Au cœur de l’actualité politique, médiatique et législative, la justice des mineurs demeure mal connue et mal comprise du grand public. Au-delà du fait qu’il est surprenant de voir des députés de la majorité présidentielle remettre en question le code de justice pénale des mineurs (CJPM), que leur camp a pourtant conçu et porté, notre collectif affirme que la réforme qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale ne résoudra rien tant elle pèche par manque d’analyse des causes profondes des dysfonctionnements actuels.
De fait divers en fait de société, la justice pénale des mineurs est régulièrement au centre des débats, que ce soit pour critiquer son ambition affichée de donner la primauté à l’éducatif sur le répressif ou pour dénoncer le code de justice pénale des mineurs comme un ouvrage crypto-fasciste ayant pour but d’incarcérer tous les mineurs de France. Les commentateurs de tous bords semblent parfois oublier qu’on ne s’improvise pas juriste et que, tout comme ils ne s’aviseraient pas de procéder à la révision d’une centrale nucléaire sur la base de quelques vagues notions de physique, ils devraient s’abstenir de livrer des pseudo-analyses fondées sur des poncifs et des contre-vérités à propos d’un droit qu’ils maîtrisent mal et qui relève davantage de l’usine à gaz que du bel ouvrage législatif. Une mise au point s’impose, précisément dans l’intérêt du débat public, afin que chacun puisse se faire une opinion éclairée, fondée sur des informations précises et fiables.
Nous analyserons donc cinq réflexions fréquentes à propos de la justice des mineurs et tenterons de démêler le vrai du faux. Cet exercice sera également l’occasion de tenter de répondre à la question centrale pour qui voudrait réformer la Justice française : si laxisme il y a, la faute aux juges ou la faute à la loi ? Enfin, nous tâcherons d’apporter des propositions de réforme réelle, voire de véritable révolution.
Dans l’épisode précédent[1], nous avons exposé la procédure de jugement applicable aux mineurs : la fameuse césure (pour rappel : « Kévin, tu seras privé de téléphone… dans 9 mois ») et ses limites.
De nombreux commentateurs, journalistes et politiques percevant les difficultés posées par cette césure brandissent une idée qui permettrait de les résoudre : instaurer une comparution immédiate pour les mineurs.
Qu’est-ce qu’une comparution immédiate ? C’est une procédure de jugement rapide qui permet de présenter immédiatement (d’où son nom) après sa garde-à-vue un délinquant à un tribunal correctionnel composé de trois magistrats (pour faire simple). Elle permet de sanctionner sans délai le délinquant. Pour les majeurs, cette comparution immédiate permet un jugement dans un délai maximum de quatre jours, ce qui est effectivement très rapide. Dans l’attente, le délinquant peut être placé en détention provisoire. C’est donc une procédure très stricte et très protectrice de la société.
Compte tenu des faiblesses de la procédure de césure, l’idée de pouvoir accélérer le jugement des mineurs dans les cas les plus graves en les sanctionnant rapidement fait son chemin et une proposition de loi en ce sens a été adoptée par l’Assemblée nationale le 13 février 2025[2]. Cependant, d’une part elle se heurte à des obstacles pratiques, et d’autre part ne résout pas les problèmes de fond (laxisme de la loi et des juges) qui empêchent une vraie répression des actes graves commis par les mineurs.
Bien essayé mais… Informons les nombreux commentateurs, journalistes et politiques qui se passionnent subitement pour le sujet qu’une procédure de comparution rapide existe déjà pour les mineurs : l’audience unique. Elle permet de présenter un mineur au procureur immédiatement après sa garde-à-vue, de le placer sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire puis de le juger dans un délai compris entre 10 jours et un mois en cas de détention.
L’article 4 de la proposition de loi ajoute à cette audience unique une procédure dite de comparution immédiate qui permet de faire venir le mineur devant le tribunal pour enfants le jour même ou dans un délai maximum de 4 jours, sans attendre le délai de 10 jours imposé actuellement par la loi.
D’une part, il est à noter que le mineur peut de toute façon renoncer au délai de 10 jours avant l’audience unique et donc comparaître plus rapidement devant le tribunal. C’est même dans son intérêt puisque cela réduit le temps passé en détention provisoire. La réforme envisagée ne change donc pas grand-chose aux possibilités juridiques déjà existantes.
D’autre part et surtout, la comparution immédiate prévue par la proposition de loi est très difficile à mettre en place techniquement car elle nécessite d’avoir la possibilité de réunir un tribunal pour enfants en urgence, dans un délai maximum de 4 jours.
Or, le tribunal pour enfants est composé d’un juge des enfants et de deux assesseurs civils, ne travaillant pas habituellement dans le tribunal, « particulièrement intéressés » par la Justice des mineurs. Il s’agit en général de retraités de l’Education nationale, d’anciens éducateurs ou d’actifs prenant sur le temps libre. Il est donc plus difficile de les réunir de manière imprévue que des magistrats exerçant chaque jour leurs fonctions dans la juridiction.
Par ailleurs, si n’importe quel juge du tribunal peut présider une comparution immédiate pour les majeurs, les juges des enfants sont en nombre limité (parfois un ou deux pour tout le tribunal) et pas toujours disponibles pour présider une audience en urgence.
Instaurer une comparution immédiate pour les mineurs nécessite donc d’abord un renforcement significatif des effectifs de juges des enfants, notamment dans les petites juridictions, pour pouvoir libérer un juge pour tenir une audience en urgence. Ensuite, cela exige de modifier la composition du tribunal pour enfants en supprimant les assesseurs civils. Cela n’est pas impossible mais semble peu envisageable à court terme compte tenu des contraintes budgétaires, légales voire constitutionnelles et matérielles actuelles. A conditions constantes, on voit mal comment la comparution immédiate envisagée par la réforme votée le 13 février 2025 pourrait s’appliquer concrètement.
La procédure d’audience unique est aujourd’hui un bon compromis entre jugement rapide et contraintes juridictionnelles. Rappelons qu’elle permet de juger le mineur dans un délai maximum d’un mois tout en le plaçant en détention provisoire dans l’attente, conditions satisfaisantes pour la protection de la société, des victimes et l’évitement de la récidive. La vraie difficulté en l’état actuel du droit réside dans les conditions TRES restrictives du recours à cette audience unique.
En effet, pour les mineurs de moins de 16 ans, la peine encourue doit être égale ou supérieure à 5 ans : impossible de l’appliquer pour des faits de violence sans incapacité de travail, même commis avec une arme, ou pour des faits de vol sans circonstance aggravante, ou pour une conduite sans permis ni même un refus d’obtempérer. Pour les mineurs de 16 ans révolus, le seuil est abaissé à 3 ans, ce qui est plus raisonnable mais exclut tout de mêmes certaines menaces et la plupart des délits routiers.
Par ailleurs, pour tous les mineurs, une condition d’antécédent doit être remplie puisque le mineur doit déjà faire l’objet d’un suivi. Elle n’est donc pas applicable aux primo-délinquants, quelle que soit la gravité des faits commis.
Illustrations :
- Matthéo deale de la cocaïne depuis trois mois. Mais c’est sa première fois. « Rentre chez toi Matthéo, l’audience unique ce sera pour la prochaine fois ».
- Matthéo a agressé sexuellement sa petite sœur de 4 ans. Il est convoqué, il rentre chez lui et recommence. Mais il n’a que 15 ans. « Rentre chez toi Matthéo, tu seras jugé dans un an, tu es trop jeune pour être sanctionné rapidement. »
- Matthéo a pillé un magasin pour manifester sa colère et son incompréhension devant un système social et politique inique (et au passage porter des baskets de marque). Il a 14 ans. Il est placé, il fugue. Il est à nouveau placé, en centre éducatif renforcé. Il fugue et commet un vol avec violences. « Retourne au foyer Matthéo, tu ne peux pas aller en prison, tu as moins de 16 ans. Ta victime a le nez cassé et peur de te recroiser ? C’est bien dommage, mais c’est la loi. »
Ces conditions draconiennes ne permettent pas de prendre en compte des mineurs commettant des infractions graves de plus en plus jeunes, fréquemment en-dessous de 16 ans, ni des mineurs commettant dès le début de leur « carrière » des faits graves et notamment des atteintes aux personnes. Sur ce point, une réforme simple et efficace s’impose. Peut-être le salut viendra-t-il de la proposition Attal ?
Encore raté. La proposition de loi adoptée ne s’applique que sous plusieurs conditions cumulatives, extrêmement difficiles à réunir :
- Le mineur doit être âgé d’au moins 16 ans (exit les apprentis dealers marseillais recrutés désormais au niveau bac à sable)
- Il doit avoir commis un délit puni de 7 ans d’emprisonnement (5 ans en cas de flagrant délit) : exit la plupart des délits routiers, les violences commises avec une seule circonstance aggravante, les agressions sexuelles simples non flagrantes, le port d’arme, les menaces de mort, le harcèlement scolaire, le vol avec violence sans incapacité de travail, les destructions en réunion (coucou les émeutiers de l’été 2023), la rébellion contre les policiers et les gendarmes, le refus d’obtempérer…
- Il doit être en état de récidive, c’est-à-dire avoir déjà été condamné pour des faits similaires.
Résumé : Matthéo pourra éventuellement peut-être, selon la météo du jour et l’horoscope, passer en comparution immédiate si un tribunal l’a déjà condamné pour des violences aggravées (c’est pas gagné, cf la procédure de césure), qu’il a plus de 16 ans et qu’il passe à nouveau quelqu’un à tabac (mais en réunion ou avec une arme ou sous alcool sinon ça ne marche pas).
Traduction : vas-y Matthéo fais-toi plaisir. Tu as moins de 16 ans ? Tu ne risques rien. Tu n’as jamais commis de délit grave ? Tu as le droit d’en commettre un, on viendra te chercher à partir du deuxième. Tu veux voler, violenter, conduire sans permis, outrager un policier ? Pas de comparution immédiate pour toi, c’est cadeau.
Alors nous trouverons toujours quelques journalistes du Monde, de Libération ou de France Info, des chroniqueurs du plateau de France 5, quelques syndicalistes de la protection judiciaire de la jeunesse ou quelques juges des enfants[3] pour hurler à la réforme fasciste et à l’enfance outragée. La vérité, c’est que cette réforme ne changera rien, que pendant ce temps des mineurs continuent à voler, agresser, détruire, en quasi-toute impunité, et que c’est un drame pour eux, pour les victimes et pour notre société.
RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI
NOTRE PROPOSITION POUR EN SORTIR :
- Faire juger les mineurs en comparution immédiate par le tribunal correctionnel, avec une habilitation spéciale « mineurs » du président du tribunal
La semaine prochaine, épisode 3 : « il est impossible de mettre un mineur en prison »
[1] https://www.causeur.fr/la-cesure-du-proces-penal-est-une-mauvaise-reforme-cjpm-305918
[2] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b0448_proposition-loi#
[3] https://www.liberation.fr/societe/police-justice/justice-des-mineurs-les-comparutions-immediates-ne-sont-pas-une-procedure-adaptee-20250214_F4CWGV75FZGM7L654ONRXBNXBE/
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