Paris, à côté de la plaque. La poursuite de la publication du Journal de Philippe Muray. La vérité – enfin – sur la fête de Noël ! Rétrospective de l’année, suite.
Dutilleux (Henri). Debussy, Ravel, Couperin, Fauré, Berlioz, Saint-Saëns, Satie, Poulenc… la France a donné au monde un nombre considérable de grands compositeurs. A l’instar de l’Allemagne et l’Italie le climat, les paysages, l’état d’esprit général, la psychologie et le régime alimentaire doivent être propices à l’éclosion de grands musiciens. Parmi ces grands noms il y a Henri Dutilleux (1916-2013) ; compositeur inclassable qui est toujours resté à l’écart des chapelles et sectes musicales diverses du XX ème siècle, il a laissé un catalogue aux dimensions modestes (quelques dizaines d’opus – en presque cent ans de vie !), mais ne comportant presque que des chefs d’œuvres, dont une sonate pour piano (1945) et des pièces orchestrales (Citons Timbres, espace, mouvement, 1978) qui sont jouées dans le monde entier depuis des décennies, contribuant à la joie des mélomanes, et au prestige culturel de la France. Mais il arrive que la France ait du mal avec ses génies… En 2013, à quelques encablures du centenaire, le compositeur s’éteint. Les hommages affluent du monde entier. Un type à l’Elysée écrit même un communiqué de presse signé du Président. Mais la ministre de la culture, Mme. Filippetti « oublie » de se rendre aux obsèques. L’affaire qui nous intéresse – celle de la « plaque » – commence en avril 2015. Christophe Girard, maire PS du 4ème arrondissement, qui souhaitait rendre hommage au musicien en apposant une plaque sur l’immeuble qu’il a longtemps occupé rue Saint-Louis-en-l’Île, se distingue par un tweet ravageur disant que, finalement, la pose de cette plaque était « inappropriée » en raison de « faits de collaboration (de Dutilleux) avec le régime de Vichy »… La polémique était lancée. La France découvre, stupéfaite, l’existence d’une commission historique, au sein de la Mairie de Paris, dont la fonction est d’enquêter sur la « moralité » politique des personnalités auxquelles la ville pourrait rendre hommage. Cadavres dans les placards. Exploration des poubelles de l’Histoire. La commission fouille-merde exhume une partition – coupable, nécessaire coupable… – que le jeune Dutilleux a écrit pour un film pédagogique officiel sur le sport. Pas un hymne à Pétain, non, un film à la gloire des gymnases et à la pratique sportive… Il avait la vingtaine, et – parallèlement – s’était engagé dans la Résistance, en rejoignant dès 1942 le clandestin Front national des musiciens. Les mélomanes ont montré les dents. L’agitation a été considérable. Une pétition, défendant Dutilleux contre les insultes des roquets analphabètes de l’époque, arrive même à recueillir plus de 7000 signatures. Les médias entrent dans la danse. La « commission » revoit son jugement. Christophe Girard, et d’autres élus, regrettent d’avoir parlé de « faits de collaboration ». La plaque est finalement apposée le 22 septembre 2015. Il avait d’abord été question d’y graver : « Henri Dutilleux, compositeur contemporain ». Comme si Bach et Beethoven n’étaient pas non plus contemporains à leur temps. Comme si cela avait le moindre sens. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas… Deux discours sont prononcés. Nos confrères de « Forum opéra » parlent d’un « hommage grotesque » – raillant des discours pompés de Wikipédia et s’amusant de l’inculture de l’adjoint à la culture, Bruno Julliard, évoquant fautivement le compositeur « Gabriel Faure », et non « Fauré ». La mairesse de Paris (il faut dire comme ça) Anne Hidalgo est évidemment restée en dehors de toute cette polémique. J’ai eu le bonheur de rencontrer Dutilleux à deux reprises. Une fois, assez longuement, dans les années 90, salle Olivier Messiaen à Radio France. Nous avons parlé musique, musique et musique. Il était assis sur le tabouret du piano de son épouse Geneviève Joy, et j’étais debout à côté de lui. Au bout d’un moment il s’est enquis, prévenant, de mon confort et m’a demandé si je voulais m’asseoir pour poursuivre notre échange. J’avais 20 ans. Il en avait près de 80. Je fais le pari qu’il aurait pris cet épisode bouffon de sa « plaque » avec humour et bonhommie. En 2016 nous célébrerons le centenaire de sa naissance : peut-être une occasion pour les politiques de se racheter ?
Muray (Philippe). En 2015, Les Belles Lettres ont publié le second tome du journal de Muray (Ultima Necat II) qui couvre les années 1986-1988. Prenant un tour franchement littéraire, plus cohérent que le premier tome (qui couvrait une période beaucoup plus longue) ce journal nous éclaire sur la fabrique de la pensée murayenne. En pleine gestation et écriture de son grand roman Postérité – qui paraîtra en 1988 chez Grasset dans une collection dirigée par Bernard-Henri Levy -, le pourfendeur d’homo festivus observe le monde moderne vivre ses pathétiques soubresauts de fin de siècle, et se rêve en grand romancier, avec pour modèle évidemment L-F Céline. C’est l’insuccès qui sera au bout du chemin, l’indifférence critique, l’indifférence du public, et au fil des pages on perçoit une vraie mélancolie. On comprend plus que jamais que Muray a eu plusieurs « vies » littéraires. Après une première période étonnante où l’auteur des « Exorcismes spirituels » se voue au roman, dans un style expérimental ; après l’écriture de ses deux grands essais (Le « Céline » et le « XIXème siècle ») ; il retrouve le roman, et projette déjà l’écriture de son Rubens. Il semble ne pas avoir conscience encore que sa plume s’épanouira dans les décennies qui vont venir dans une veine pamphlétaire ravageuse, période qui s’ouvrira avec L’empire du bien (1991). S’il parle peu de sa vie privée (il entremêle ça et là des notations sur son bagne, l’écriture de romans populaires sous pseudonyme, ou sur ses femmes, à des notes préparatoires sur les personnages de Postérité), il se livre parfois sur sa philosophie personnelle, comme dans ce très bel extrait que nous mettrons en exergue : «Il faut amener une femme à tromper avec vous le reste de l’univers. Si vous n’avez jamais senti que votre femme ou votre maîtresse, en vous aimant, était infidèle à tout le reste, au genre humain, à l’hystérie, à la communauté, vous n’avez jamais aimé, vous n’avez jamais été aimé. Vous n’avez jamais heureux». Dont acte. Rendez-vous courant 2016 pour lire la suite de ce passionnant journal qui pourrait bien être le chef d’œuvre de Muray…
Noël. Il y a quelques années, dans le cadre de notre rétrospective 2013, nous révélions mondialement l’origine méconnue de la fête de Noël. A l’inverse de ce que beaucoup d’ignorants pensent cela n’a absolument aucun rapport avec un Jésus, une crèche, des rois mages, un fier sapin, ou encore l’industrie du jouet, non, chaque année nous nous offrons des cadeaux pour célébrer la naissance d’Humphrey Bogart, arrivé sur terre le 25 décembre 1899 – afin d’apporter de la paix, du flegme et de la virilité dans le monde. Cela me vaut depuis quelques années un courrier de lecteurs qui attirent mon attention sur d’autres origines possibles à cette fête. Si j’en crois un mail de Martine de Besançon, cette pratique festive remonterait au temps de la grandeur de Noël Roquevert (1892-1973), immense acteur français aujourd’hui bien oublié, qui incarnait notamment le personnage surnommé « Landru » dans Un singe en hiver de Verneuil (d’après Blondin), énigmatique patron de bazar qui fournissait aux deux héros babioles et fusées de feu d’artifice, pour rendre l’après-guerre plus respirable. On a vu aussi Roquevert chez Clouzot (L’assassin habite au 21, Le Corbeau, Les Diaboliques)… Mais pourquoi parler de Roquevert ? Car il paraît possible – compte tenu de son apport au cinéma – que certaines parties du globe fêtent Noël pour lui rendre un vibrant hommage. Là-bas on ne dit pas « Joyeux Noël ! » mais « Joyeux Noël Roquevert ! » Nous avançons résolument dans la connaissance de cette fête…
à suivre…
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00339351_000001.
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