Les journalistes politiques sont-ils tous couchés après 10 heures ? Aucun d’eux ne reçoit les chaînes de la TNT ? Toujours est-il qu’aucun quotidien n’a jugé utile de répercuter l’interview donnée sur BFM à Karl Zéro par Eric Besson, mardi dernier à 22 h 30. Que nous a donc dit ce soir-là le ministre de l’Immigration, qui venait à peine d’être reconduit dans ses fonctions ? Qu’il était opposé à une loi sur le port de la burqa, parce qu’il jugeait un tel texte techniquement inapplicable et politiquement inopportun. Il n’y aurait pas de quoi réveiller un mort, ni même un rubricard de l’AFP, si ce baratin capitulard nous avait été servi par un quelconque islamologue expert agréé par les Frères Musulmans ou par le sociologue de service payé avec nos impôts pour légitimer en France cet immondice.
Mais non, c’est un ministre qui parle, un ministre-clé de l’équipe Fillon IV, et pas le plus idiot du lot – personnellement je le trouve même extrêmement doué, et pour tout dire, brillant – et, accessoirement, le ministre en charge du ministère que l’on sait. On me dira que le même Eric Besson était déjà monté au créneau à maintes reprises et sur le même registre depuis la proposition de commission d’enquête lancée par le député communiste André Gerin et ses 57 collègues – dont la presse de gauche ne cesse de nous rappeler tout en lourdeur qu’ils sont très majoritairement issus de l’UMP. Le 18 juin dernier, Besson déclarait déjà sur Europe 1 : « Il n’est pas opportun de relancer une polémique. La loi a déjà énoncé un certain nombre de règles du vivre ensemble, elle dit qu’on ne peut pas porter le voile dans un certain nombre d’administrations, de services publics ainsi qu’à l’école. Un équilibre a été trouvé en France et il serait dangereux de le remettre en cause. » Une attitude que mes confrères du Parisien jugent « similaire » à celle du président du CCFM, on ne saurait mieux dire. On notera aussi avec amusement que le « traître » en charge de l’identité nationale, habituellement marqué à la culotte par le lobby du Bien et criblé de balles dès qu’il ouvre la bouche a échappé cette fois à la traditionnelle séance de Besson-bashing, y compris dans les colonnes du Monde ou de Libé : j’ai comme une puce qui me gratte l’oreille, là.
Reprenons le film : le 18 juin, Eric Besson explique à tous les micros que la moucharabieh portable est soluble dans les valeurs de la République. Le 23, il redit la même chose à Karl Zéro. C’est logique ; sauf que.
Sauf qu’entre ces deux déclarations, il s’est passé des trucs à Versailles. Nicolas Sarkozy y a entre autres déclaré, sous les applaudissements : « Je veux le dire solennellement, elle ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n’est pas l’idée que la République française se fait de la dignité des femmes. » Ce que d’aucuns, dont moi, ont perçu comme une prise de position en faveur d’une loi anti-burqa. Eh bien d’aucuns, dont moi, ont pris leur désirs pour des réalités. En fait, le président s’est dit favorable à ce que les parlementaires causent du sujet, alors qu’en vrai, ces grands garçons n’ont pas besoin de son feu vert pour le faire. Et, si le cri d’indignation sonne juste, il aurait, à la réflexion, gagné à être étayé par un truc simple, dans la meilleure tradition des blitzkrieg sarkozystes, du style : « Le gouvernement proposera un projet de loi dans les plus brefs délais, il en va de l’honneur du Parlement que vous le votiez tous. » Bref, un truc façon paquet fiscal ou Hadopi. Mais, non en vrai, Nicolas Sarkozy ne nous a pas dit qu’il irait chercher la Loi anti-burqa avec les dents. Il a juste dit que la burqa, c’était très mal, étourdissant au passage avec force moulinets d’aucuns dont moi.
Que dès le lendemain, le ministre de l’Immigration explique qu’il est défavorable non seulement à cette loi, mais à ce qu’on en parle, et ce dans un gouvernement où il n’est pas d’usage, et c’est peu de le dire, de prendre le contrepied des engagements présidentiels ne signifie qu’une seule chose : il n’y aura pas, et au moins du vivant de ce quinquennat, de loi sur la burqa. En vérité, le président n’en veut pas, pas plus que ses futurs opposants « de gauche » à la prochaine présidentielle. Cinq millions ou genre d’électeurs supposés musulmans, ça donne à réfléchir. Rideau !
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