Accueil Culture Il est revenu le temps des zozottes

Il est revenu le temps des zozottes

Pascal Thomas nous tend le miroir tendre et corrosif de notre lente décadence.


Il est revenu le temps des zozottes
Pascal Thomas, le 18/12/2014 / PHOTO: GINIES/SIPA / 00700434_000006

Confidences pour confidences, le film de Pascal Thomas tourné en 1978 est enfin visible en streaming sur Canalvod.


Le prochain film du réalisateur ne sortira qu’en 2023. Pascal Thomas tourne actuellement dans la Vallée du Loir, entre Sarthe et Maine-et-Loire, Encore quelques instants de bonheur avec, entre autres, Pierre Arditi, Anny Duperey et Stéphane de Groodt. Avant de découvrir ce long-métrage au fumet provincial et au fort relent nostalgique, il faut réviser les classiques du dernier cinéaste français qui étudie la déliquescence du sentiment amoureux sans mièvrerie, sans l’apitoiement satisfait des intellos du caméo, avec une pointe de réaction salvatrice et d’humour troupier.

Pascal Thomas ne fait pas dans le larmoyant à thèses et la dénonciation du méchant capitaliste de service. Il ne cherche pas à conforter le public dans ses délires victimaires mais plutôt à l’extraire des débats boueux par un esprit facétieux, par la blague, par la pirouette, par la fesse rieuse, par la sauterie glandilleuse et aussi par une forme de noirceur assumée. Il sait, par expérience, que les Hommes pusillanimes et indécis sont guidés par des instincts ridicules et des élans contradictoires.

D’emblée, il absout ses personnages de leurs turpitudes, s’amuse de leur combinazione à destination sexuelle et de leur absence de convictions politiques. Avec Pascal, on est à la maison, en zone protégée, entre amours tempétueuses et ambitions avortées, entre vérité naturaliste et distance persifleuse, il nous tend le miroir tendre et corrosif de notre lente décadence ; son cinéma est primesautier, faussement classique, inoffensif en apparence car il se révèle miné, constellé, perclus de nids-de-poule, de cahotements qui rendent sa lecture plus complexe et pleine d’arrière-pensées. Dans ces œuvres, notre mémoire est assaillie par de minuscules traces d’une humanité disparue, jamais pesante, jamais déclamatoire, jamais démagogique.

A lire aussi: Villerville à l’heure d’hiver!

Féministe sans ressentiment

La fatalité déplie sa couverture, on s’y calfeutre. Car Pascal se refuse à l’exégèse, il avance par touches. C’est un pointilliste du bonheur inaccessible, de l’incompréhension profonde des êtres et de cette solitude innée, celle que l’on dorlote en relisant Léautaud à la veillée. Avant de retourner le voir dans les salles, Confidences pour confidences sorti début 1979 est désormais disponible en streaming sur Canalvod. C’est une œuvre fanée qui continue d’embaumer les intérieurs de banlieue.

Un presque documentaire sur les aspirations plus ou moins contrariées de trois filles nées dans une épicerie, trois destins domestiques qui vont tenter de s’épanouir et de s’émanciper par le mariage, les enfants ou le travail. A l’intérieur de cette boule à neige d’antan, il y a tout ce que l’on aime au cinéma de déchirant et de populaire, de rustique et de retenue, de ridicule et d’horizon voilé, de terriblement vivant et d’asphyxiant. Ce cinéma-là féministe (le qualificatif le ferait sourire, c’est pourtant bien le cas, peu de réalisateurs ont si bien parlé des grossesses plus ou moins désirées dans un contexte législatif largement défavorable) ne nous prend pas en otage. Il distille son amertume par réverbération comme si l’on regardait notre passé récent par le verre dépoli des siphons de notre enfance, quelque chose d’atrocement douloureux et de friable, qui réussit à ne pas tomber dans le glauque et le ressentiment.

C’est un cinéma de la retenue, sur le fil, qui refuse de verser dans un sentimentalisme dégueulasse. On suit les aventures d’une famille moyenne entre le milieu des années 1950 et celui des années 1970, une tranche de France parcourue par le rock et les guerres coloniales, le déterminisme social et les rêveries confuses de jeunes filles qui vivent à cinq dans une pièce attenante à l’épicerie. Le père magistrement interprété par Daniel Ceccaldi semble dépassé par les événements intra-familiaux, il est moderne sans le savoir, il n’a ni l’autorité nécessaire, ni les préceptes éducatifs à portée de main, son dilettantisme est un nouveau progressisme. Il navigue à vue. La benjamine lit La Semaine de Suzette, l’aînée se prend déjà pour une future maman et celle du milieu veut s’extraire de cette gangue sociale par la promotion canapé.

A lire aussi: Micheline Presle, 100 ans de liberté

Le sublime du quotidien n’est pas loin

Elles s’appellent Brigitte, Pierrette et Florence. A l’école, chaque matin, on sert un verre de lait avant de démarrer la classe. Les publicités Bouillon Kub tapissent la boutique. On se lève tôt pour charger la Juva 4 jusqu’aux Halles Baltard. La vie se déroule sur un mode mineur, entre gaieté et mélancolie, ce qui donne, à l’écran, une force et une tension insoupçonnées, une beauté éraflée qui secoue nos mentalités d’assistés et de pleurnicheurs. Les conversations sont anodines et splendides.

Quand Brigitte demande à sa grand-mère : « Tu as eu des joies, mémé ? », on défaille. Quand Ceccaldi, représentant en étiquettes, peste d’une course lointaine : « Malakoff, quel bled, je suis pas prêt d’y remettre les pieds », on jubile. Quand un futur gendre employé dans les assurances se présente comme « un self made-man », on est aux anges. Pascal Thomas a capté l’air de Paris et de sa proche banlieue, entre Mendès-France et le Concorde. Le sublime du quotidien n’est pas loin. Jacques François, Michel Galabru, Jacques Villeret et même une apparition amicale de Claude Lelouch sur une plage à Deauville complètent cette distribution. Mais surtout, il y a la voix éraillée d’Elisa Servier qui fait tressaillir notre horloge biologique. Et puis Anne Caudry (1957-1991), la petite-fille de Bernanos qui débutait ici sa carrière d’actrice; sa douleur rentrée fait un triste écho à sa destinée tragique.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Ma vie à l’Assemblée
Article suivant Pierre Louÿs, comme un Grec ancien
Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération