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Il est minuit moins cinq


Il est minuit moins cinq

Steven amsterdam

Le seul reproche que l’on pourrait adresser au premier roman de Steven Amsterdam, Ces choses que nous n’avons pas vues venir, c’est son titre. Comme c’est le même en anglais, on n’accusera pas pour une fois la traduction. Ce n’est pas un titre qui rend justice à ce beau roman qui raconte la fin du monde. On dirait plutôt un titre pour livre de développement personnel, ces anxiolytiques sur papier qui se vendent si bien dans nos sociétés qui sentent obscurément leur fin si proche et ne veulent pas se l’avouer. Il n’y a pas de crise climatique, il n’y a pas de crise économique, il n’y a pas de choc de civilisations, il n’y a pas de guerre nord-sud, c’est bien connu, « tout va très bien, madame la marquise, tout va très bien. »

À quoi reconnaît-on un bon écrivain qui nous parle de la fin du monde ? À son refus des artifices pyrotechniques, de la peinture hollywoodienne du cataclysme, de l’effet spécial numérique transposé en littérature. Le bon écrivain qui nous parle de la fin du monde est d’abord quelqu’un qui a compris que la fin du monde est une aventure intime, voire intimiste, qui arrive à chacun d’entre nous, comme la mort en temps normal. Et ce n’est pas parce que nous allons tous mourir ensemble que cela retire à notre fin personnelle son mystère et son angoisse indicibles. La référence en la matière reste La route, l’inoubliable roman de Cormac McCarthy dont le succès planétaire devrait nous alerter comme un symptôme. Continuez à laisser fuir vos centrales, à vous faire gouverner par les marchés, à refuser l’évidence du réchauffement climatique et il va falloir vous habituer à terminer votre vie en poussant un caddie qui grince sur une route déserte en compagnie de votre jeune fils tout en essayant de survivre dans un paysage désolé, sans sombrer dans le cannibalisme parce que tout de même, vous vous souvenez que vous étiez cette chose merveilleuse, fragile et digne : un être humain.

Quitte à choquer les adorateurs de La route dont je suis, le roman de Steven Amsterdam est aussi fort mais on en parlera évidement beaucoup moins pour de mauvaises raisons. Ces mauvaises raisons sont les conditions éditoriales. La route de McCarthy avait été éditée en collection « blanche » tandis que le roman de Steven Amsterdam reparaît aujourd’hui dans la collection folio SF de Gallimard. Les gens sérieux n’achètent pas de la SF dans des collections spécialisées, ils ont l’impression que c’est réservé aux vieux adolescents. C’est souvent vrai mais parfois on rate des joyaux. Et Ces choses que nous n’avons pas vues venir (décidément quel mauvais titre !) est un joyau.
Steven Amsterdam suit de chapitre en chapitre un seul personnage qui parle à la première personne. Entre chaque chapitre, qui pourrait presque se lire indépendamment, comme des nouvelles, plusieurs mois ou plusieurs années se sont écoulées. Le personnage, au début, est un gamin. Nous sommes le 31 décembre 1999. Le père est persuadé que le grand bug de l’an 2000 est une réalité. Il décide de quitter Londres pour emmener sa famille chez les grands-parents qui vivent à la campagne. Sa femme se moque un peu de lui mais suit le mouvement. Sur le siège arrière de la voiture, le narrateur se demande si son père a raison quand il lui dit : « Toute une époque qui n’a pas bien pensé à programmer ses horloges. Nous sommes arrogants, stupides, nous manquons d’humilité face aux siècles qui nous ont précédés »

Bien sûr, le bug du millénaire aura été une fausse alerte. Il n’empêche que nous retrouvons au chapitre suivant le narrateur, devenu jeune délinquant, chez ses grands parents. Apparemment, la crise économique a un peu tout déstructuré, il y a des barrages tatillons à passer, on manque de médicaments dans certains secteurs, de nourriture dans d’autres. L’adolescent va voler pour ses grands parents et involontairement les aider à « mourir dans la dignité », comme on dit. Comme il ne nous parle plus de ses parents, on peut raisonnablement se dire qu’il est orphelin.
Dans les chapitres suivants, évidemment, les choses s’aggravent encore. Il pleut beaucoup, puis plus du tout. Les camps de réfugiés fleurissent un peu partout. On y rencontre tout de même de jolies filles sexy. On se déplace avec des « chevaux de pluie » qui hennissent sous la tourmente mais qui restent le dernier moyen de transport fiable. Plus tard encore, il semble ne plus y avoir qu’un Etat fantomatique pour organiser un tant soit peu le chaos et on est obligé de ruser pour éviter des gens contagieux, suicidaires et désespérés atteints d’une sorte de fièvre hémorragique sans rémission.

On ne va pas vous raconter toute cette déroute à la fois picaresque, apocalyptique et drôle. Cormac Mc McCarthy, dans La route, n’était pas drôle. Il avait conçu son roman comme un nouveau livre de la Bible. Steven Amsterdam, lui, c’est plutôt les aventures de Tristram Shandy pendant la fin du monde. On rit souvent, ce qui est un comble et on ne peut que se souvenir de cette vieille définition qui fait de l’humour la politesse du désespoir.
Parce que malgré tout, au bout du compte, chez McCarthy comme chez Steven Amsterdam, il s’agit de survivre sans se renier et quand ce n’est plus possible, d’apprendre à mourir. Steven Amsterdam, lui, préfère que ce soit le sourire aux lèvres. Question de tempérament.

Ces choses que nous n’avons pas vues venir, Steven Amsterdam (Folio SF/Gallimard). Acheter ce livre sur Fnac.com

*Photo : Reboots.



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