Non loin de chez moi, à Cognin, près de Chambéry, se trouve une entreprise qui fait rarement parler d’elle, communique peu et n’envisage pas de se délocaliser dans quelque pays exotique. Elle appartient à la même famille depuis sa fondation, en 1890, et, dans le monde entier, son nom est connu de tous ceux qui se sentent mieux avec un bon couteau au fond de la poche : je parle d’Opinel. C’est la main couronnée, la virole, le manche en hêtre blond verni et la lame pointue fine et tranchante qui se prête à une multitude de fonctions, des plus élémentaires, comme le partage du pain, aux plus sophistiquées, comme la gravure sur bois.
[access capability= »lire_inedits »]L’hystérie sécuritaire qui s’est emparée du monde de l’éducation après quelques agressions dramatiques dans des établissements scolaires risque de bannir ce couteau aussi utile que chargé d’histoire de l’équipement des collégiens et des lycéens. Quelle erreur ! Quel manque de psychologie ! Quelle vision stupide qui veut que ce soient les couteaux qui tuent et non les gens qui les tiennent ! Au contraire, on devrait offrir un Opinel à chaque élève entrant en 6e, avec un accompagnement pédagogique indiquant ce qui se fait et ce qui ne se fait pas avec un couteau. Ne vaut-il pas mieux que l’élève frustré par une mauvaise note grave sur sa table « La prof de maths est une tepu ! », au lieu de remâcher sa rancœur jusqu’au passage à l’acte ?
Il existe un potentiel de violence chez les jeunes, particulièrement les jeunes garçons – de toutes classes sociales – devant lequel la communauté éducative d’aujourd’hui, nourrie de sciences humaines frelatées, se voile la face. Jadis, on savait la canaliser dans des exercices producteurs de plaies et de bosses strictement réglementés par les adultes : c’est ainsi que les Anglais ont inventé le rugby, et que son équivalent rustique et hexagonal, la soule, était pratiqué dans les villes et les villages. Et chacun, son Opinel en poche pouvait alors se sentir le roi du monde.[/access]
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