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Il n’y a pas de Coppola mineur


A quoi reconnaît-on un génie, que ce soit en peinture, en littérature ou au cinéma ? Sans doute au fait qu’aucune de ses œuvres ne puisse être qualifiée de mineure. Il n’y a pas de petit Monet, de petit Balzac ou de petit Godard. On peut sans doute trouver de petits Chabrol, de petits Simenon ou de petits Balthus. C’est que l’on a affaire à de grands maîtres, pas à des génies.

C’est donc à l’aune d’un film comme Twixt, présenté comme un Coppola mineur, voire un Coppola de transition que l’on pourra interroger le statut de Coppola. Coppola, on le connaît d’abord et surtout comme l’auteur de quelques grands opéras baroques du cinéma hollywoodien dont le souffle impressionnant d’italo-américain dopé à l’outrance somptueuse et à l’hyperbole maniériste ne trouve d’équivalent que chez un Brian De Palma. Même le moins cinéphile des spectateurs a été transporté durablement par Apocalypse Now, Le Parrain ou Dracula, lequel a paradoxalement renouvelé le mythe en collant au roman de Bram Stoker car Coppola sait, comme tout grand créateur, que seule la tradition est révolutionnaire.

Il est parfois arrivé à Coppola de connaître de monumentaux échecs commerciaux. Dans ces cas-là, il accepte des films de commande qui se révèlent tout aussi poignants, subtils et élégants, jusque dans leur économie de moyen. Que l’on songe au délicieux Peggy Sue s’est mariée où Kathleen Turner, trentenaire désabusée des années 80 se retrouve, par on ne sait quel sortilège, projetée dans sa jeunesse au cœur des années 60, quand l’Amérique était encore innocente et que la vie semblait remplie de grandes espérances dansant au rythme du rock, du twist et du doo wop.
Twixt n’est pas un film de commande, c’est pourtant le film tourné par un homme à qui Hollywood ne donne plus les moyens d’antan. Et alors, quelle importance ? Puisqu’au bout du compte on retrouve sa poésie visuelle, la même que celle de Rusty James alliée à une réflexion sur la culpabilité et le deuil, le tout servi sous les allures d’un film gothique d’épouvante qui joue sur tous les codes du cinéma bis et même du « giallo », ces polars horrifiques qui furent une spécialité italienne des années 60 et 70.

L’histoire simple, belle et déchirante de Twixt nous est racontée dès les premiers plans par la voix merveilleusement éraillée de Tom Waits. On commence par une série de clichés transcendés par l’utilisation du numérique que Francis Ford Coppola sait parfaitement dompter.
Nous sommes dans une petite ville américaine perdue, avec son sheriff et son hôtel abandonné où eut lieu un affreux massacre. Un loser à bout de course y arrive un peu par hasard. Ce n’est pas un flic paumé ou un truand en cavale, mais un écrivain alcoolique qui ne vend plus, un spécialiste du récit d’épouvante, un Stephen King à la ramasse qui en est réduit à dédicacer ses livres dans des magasins de bricolage. Il est incarné par un Val Kilmer épaissi et dépressif qui promène sa lourdeur candide entre deux dimensions qui se mélangent dès le début, présent et passé, rêve et réalité, symbolisées par la seule curiosité touristique du lieu : un beffroi à sept faces avec sept horloges dont aucune, évidemment, n’indique la même heure.

Quand le sheriff, qui lui aussi se pique de littérature, lui propose une coopération flicardo-littéraire pour écrire un roman sur des meurtres d’enfants non élucidés, il accepte mollement, défoncé au bourbon et aux médocs. C’est alors à une enquête hypnagogique d’une incroyable beauté plastique que nous convie Coppola. Dans cet hinterland mental et onirique, l’écrivain aura pour guides Edgar Allan Poe lui-même (Ben Chaplin) et une jeune vampire en robe de dentelles blanches avec trop de rouge sur les joues et un appareil dentaire d’adolescente poussée en graine (Ellie Fanning).

Il ne s’agira pas pour l’écrivain, bien entendu, d’élucider autre chose que les raisons de l’immense chagrin qu’il porte en lui : la mort de sa fille décapitée par un filin alors qu’elle faisait du ski nautique, ce qui est arrivé au propre fils de Coppola, exactement dans les mêmes circonstances.
Non, décidément, il n’y a pas de Coppola mineur et Twixt en apporte une preuve à la fois éblouissante et sombre, comme le clair de lune argenté qui baigne ce film mouvant, à la poésie désespérée.



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