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Il faut délégiférer !


Dans son rapport annuel 2010, le Médiateur de la République dresse un portrait particulièrement dur de l’état de nos lois et des relations qu’entretiennent nos concitoyens avec elles. L’empilement législatif a atteint un tel degré que ni les Français, ni leurs administrations ne connaissent les lois qui sont supposées les gouverner. Nouveaux textes, circulaires, décrets, jurisprudence, arrêtés qui contredisent la loi : notre système juridique est devenu à ce point opaque et instable que l’application des lois en devient aléatoire – entre excès de zèle, excès de lenteur, application mécanique et déshumanisée des procédures quand les décisions prises par l’administration ne sont tout simplement pas en contradiction avec les textes en vigueur. Ce système qui était supposé nous protéger en couvrant nos vies privées d’un étroit maillage de réglementations fait désormais régner en France ce que le médiateur lui-même qualifie d’« insécurité juridique ».

Dans une perspective évolutionnaire, les règlementations en social-démocratie ont ceci de commun avec les bactéries qu’elles ont tendance à se multiplier de façon exponentielle. Cela procède – il me semble – de trois caractéristiques intrinsèques : comment elles naissent, comment elles se reproduisent et enfin, comment elles ne meurent pas.

Nos lois naissent dans l’émotion. Mais à la différence des êtres humains, chez qui la naissance précède l’émotion, les règlementations tendent à voir le jour après qu’un évènement à forte teneur émotionnelle – et idéalement riche en controverses – ait défrayé la chronique. Le devoir de l’Etat étant de nous protéger de tout y compris de nous-mêmes ; l’homo politicus ne peut concevoir son utilité sociale sans promptement faire voter une loi pour nous prouver à quel point notre sort lui importe. L’inflation législative trouve ainsi sa source dans la volonté du pouvoir politique d’apporter des réponses de circonstance à chaque cas particuliers. Peu importe que cette loi soit utile, peu importe qu’elle rentre en conflit avec des dispositifs déjà existants, peu importe qu’elle n’apporte aucune véritable solution à supposer qu’il y ait eut un problème et enfin, peu importe qu’elle finisse elle-même par poser plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions. On serait en droit, dans un monde rationnel, d’attendre de nos gouvernants qu’ils évaluent calmement les coûts et les bénéfices de chaque texte avant qu’il n’entre vigueur[1. C’est d’ailleurs dans cet esprit que la révision de la Constitution de 2008 prévoyait des études d’impact pour évaluer les effets pervers des réformes] ; vous savez aussi bien que moi qu’il n’en est rien : on légifère dans l’urgence, dans le feu de l’action pour adopter une posture de l’homme politique concerné.

Les lois ont également cette étonnante faculté que de pouvoir se reproduire entre-elles mais aussi par parthénogénèse. Adoptées dans l’urgence et sans aucune considération pour le cadre juridique existant ni pour les détails de mise en œuvre pratique, elles créent de nouveaux problèmes inattendus qui, plutôt que de susciter leur suppression pure et simple, sont à leur tour traités par de nouvelles lois et autres amendements. C’est ainsi que les règlements se superposent les uns aux autres, que les décrets viennent contredire les lois, qu’à peine adoptées les législations sont déjà obsolètes et remplacées par une nombreuse descendance qui cherche non seulement à apporter une solution au problème identifié à l’origine mais aussi aux nombreuses conséquences indésirables des règlementations qui ont précédé. D’inextricable, le système devient instable et même l’administration qui est en charge d’appliquer la loi finit par s’y perdre.

Enfin les lois ne meurent pas parce qu’elles n’ont pas de prédateur naturel. Une fois mise en place, il devient extrêmement difficile de supprimer une loi. Même si elle est notoirement inefficace ou nocive, même si elle coûte une fortune et que son bien utilité est pour le moins douteuse ; on préfèrera toujours l’amender – et de préférence à la marge – plutôt que de la supprimer tout simplement. Pour la même raison qui pousse nos politiques à faire voter des lois, les supprimer leur est insupportable : comment justifier auprès de son électorat la suppression d’une loi visant à promouvoir l’investissement locatif à coup d’avantages fiscaux quand tant de gens ont du mal à se loger et tant d’autres peinent à défiscaliser leurs revenus ? Défaire des lois inutiles et même nuisibles demande non seulement un minimum de communion avec les difficultés quotidiennes de ceux d’entre nous qui ne sont ni hauts fonctionnaires ni avocats mais aussi du courage. L’homme politique moderne ayant une fâcheuse tendance à appartenir à l’une des deux catégories citées ci-dessus et manquant singulièrement de courage ; les lois ne meurent pas et prolifèrent.

« Plus il y a d’interdits écrivait Lao Tseu, plus le peuple s’appauvrit[2. Dao De Jing (57)]». Les seuls bénéficiaires de ce maquis normatif sont ceux qui ont les moyens de s’offrir les services d’un cabinet spécialisé – ou plus directement du législateur. La loi qui devait nous protéger est devenu une arme à l’usage des procéduriers et un fardeau pour le reste d’entre nous. Des petites et moyennes entreprises aux départements de recherche de nos universités cette en passant par nos administrations, cette règlementation tentaculaire coûte, freine, bloque et ne règle plus grand chose. Ce qu’il nous faudrait maintenant, c’est arriver à « délégiférer ».



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