur vaccin.
Ceci dit, les Russes sont très forts en matière de vaccins et très à la pointe en virologie. Pour des raisons stratégiques, ils sont très avancés dans la recherche liée à la guerre bactériologique. Je ne condamnerai donc pas le vaccin russe d’emblée.
Quatre pays sont très forts dans la recherche virologique – les réservoirs de variole, d’anthrax sont aux mains des laboratoires américains, russes et britanniques – donc dans la mise au point de vaccins.
Je regrette que les Français soient, comme d’habitude à la traîne. La recherche de vaccins en France a été un fiasco complet. C’est catastrophique. On n’entend plus parler de Discovery, aucun article scientifique sérieux de grande envergure ne vient des Français.
Par contre, les Britanniques, les Américains et les Chinois sont à la pointe de la recherche. Les Chinois ont publié les résultats des phases 1 et 2 d’expérimentation d’un vaccin inactivé (on inactive et on injecte le virus entier). Les autres vaccins sont constitués de morceaux de virus. On ne sait pas lequel va gagner mais 2021 verra probablement la proposition d’un vaccin.
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