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Il était une fois Denis Robert


Il était une fois Denis Robert

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Il y a quelques années, il était David défiant les puissances de l’argent, qui sauvait l’honneur des journalistes et incarnait l’avenir de la démocratie. On pétitionnait pour lui avec le petit frisson de qui plonge sans bouée dans le grand bain de la radicalité, parfois on envoyait un don au comité de soutien. Défendre Denis Robert, c’était faire partie de ceux à qui on ne la fait pas – et de ceux qui, d’Eva Joly à Arnaud Montebourg et Olivier Besancenot, allaient la faire, la révolution morale. Dans les cuisines de la gauche radicale, les spécialistes habituels de la ritournelle complotiste et antilibérale, qui adorent croire que les grands de ce monde se réunissent secrètement pour trouver les bons moyens d’asservir les esprits, étaient ravis d’avoir un Galilée prêt à brûler (mais pas trop chaud, s’il vous plait) pour la vérité. Mais le chevalier qui venait du froid (quelque part à l’est de la France, là où le climat trempe les caractères) a aussi su s’attirer les bonnes grâces des dames patronnesses de Télérama et de beaucoup d’autres.

On comprend donc que Denis Robert, après avoir été le Jean Moulin de la résistance contre les mafias et l’argent, n’apprécie guère d’être qualifié de second couteau dans le procès Clearstream. Avec le mélange de jubilation victimaire et de forfanterie naïve qui le caractérise, il tente vaguement de rappeler que, sans lui, rien de tout cela ne serait arrivé et que le peuple français serait privé d’un formidable spectacle. Et le pire, c’est que c’est vrai. Dans une tragédie grecque, il aurait été l’agent inconscient de dieux énervés, aujourd’hui on parlerait d’idiot utile. En tout cas, sans l’alliance objective de Denis Robert et de tous ceux qui l’ont cru, il n’y aurait pas eu d’affaire Clearstream. Sans Clearstream I, point de Clearstream II. Pour que quelqu’un ait l’idée de voler puis de trafiquer les fichiers, il fallait bien que l’opinion, et peut-être même le voleur et le faussaire, fussent convaincus qu’ils recélaient les secrets malodorants des mafias, des industries d’armement et de la République. Bref, il fallait avoir admis comme vérité révélée les « révélations » de Denis Robert.

Seulement, Clearstream I n’intéresse plus personne. Une vieille histoire, presque dix ans, vous pensez. D’abord, c’est Clearstream II que l’on juge aujourd’hui ; les protagonistes sont plus flamboyants, les dialogues mieux écrits. Reste qu’il est assez rigolo de se rappeler que ce scandale d’État, cette guerre dans l’Olympe du pouvoir, s’est déployé sur la base d’un récit dont rien, jusqu’à aujourd’hui, n’a prouvé qu’il était vrai.

En 2001, donc, Denis Robert publie Révélations, co-écrit avec un ancien employé de la chambre de compensations. Décidé à tout sacrifier, y compris sa carrière (qui connaissait des hauts et des bas, mais qui n’en a pas ?), le fin limier est tombé sur le centre mondial du blanchiment. La preuve : il existe des comptes non publiés (comme dans n’importe quelle banque, y compris celle de vous et moi) qui, par glissements sémantiques, deviennent des comptes dissimulés puis occultes. Une fois qu’on a collé sur le livre le sticker « investigation », c’est indiscutable. Peu importe que Clearstream gagne la plupart de ses procès en diffamation. Quand cette histoire de méchants planétaires se pimente, en plus, d’un volet français remontant au plus haut sommet de l’État, dans certaines rédactions, c’est l’euphorie. Il faut reconnaître que Le Monde ne marche pas dans la combine. Mais Le Monde n’est plus ce qu’il était, il a cessé de faire l’opinion.

Imaginons la suite à partir des éléments connus. À Clearstream, on commande le fameux audit qui permettra à un benêt de dérober les listings. Les échos du scandale parviennent, dans la prison où il purge une peine pour escroquerie, à Imad Lahoud, dont le cerveau fertile imagine qu’il trouvera dans cette histoire de quoi abattre ses puissants ennemis et, par ricochet, à Jean-Louis Gergorin. Lorsqu’il fait part de ses élucubrations à Denis Robert, celui-ci y trouve la confirmation de ses propres théories, autant dire une preuve. « Un cadeau de Noël en plein été », écrira-t-il. En somme, notre limier se fait enfumer par un type qui lui apporte, une fois remâchées, ses propres conclusions. Et qui finira par lui « vendre » ses propres fichiers trafiqués.

Tour à tour acteur et chroniqueur, victime et expert, Robert ressort régulièrement tel le diablotin de sa boîte ou, si on veut être aimable, le coryphée de la tragédie. Il connaît tous les acteurs, est l’ami du juge Van Ruymbeke. C’est lui qui présente Florian Bourges (le voleur présumé) à Imad Lahoud (le faussaire présumé). De loin, on entrevoit un petit monde où la dinguerie des uns nourrit la mythomanie des autres. Le plus étonnant est que Denis Robert semble croire au monde fantasmagorique qu’il a inventé. Aujourd’hui, il continue à proclamer, sans jamais l’avoir prouvé, que Clearstream est « le poumon de la finance parallèle ». On me dira qu’il n’est pas très grave qu’un type un peu habité soit convaincu d’avoir débusqué une machination planétaire. Qu’il ait réussi à convaincre d’estimables journalistes du bienfondé de ses théories pourrait sembler un peu plus fâcheux. Mais personne n’a jamais dit qu’on faisait une bonne histoire avec la vérité.

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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