Pour la gauche, toutes les civilisations se valent. C’est ce qui se déduit a contrario de l’hystérie déclenchée par deux phrases de Claude Guéant. Pendant trois jours, le braillomètre inventé par Cyril Bennasar (p.22) pour mesurer les variations de l’indignation saisonnière a atteint des sommets. Jusqu’à ce qu’un député accuse le ministre de l’Intérieur de ressusciter les « heures les plus sombres de notre histoire ». Guéant dépeint en nazi – pour un discours écrit par Yves Roucaute, issu d’une famille de résistants de la première heure : l’embarras des socialistes prouve qu’ils n’ont pas rompu avec le bon sens[1. Il faut saluer François Hollande qui a eu l’intelligence de s’en tenir à une désapprobation mesurée.].
Que le ministre ait eu des arrière-pensées « électoralistes », comme on le dit en se pinçant le nez, ne fait guère de doute. Du reste, un responsable politique qui, à deux mois d’un scrutin majeur, se soucierait comme d’une guigne de convaincre ses concitoyens serait coupable de masochisme – ou de faute professionnelle. Nul ne s’offusque d’ailleurs que l’on cherche à séduire les ouvriers ou les fonctionnaires. Ce qui déplaît à la gauche, c’est que l’on parle à ces électeurs-là – malheureusement, elle ne précise pas ce qu’il faudrait faire d’eux. Cela dit, on peut soupçonner l’Élysée de tabler sur l’absence de Marine Le Pen, calcul qui, en plus d’être immoral, pourrait se révéler désastreux. On aimerait que les principaux prétendants, à l’image d’Andy Schleck, refusent de gagner avec des dés pipés. Passons.
Il est tout aussi clair qu’en opposant au ministre les proclamations morales qui lui tiennent lieu de pensée dès qu’il est question de différences culturelles, le PS est tombé dans un piège – calculé ou pas. Sans doute le terme « civilisation » n’était-il pas parfaitement adéquat – il serait bon que les responsables politiques et les journalistes fissent preuve en toutes circonstances de ce vertueux souci de précision langagière. Non seulement tout le monde a compris ce que voulait dire le ministre, mais son opinion est très largement partagée, la gauche d’en haut étant, sur ce terrain, parfaitement déconnectée des gens ordinaires. Encore que même Cécile Duflot, dont on comprend, à lire l’ami Miclo (p.7) qu’elle n’a pas été la moins sotte dans cet épisode, préfère certainement vivre sous des cieux où la critique et les femmes sont libres. Comme le rappelle Pierre-Henri Tavoillot (p.21), s’il est une « supériorité » occidentale, elle tient d’abord à la distance à soi qui autorise la divergence.
En l’absence d’une instance extérieure à l’humanité, il n’est pas possible, ni d’ailleurs souhaitable, d’établir entre les civilisations ou les cultures une hiérarchie admise par toutes. Il devrait être permis d’exprimer une préférence, et même – osons ce vilain mot – un jugement de valeur. C’est d’ailleurs parfaitement admis quand cette préférence va dans le bon sens : comme me le souffle Marc Cohen, il est très tendance d’affirmer qu’au Moyen Âge, la civilisation islamique était plus avancée que la chrétienté. Autrement dit, on a le droit de comparer si on conclut à l’« infériorité » de l’Occident – massacreur, pilleur et esclavagiste.
Pour autant, il y a quelque hypocrisie à affirmer qu’on ne voit pas le problème. Si un propos banal a mis le feu aux poudres, c’est précisément parce qu’il y en a un. La formule de Guéant rappelle que le « choc des civilisations » n’est pas un spectacle exotique mais une menace dont chacun craint qu’elle s’invite chez nous. « Islamophobie ! », perroquettent les roquets du Bien. Est-ce islamophobe d’observer que, là où l’islam est au pouvoir, il ne montre pas le visage le plus engageant ? Attention, dit-on encore, à ne pas stigmatiser les Français musulmans. J’appelle au contraire mes concitoyens musulmans à se joindre à moi pour stigmatiser les adeptes de la burqa et autres enfermeurs de femmes, les incendiaires de Charlie Hebdo, les empêcheurs de parler librement qui ont empêché la tenue d’une conférence de Caroline Fourest à Bruxelles – en somme tous ceux qui voient dans les valeurs qui font la force de l’Occident une faiblesse dont ils peuvent abuser.
D’accord, notre civilisation ne saurait prétendre à la supériorité. Je crois pourtant qu’elle doit, sur le sol de France, bénéficier de droits supérieurs, et que ceux que nous accueillons (comme mes ancêtres ont été accueillis) doivent en accepter les codes. On peut estimer au contraire que l’antériorité ne confère aucun droit et prôner un multiculturalisme qui place toutes les cultures à égalité. Après tout, il n’est pas si simple de penser en même temps l’universalité de l’homme et la diversité des hommes. Seulement, pour la gauche, cette question ne doit même pas être débattue. Ce qui, à terme, règlera le problème. Quand l’anathème, la censure et le refus de la divergence auront totalement remplacé la confrontation civilisée des arguments, il sera inutile de défendre la civilisation occidentale : elle aura disparu.
Cet article est paru dans Causeur magazine n°44 – février 2012
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