Violence à l’école : tel pourrait être le titre du feuilleton qui, depuis quelques semaines, occupe nos ondes et nos écrans. Les lycées Darius Milhaud au Kremlin-Bicêtre, Adolphe Chérioux à Vitry sur Seine et Guillaume Apollinaire à Thiais sont désormais aussi célèbres que les décors de Plus belle la vie ou la maison de Secret Story. Sauf que dans ces établissements, et dans pas mal d’autres, la vie est beaucoup moins amusante que dans une émission de téléréalité.
La violence scolaire explose : les profs le disent, les médias le répètent et le public le confirme. Selon un sondage Harris Interactive diffusé hier sur RTL, 90 % des personnes interrogées (par internet) estiment qu’elle a augmenté depuis dix ans. Après un mois de faits divers glauques, le téléspectateur à la mémoire courte – c’est-à-dire vous et moi – est convaincu qu’il assiste à une escalade soudaine et incontrôlée.
En réalité, il s’agit plutôt d’une augmentation lente et régulière depuis 40 ans. « Depuis des années, des décennies même, la chronique des lycées et collèges relate des histoires de règlements de comptes plus ou moins dramatiques, de viols, de rackets et parfois de meurtres, contre des élèves ou des enseignants », peut-on lire dans l’éditorial du Monde qui observe qu’en 20 ans une dizaine de plans gouvernementaux ont été adoptés. Qu’on se rassure, la lucidité de notre ex-journal de référence s’arrête là. « Tout se passe comme si, après avoir longtemps été le creuset républicain de la promotion sociale par le savoir, l’école était devenue le symbole du rejet de la société, aux yeux d’une partie de la jeunesse la plus déshéritée », peut-on lire dans le même article. Inutile de vous faire un dessin. La violence est fille de la misère et de l’exclusion, point barre. Qu’elle ait quelque chose à voir avec l’absence de repères culturels, le culte de la force et le refus de toute autorité des uns parfaitement congruent d’ailleurs avec le renoncement à l’exercer des autres, voilà qui n’intéresse guère les journalistes.
On notera au passage que la veille de l’agression d’un collégien de Vitry, un grave incident avait eu lieu dans un collège privé des Hauts de Seine : pas un mot dans nos JT. Sans doute cette affaire ne rentrait-elle pas dans le grand récit du malaise des banlieues dont nous sommes tous coupables. Passons, comme on passera sur l’effet de contagion qui explique que ce type d’incidents arrive toujours par vague. La médiatisation encourage toujours le passage à l’acte. Ce n’est évidemment pas une raison pour passer les faits sous silence. Reste qu’on n’a pas forcément à choisir entre le déni du réel et l’emballement médiatique.
Quoi qu’il en soit, s’il n’est pas nouveau, le phénomène est inquiétant. Seulement, au lieu de s’interroger sur les racines de cette violence, que nous disent les syndicats d’enseignants dont le discours, abondamment relayé par les médias, semble s’être imposé dans le public ? C’est la faute au gouvernement. Pas assez de surveillants. Là où il faudrait remettre en cause les dogmes pédagogistes qui placent l’élève au centre du système et prétendent ouvrir l’école sur le monde, ils réclament plus de moyens. Et l’opinion les suit, parents en tête. Selon le sondage Harris Interactive RTL, 93 % des personnes interrogées demandent le renforcement du personnel de surveillance dans les écoles. Mais sept sondés sur dix ne veulent pas d’une présence policière au sein des écoles. En somme, la société est sur la ligne des grandes boutiques syndicales enseignantes. À moins bien sûr que cette heureuse convergence ne soit le fruit de l’autoréférentialité qui conduit le citoyen/téléspectateur à croire ce que sondages et médias lui disent ce qu’il croit. C’est bien connu, « les médias pensent comme moi », comme l’affirmait le titre d’un essai paru il y a quelques années.
En réalité, le problème n’est pas le manque de moyens, le problème, c’est qu’on a désanctuarisé l’école[1. Par ailleurs, l’application au corps enseignant de la stricte logique RGPPiste n’est certes pas de nature à améliorer les choses. Mais plus que le nombre de profs, c’est de leur formation qu’il faudrait se soucier. Or, tout le braillomètre est au plus haut dès que l’on parle effectifs, mais curieusement silencieux s’agissant de la disparition programmée des concours de recrutement.]. On y apprenait aux enfants à s’intégrer dans le monde à l’abri du monde. Au nom d’un progressisme bon teint, on y a fait entrer le monde, donc l’argent, donc les hiérarchies sociales et, donc évidemment, la violence. Bref, on a laissé des renards libres dans un poulailler libre. Et on nous explique maintenant qu’on va résoudre la question avec des gentils surveillants mais surtout pas avec des méchants policiers !
Soyons clairs : on pourrait nommer des milliers de surveillants que cela ne changerait rien. Que feront-ils face à des bandes armées ? Leur présence empêchera d’autant moins les armes d’entrer dans les établissements que toute tentative d’instaurer une fouille des sacs suscitera un chœur indigné des défenseurs sourcilleux de nos libertés – liberté de se faire casser la gueule ? Il faudra bien s’y résoudre : puisqu’on a laissé entrer la violence, on devra bien laisser entrer les forces habilitées à la sanctionner, c’est-à-dire la police. Voilà pour le court terme.
Pour le reste, inutile de se faire des illusions. Il faudra au moins une génération pour inverser la tendance. Oui, il faut revenir à une école centrée sur la transmission des savoirs, une école où les enseignants ont de l’autorité quitte même à faire un peu peur aux élèves – ça n’a jamais tué personne. Seulement, tant que l’Education nationale sera cogéré par des syndicats qui confondent l’être et l’avoir et réclament des sous au lieu de se soucier des contenus et des méthodes, rien ne changera. Pourtant, il n’y a pas de problème plus urgent pour la France.
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