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Il faut que justice se passe


Il faut que justice se passe
Main de justice
Main de justice
Main de justice

C’est celui qui dit qui y est. La campagne des régionales ressemble à une bagarre d’école maternelle, la grâce enfantine en moins. Les boules puantes fusent. Vincent Peillon a cru bon de répliquer à la pénible affaire Ali Soumaré en déterrant une vieille histoire de voiture supposément volée par Alain Madelin et Patrick Devedjian il y a plus de quarante ans. Est-ce par souci pédagogique que le grand philosophe socialiste s’est mis au même niveau que les sieurs Delattre et Meurand, les élus UMP qui avaient cafté à propos des frasques passées, réelles et supposées, du candidat socialiste dans le Val-d’Oise ? Il n’est pas certain qu’employer les mêmes méthodes que son adversaire soit la meilleure façon de le combattre, mais passons.

[access capability= »lire_inedits »]Ces pénibles déballages révèlent tout d’abord que nous ne croyons pas en notre justice. Cela vaut ou devrait valoir pour tout le monde, Soumaré comme Balkany, Le Floch-Prigent comme le dealer du coin : lorsqu’un homme condamné au nom du peuple français a purgé sa peine, il a payé sa dette. La justice présente l’addition et ensuite elle efface les ardoises. De même qu’on ne reproche pas éternellement à un enfant, après l’avoir puni, d’avoir cassé le vase de cristal de la tante Ursule, la société ne saurait stigmatiser à vie qui que ce soit pour ses fautes. Sinon, à quoi servirait-il de les lui faire payer ? Dira-t-on à tous ceux qui se retrouvent un jour devant un tribunal qu’une fois qu’on s’est écarté du droit chemin, on ne saurait y retourner ? Quand bien même Soumaré serait un ex-voyou qui a bien tourné, faudrait-il s’en féliciter ou le lui reprocher ?

Les défenseurs de la sacro-sainte transparence, ceux qui exigent de tout savoir sur le patrimoine de leurs élus – et bientôt sur leur vie privée – proposent maintenant que tout candidat produise son casier judiciaire. Et pourquoi pas ses bulletins scolaires et ses premières lettres d’amour ? Il n’est pas nécessaire d’être un saint au passé immaculé pour exercer dignement et honnêtement une charge publique, et heureusement parce que sinon, nous pourrions nous trouver à court de candidats. La politique n’est pas une affaire de pureté.

On aurait donc préféré tout ignorer du passé judiciaire d’Ali Soumaré. Maintenant qu’il a été mis sur la place publique, peut-on se contenter de détourner vertueusement le regard ? En réalité, ces révélations déplaisantes posent des questions légitimes sur le recrutement du personnel politique et son évolution. Que les partis essaient d’attirer les forts en gueule, rien de plus normal. Il y a trente ans, les forts en gueule faisaient le coup de poing pour défendre la Révolution ou l’Occident. Les grandes gueules d’aujourd’hui ont changé de profil. Ce sont les petits caïds de quartiers que les municipalités recrutent comme médiateurs et que les municipalités emploient comme vigiles. On appelle ça « la politique des grands frères« . Le PS a certainement choisi Ali Soumaré pour sa compétence et malgré ses erreurs de jeunesse. Il serait regrettable que les partis fassent monter d’anciens voyous non pas en dépit de leur passé mais en raison de celui-ci.

S’agissant, enfin, d’une affaire dont le héros est noir, il aurait été surprenant que l’accusation de racisme ne fuse pas. À en croire Pierre Moscovici, rejoint sur ce point par Fadela Amara, Ali Soumaré aurait été attaqué « parce qu’il était noir, parce qu’il était un jeune des cités » (au fait, jusqu’à quel âge reste-t-on « un jeune« , quand on vient « des cités«  ?). Il est tout aussi impossible de prouver que de récuser cette assertion. On peut aussi bien se demander si Ali Soumaré n’a pas été choisi précisément pour ces raisons et si la promotion bruyante de la diversité ne cache pas un clientélisme banal. En choisissant de présenter des candidats issus de l’immigration dans les zones peuplées par des enfants d’immigrés, tous font le jeu du vote ethnique. Ce n’est pas très glorieux. Remercions au passage Patrick Karam, délégué interministériel pour l’Égalité des chances des Français d’Outre-mer et numéro deux de la liste UMP à Paris, de ses efforts pour détendre l’atmosphère. Selon lui, Jean-Paul Huchon aurait choisi Soumaré pour donner une mauvaise image de la diversité. En clair, il aurait confié une tête de liste à un candidat noir par racisme. Celle-là, il fallait l’inventer.[/access]

Mars 2010 · N° 21

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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